LXXIX-CE N'EST QU'UN AU REVOIR ?
Le regain d'énergie qui m'animait il y a peu commence à s'émousser, à mesure que l'heure du départ approche. Je ne peux me résoudre à croire que d'ici quelques minutes, Matthew se sera envolé vers d'autres cieux, pour toujours. Et pourtant ...
Ravalant à grand peine le désarroi qui m'écrase le cœur, je me penche au-dessus du chanteur pour l'aider à revêtir le casque sur lequel est connecté un faisceau de câbles qui le raccorde à la machine. J'ajuste prudemment la lanière autour de son cou, quand une émotion subite et incontrôlée me submerge, faisant surgir un afflux de larmes à mes yeux.
Je me détourne aussitôt, mais Matthew me retient par les poignets.
- Zoey, ça va ? s'enquiert-il avec inquitétude.
- Oui, laisse-moi ... Ma voix se brise.
Aveuglée, j'essaie en vain de me dégager de lui, pestant contre moi-même de craquer aussi lamentablement.
- Je vois bien que tu es en larmes, reste-là. Il m'empêche de fuir, maintenant fermement sa prise. Attends, j'ai des câbles qui me retiennent, il faut que j'enlève ce fuc###g casque !
- Non garde-le, Gordon est prêt ! insisté-je les joues ruisselantes, arc-boutée hors de la machine pour tenter d'échapper à son regard.
Je suis catastrophée. Je voulais lui cacher mon chagrin jusqu'à ce qu'il soit enfin parti, lui laisser le souvenir d'un visage enjoué, mais ces foutues larmes ont tout gâché.
- Que se passe-t-il ? lance Gordon.
Je tourne la tête dans sa direction et à travers un voile humide, je devine la tête du psychiatre qui se dresse au-dessus de son écran.
- Gordon, on met le lancement en pause quelques minutes ... réplique Matthew près de moi.
- Ne te soucie pas de moi ! bredouillé-je en me recroquevillant sur moi-même tandis qu'il me retient toujours. Ca fait des mois que tu attends ce moment, vas-y Matt ...
- Zoey voyons, le départ peut attendre cinq minutes, viens près de moi.
Le chanteur est parvenu à mettre un pied hors de la machine et il raffermit son étreinte autour de moi. Entourée de ses bras protecteurs, je me laisse aller contre lui, les larmes roulant en abondance.
- On ne démarre pas tout de suite le programme, alors ? interroge le professeur, une pointe de déception dans la voix.
- Juste un instant s'il vous plaît, Gordon.
La voix de Matthew résonne contre mon oreille plaquée sur sa poitrine. Instinctivement, j'empoigne son blouson et enfouis mon visage dans son vêtement, honteuse de ma réaction infantile.
- Deuxième fois qu'ils me font ça ... entends-je marmonner le professeur. Sacrés bonnes femmes et leurs humeurs ...
Immobile dans les bras du chanteur, je l'écoute grommeler tandis qu'il s'éloigne vers la sortie de notre QG. Le claquement d'une porte met un terme au bougonnement et je ne perçois plus que le faible écho de ses pas dans le couloir. Soulagée de le savoir parti, je pousse un soupir étouffé. Mon crâne est prêt d'exploser et je n'aurais pas supporté un sarcasme de plus.
La joue pressée contre le torse de Matthew, je cale ma respiration sur le rythme des pulsations qui l'agite, bercée par ce mouvement. Une minute s'écoule ainsi, enveloppée d'un silence troublé seulement par le ronronnement des machines et de nos cœurs battants. Peu à peu, une sensation de bien-être m'envahit. Dans la chaleur des bras qui m'enlacent me vient le sentiment étrange et réconfortant que le monde qui nous entoure n'existe plus, envolé comme nos tracas et nous laissant tous les deux libres de nous aimer sans retenue. Je goûte avec délice à cet instant de sérénité suspendu, avec la conviction insensée que tout va bien se passer pour nous, désormais. Quelle folie ...
- Je n'aime pas te voir triste, lâche Matthew au bout d'un moment.
Extirpée de mes rêves, je me crispe légèrement.
- Je suis heureuse, rétorqué-je d'un ton qui se veut rassurant. Heureuse pour toi.
- Tellement heureuse que tu t'effondres en pleurs au moment de se quitter ? Et tout ça à cause de moi.
La voix du chanteur trahit son dépit.
- Non ! protesté-je en levant un regard navré sur lui. Je suis juste un peu trop tendue, il ne faut pas t'en vouloir ! Oh Matt, pardonne-moi, je suis faible et stupide, et je -
- Arrête ! me coupe-t-il en fronçant les sourcils. Ses yeux se plongent dans les miens, une lueur contrariée à l'intérieur. Tu n'es ni stupide, ni faible, je t'interdis de penser ça de toi !
- Mais Matt, je -
- Non, je te dis !
Le chanteur agrippe mes épaules et les secouent légèrement, comme pour ponctuer ses propos.
- Tu es quelqu'un d'extraordinaire Zoey, en as-tu conscience ? Tu as pris énormément de risques pour moi, tu en as tellement fait ... Rien de tout cela n'aurait été possible sans toi !
Je le dévisage avec un sourire dépité, dissimulant du mieux que je peux l'amertume qui m'écœure. S'il savait comme je regrette de m'être acharnée à découvrir le secret de Gordon ... Mais il a raison, je devrais cesser de penser à moi et me féliciter de lui permettre de retrouver la vie qu'il chérissait désespérément.
- Tu sais, je ne te l'ai jamais dit parce que je suis bien trop présompteux ... confie-t-il. Mais les épreuves que nous avons vécues t'ont révélée telle que tu es. Et tu es une femme généreuse et téméraire, et ardente, et ... et ...
Emporté un temps par sa verve, il s'interrompt brusquement. Il semble troublé par ses aveux impromptus et hésite à poursuivre. Mais s'il craint de trop en dire avec les mots, son visage, ses attentions le trahissent. Ses mains enserrent les miennes avec émotion et je remarque qu'une étincelle nouvelle réchauffe ses yeux.
- Oh Matt ... balbutié-je timidement, incapable de retenir mes élans d'affection. Moi aussi tu sais, je te trouve ... extraordinaire.
Matthew m'adresse un sourire irrésistible, la nuance chatoyante de ses iris parant son regard d'un éclat renversant. Ce spectacle me fait fondre. Mais sans doute embarrassé par le surcroît d'intimité entre nous, il rompt le charme en s'éclaircissant la gorge.
- Ce n'est pas vraiment la tournure que j'envisageais en démarrant cette conversation. fait-il avec un petit rire.
- C'est vrai ... rétorqué-je, gênée à mon tour. Sans compter que Gordon doit nous maudire à l'heure qu'il est pour avoir compromis son expérience, et il ne va pas tarder à nous laisser tomber si on le fait poireauter trop longtemps !
Nous sommes tous deux hilares à présent. Après toutes ces émotions, cette parenthèse légère me fait un bien fou.
- Sais-tu que devant l'imminence du départ, je ressens un sentiment bien étrange ? reprend Matthew après avoir retrouvé son sérieux.
- Ah oui ?
Mon cœur fait une embardée tout à coup.
- Oui ... J'ai eu Chris au téléphone ce matin, il était avec Kelly. Ils voulaient prendre de mes nouvelles et m'annoncer qu'ils passeraient me voir le lendemain. Et j'avoue que ce coup de fil m'a un peu mis le blues. J'avais l'impression d'abandonner mes compagnons en les quittant sans prévenir. Ca m'a vraiment troublé et j'ai presque failli leur dire "adieu" avant de raccrocher.
- Oh, je vois.
Je me rembrunis, un peu déçue. L'espace d'une seconde, j'avais espéré qu'il m'avouerait un sentiment d'une tout autre nature.
- Mais c'est un mot que je n'ai pas envie de prononcer ce soir. Poursuit-il avec conviction. Tu crois au destin, Zoey ?
- Quoi ? Je le considère avec étonnement, prise de court par ce changement brusque de sujet. Heu ... Je ne sais pas.
- Moi oui. Je suis convaincu que lorsque quelque chose doit arriver, rien ne peut y changer. Quelque soit le chemin que l'on emprunte, ce qui doit être finit tôt ou tard par se produire.
Je le dévisage pensivement, m'interrogeant sur ce qu'il peut bien entendre par là, mais son regard est devenu impénétrable.
- Et c'était notre destin que je fasse ta rencontre, tu crois ? fais-je, hésitante.
- Qui sait. Peut-être que tout cela a un sens, et nous le découvrirons un jour.
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