Dominic m'a rattrapé avant que je n'atteigne la porte, et m'a reconduit jusqu'à mon siège, en me tirant par la main comme un enfant. Puis il m'a entouré les épaules dans une étreinte chargée d'affection, bientôt rejoint par Chris et Tom.

Alors, bercé par leurs effusions d'amitié, les épaules affaissées et le visage mouillé de pleurs silencieux, j'ai fini par tout avouer. J'ai vidé tout ce que j'avais sur le coeur. Mon amnésie à propos de tous les événements récents, mon ignorance sur le jour que nous sommes, et sur cette tournée dont ils me parlent. 

J'ai raconté les images furtives et incompréhensibles qui jaillissent dans mon esprit par moment quand je me concentre, et s'évanouissent aussitôt, comme les réminiscences intempestives d'un cauchemar. 

Un cauchemar qui me paraît si réel pourtant, tant mes sens sont imprégnés de détails. Moi tapi dans le noir, angoissé, un cri effroyable au-dessus de ma tête et ... plus rien. Ou juste un flash, le visage terrifié de ma fiancée qui apparaît dans la nuit puis s'évapore ...

La main de Dom enserrant toujours la mienne pour m'encourager, je leur ai même parlé de cette bête qui piétinait à l'intérieur de ma tête, tout à l'heure. Je ne sais pas si c'était une bonne idée en définitive, mais sur le moment je ressentais le besoin impérieux de tout leur confier.

Désormais, je me sens vidé et ... apaisé. Allégé d'un poids qui m'écrasait depuis des heures.

Mais le répit est de courte durée.

Car je vois comme ils m'observe tous, à présent. Ils se sont écartés de moi, et me scrutent en silence. 

Et leurs yeux le crient. Même ceux de Dominic, mon meilleur ami. Je leur fais peur.

Je me barricade derrière mes paupières closes pour leur échapper. La rancoeur me dévore. Ils n'ont pas cru un seul mot de tout ce que je leur ai raconté. Derrière leur masque d'empathie, ils n'ont même pas pris la peine de m'écouter. Depuis le début, ils sont persuadés que j'ai perdu la raison. Mais ils ont tort. Je sais bien moi, ce que j'ai vu. Tout est forcément vrai, je ne peux pas avoir créé de telles images de toute pièces. Je ne peux pas m'être inventé une vie, une fiancée.

Oh, je sais bien ce qu'ils m'ont dit. Les arguments, les "preuves" qu'ils ont brandies sous mes yeux. 

Regarde les choses en face, Matt ... 

Tu vois bien que cet album de Muse que tu prétends ne pas connaître existe ... 

Tu vois bien que tu n'as aucun numéro de cette Carla dans ton répertoire téléphonique ... Aucune photo d'elle dans ton mobile, ou dans ton portefeuille ... 

Mais tout ça m'est bien égal. Ils ont beau s'évertuer à me contredire, je sais que ce qu'ils insinuent est faux. Il y a forcément une autre explication. Les poings serrés, je suis résolu à comprendre ce qui m'est arrivé. Je n'ai pas besoin de leur aide, je me débrouillerais tout seul pour démêler ce mystère.

Je leur montrerais que j'ai raison.

Tout ce que j'ai dans ma tête est bien réel.

Et je ne suis pas fou.