LXXXIII-NOUS DEUX
Non, ce pauvre chat trempé jusqu'à la moelle n'est pas un nouveau personnage de l'histoire ... ;-)
C'est juste une vision qui m'est venue en terminant l'écriture de ce chapitre. Gardez-le en mémoire pendant la lecture ! Vous comprendrez pourquoi dans quelques minutes.
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En proie à l'hystérie, je sillonne l'appartement comme un fauve en cage, les paumes pressées sur mes tempes afin de calmer les élancements douloureux qui m'assaillent. J'ai l'impression que ma cervelle se transforme en bouillie sous les assauts de la "chose" qui fourrage furieusement à l'intérieur. Et comme si cela n'était pas suffisant, l'état de mal-être qui m'afflige depuis mon réveil a redoublé d'intensité, si bien qu'il dissipe toutes les questions qui me tracassaient, notamment le trou de mémoire inexpliqué dont j'étais victime en reprenant conscience.
La tragédie de mon existence, cette foutue farce dans laquelle je me suis enrôlé comme un con il y a des années, s'est rappelée brutalement à moi avec un besoin physique et obsédant gangrénant dans mon corps. Peu à peu, j'ai perdu la notion du temps, et je ne saurais dire depuis quand je tourne ainsi en rond, psalmodiant d'incessantes lamentations. Peut-être des heures, ou bien des jours. Mais tout cela n'a guère d'importance ; la seule chose qui compte est de la trouver, elle. De mon cerveau en souffrance jaillissent des flash hallucinatoires invraisemblables et effrayants. Mon organisme s'est vidé de toute sa substance, il n'est plus qu'une enveloppe vide qui erre dans un monde dépourvu de sens, rongée de l'intérieur, révoltée par ce qui l'accable. De rage, j'ai fini par retourner tout l'appartement, vidant chaque placard, chaque tiroir en quête du remède. En vain. C'est à devenir fou.
Je traîne mes semelles de pièce en pièce sans but, sanglotant comme un enfant. Je suis perdu, mon Dieu, perdu. Comment suis-je supposé survivre à cet enfer ? Mon T-shirt colle à ma peau, je suis trempé de sueur. L'anxiété dévore mon âme. Un froid insoutenable transperce mon corps jusqu'à glacer l'intérieur de mes os. Et l'animal qui s'est introduit dans ma nuque me ronge, se sustentant de ma moelle. La sensation insupportable de mourir à petit feu s'infiltre par mes veines, et mes suppliques résonnent dans chaque pièce tandis que j'appelle impérieusement celle qui me délivrera de toute cette souffrance.
Un supplice familier. J'ai commencé à en subir les symptômes l'année qui a suivi le départ de Christopher, un ancien copain de collège, peu après la promotion du premier et unique album du groupe de musique que je formais avec lui et Dominic, mon meilleur ami à cette époque. Une association qui semblait prometteuse, mais qui n'a pas fonctionné. Mes crises me hantent depuis lors, de plus en plus fréquentes, à mesure que ma vie sombre dans la précarité.
Au souvenir de mon ex-partenaire de scène, un violent ressentiment surgit et empoisonne mon cœur. J'ai des envies de meurtres. Le désastre de mon existence est la conséquence de sa défection, je le sais. Tremblant comme une feuille, j'arpente le salon en long et en large, le film de mes échecs défilant sous mes yeux. La séparation de notre trio musical ... Mes tentatives infructueuses pour intégrer d'autres groupes issus de notre école ... Les disputes incessantes avec Dominic au sujet de mes nouvelles relations qu'il n'appréciait pas. Notre amitié n'y a pas résisté et s'est émoussée au fil du temps.
Aujourd'hui, six ans après les événements qui ont mis fin à mes rêves de reconnaissance, je n'ai plus aucun contact avec mes deux anciens camarades. J'ai vendu ma dernière guitare, il y a quelques temps déjà. J'avais besoin d'argent. Alors que la musique avait ce pouvoir fascinant de me rendre vivant, je ne compose plus. Je ne joue plus. Faute de temps. J'ai enchaîné les petits boulots pour subsister. Et faute d'inspiration, surtout. Lorsque mon amour pour elle, irrésistible, viscéral, a supplanté celui de la scène musicale.
Au fil des ans et à mon grand désarroi, elle s'est révélé une amante attachante et insatiable, toujours plus exigeante. Et l'exclusivité qu'elle affectionne a étouffé mon ambition de musicien, mobilisant toute mon énergie pour la combler. Aujourd'hui, je lui appartiens corps et âme, et suis prêt à me damner pour goûter ses faveurs, ne serait-ce qu'une poignée d'heures.
Elle, c'est l'héroïne. Un nom de circonstance ; depuis cinq ans qu'elle partage ma vie, l'opiacée s'est imposée et a littéralement obtenu le premier rôle de mon histoire. Elle est devenue à la fois mon moyen de subsistance, et mon chemin de croix. Mais qu'importe, j'ai tellement besoin d'elle. Je ferais n'importe quoi pour un fixe.
Rien qu'une petite dose. Me chuchote une voix tentatrice dans l'oreille, venue de nulle part.Tout ira mieux ensuite, mon pote ... Tes problèmes s'envoleront, tu verras ...
Le timbre désinvolte et familier d'une vieille connaissance résonne dans ma tête, et je me sens flancher. A bout de nerfs, je laisse échapper un gémissement et m'écroule sur le canapé tout proche, en pleurs.
* * *
L'esprit ailleurs, je suis des yeux Edward alors qu'il se dirige vers la porte du cabinet, son téléphone portable collé à l'oreille.
- Ne lui administrez rien pour l'instant, j'arrive tout de suite ... ordonne-t-il à son interlocuteur. Non, tâchez de le calmer et dites-lui que le docteur en charge de son dossier sera dans sa chambre d'ici cinq minutes ...
Juste avant de quitter la pièce, il me jette un regard désolé par-dessus son épaule, puis disparaît dans l'encadrement.
- ... Eh bien, débrouillez-vous, Connor ! Trouvez un moyen de le faire patienter, le temps que je vous rejoigne !
Ed poursuit sa conversation d'un ton irrité, et j'écoute sa voix s'éloigner tandis qu'il arpente le corridor vers le service des hospitalisations. Un faible sourire se dessine sur mes lèvres. D'après les bribes de conversation que je viens d'entendre, le sosie que Matthew a laissé en quittant notre dimension n'a pas tardé à faire des siennes pour attirer l'attention sur lui. L'homme est sorti en trombe de sa chambre pour faire un scandale dans tout le service, réclamant qu'on le libère sur le champ.
Les hypothèses émises par Gordon se vérifient. Le chanteur a vraisemblablement tout oublié de son séjour au Bethlem Hospital et du voyage interdimensionnel. Il s'est sans doute réveillé en sursaut juste après le processus de transfert, et doit être affolé à l'idée de se retrouver enfermé dans un hôpital psychiatrique, sans en connaître la raison ...
Une part de moi brûle de rejoindre Edward et de l'aider à rassurer cet autre Matthew. Le désir profond de revoir le visage que je chéris, ne serait-ce qu'un instant, me consume. Mais je refoule cette impulsion. J'ai conscience que l'initiative ne ferait qu'accroître mon chagrin. L'individu qui se rebelle contre sa détention dans les couloirs de l'hôpital n'a pas de lien avec l'homme qui m'a prodigué tant d'émotions et de tendresse, les mois passés. Matthew -mon Matthew- a arraché et emporté avec lui les pages intimes de notre histoire pour toujours, comme un secret. Il ne me reste plus rien de lui que la douceur de son regard et son sourire dans ma mémoire, désormais. Et pour rien au monde je ne voudrais substituer à cette image celle de l'expression belliqueuse de son homologue, en endossant le rôle de la persécutrice parmi les autres médecins.
Une vague de mélancolie me traverse, et je me cramponne aux accoudoirs de mon fauteuil en fermant les yeux, pour ne pas me laisser emporter.
Matt, où es-tu maintenant et que fais-tu ? Penses-tu à moi, comme je pense à toi ? Ressens-tu comme moi un trou béant dans ta poitrine ...
Les questions tournant sans relâche dans mon esprit, je pose un regard triste sur la petite clef nichée dans ma main. Etrangement, la vue de cet objet ordinaire m'apporte un réconfort substantiel. J'ai parlé un peu vite, le musicien m'a laissé un petit quelque chose de lui.
Piquée de curiosité, j'allume mon ordinateur portable et connecte l'appareil sur le port dédié. Je visualise le contenu du périphérique dans mon navigateur et constate qu'un fichier audio y est stocké. Matthew a-t-il enregistré un message pour moi ? Le cœur débordant d'émotion, je démarre la lecture du fichier puis extirpe de ma poche le bout de papier qui recouvrait le petit boîtier, et le déplie fébrilement.
Une mélopée musicale emplit la pièce, tandis que je parcours les premières lignes manuscrites.
J'ajuste mes lunettes et poursuis ma lecture. Mais je m'arrête bientôt, les mots se brouillent et se mettent à danser sous mes yeux gonflés de peine, indéchiffrables.
M'appuyant contre le dossier de mon siège, je ferme les paupières et m'absorbe des nouvelles sonorités. La voix de Matthew se superpose aux notes de piano et infiltre mon être, m'imprégnant de sa présence et sa mélancolie.
Le bastion de mes paupières closes n'y suffit plus. Il laisse échapper un flot de larmes, et ma peine roule silencieusement le long de mes joues, intarissable.
Matthew entonne le refrain et les sanglots affluent sous la caresse de son timbre et le tumulte de ses mots.
- Oui, c'est nous, c'est notre histoire ... Murmuré-je entre deux soupirs à l'attention du chanteur, comme s'il était présent dans la pièce, témoin de mon chagrin. Oh mon Dieu, Matt. Une ode à nous deux. Si seulement tu m'avais dit tout cela de vive voix ...
Le ressac incessant des notes fait chavirer mon âme et je m'effondre sur mon bureau, précipitée dans des abîmes inconsolables, le cœur enflé de regrets.
- Oh, comme je t'aime. Mais pourquoi t'ai-je laissé partir, pourquoi ...
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Soaked
Soaked to the bone
Sink like a stone
Walk home alone
It's not the first time, it's not the worst crime
Your soul will be okay
When you've had enough
Searching for love
And you miss the touch
Of someone new
Burned by your dreams
It's never how it seems
Cold crushed esteem
Take shelter and hide forever
Your soul will be okay
...
Et voilà ... :-(
J'espère que vous avez bien gardé l'image du chat-serpillière en tête et qu'il vous a redonné le sourire ! Allez, pour le fun, je vous le remets :
Imaginez le leader de Muse trempé jusqu'à l'os ... Il y a quelque chose, non ? L'air joyeux, les oreilles pointées ... ou la coiffure, peut-être ? ;-)
Et pour se consoler, un petit lien vers cette chanson justement, que j'aime et qui m'émeut beaucoup (les paroles et la voix de Matt, tout ça me met dans un spleen extatique à chaque fois que je l'écoute ...). Le titre appartient désormais à Adam Lambert mais je préfère de loin l'interprétation originale par Muse, touchante sans trop en faire, plus rock aussi ;-)
https://youtu.be/wNEcZ5safGw
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