En bonus de ce chapitre, un père Noël plein d'entrain ! Il vient peut-être d'apprendre que les festivals musicaux de l'été sont annulés ...

:-(

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- Joyeux Noël !!

Je lève mon verre mécaniquement et toute la tablée prononce le traditionnel vœu à l'unisson. Puis à l'instar de mes hôtes, je m'apprête à me rasseoir, quand mon voisin m'attire à lui en éloignant sa coupe pour mieux m'étreindre, puis dépose un tendre baiser sur ma bouche.

- Et à nous deux, mon amour ... susurre-t-il en s'écartant de moi.

- Vous êtes adorables, s'émeut la mère de mon compagnon en reprenant place de l'autre côté de la table.

- Alors, quand est-ce que vous vous mariez et nous donnez de beaux enfants ? renchérit la sœur de cette dernière à ses côtés.

- Bientôt Rose, bientôt ... fait David avec un petit rire.

Un sourire de circonstance plaqué sur les lèvres, je m'installe sur ma chaise et avale d'un trait le contenu de ma coupe. Puis je m'empare de ma fourchette et plonge le nez dans mon assiette, priant pour échapper à de nouvelles allusions sur notre couple.

Les conversations reprennent peu à peu autour de la table et je pousse un soupir de soulagement lorsque le père de David accapare l'attention générale en évoquant l'actualité politique brûlante, suite à la défection de Tony Blair il y a quelques mois.

Avalant une gorgée d'eau, je jette un coup d'œil discret sur mon voisin. David est plongé dans une discussion agitée avec son père et ne fait plus aucune attention à moi. A l'image des autres convives d'ailleurs, qui s'expriment maintenant avec animation à propos de la profonde réforme qu'avait entrepris l'ex-premier ministre au sein de son parti ... J'esquisse un sourire las. Il semblerait bien que les débats politiques constituent le sujet de prédilection au sein de ma belle-famille. A chaque réunion, nous y avons droit.

Néanmoins, si d'ordinaire ce domaine n'est pas ma tasse de thé, aujourd'hui il me sauve, je suis soulagée de ne plus être le centre de l'attention. Bercée par le ronronnement des bavardages, je perds peu à peu le fil de la conversation mais je m'assombris bien vite. De tristes pensées tirent profit de ce désœuvrement passager pour me tourmenter de plus belle.

La poitrine gonflée d'amertume, je me remémore les événements de la veille à mon cabinet. Après mon initiative désastreuse auprès de Matthew, je suis rentrée chez moi la mort dans l'âme, puis j'ai passé l'après-midi avachie sur mon canapé à m'étourdir d'émissions télévisées insipides. Cette diversion ne m'a été d'aucun secours et ne m'a pas empêché de ressasser l'épisode, analysant les moindres gestes ou mots de Matthew, et à plusieurs reprises je me suis surprise à divaguer sur des scénarios improbables ...

Le soir venu, je n'ai été tirée de ma torpeur que par le bruit de la clef de David qui tournait dans la serrure de la porte d'entrée. Son retour réveillant en moi à cet instant seulement le sentiment accablant qui me ronge encore maintenant.

Je me trouve si méprisable ... J'ai honte de partager ce repas avec la famille de David en ce moment-même, de partager son propre lit après ce que j'ai commis. Mon attitude m'écœure, et plus encore après le geste d'affection que mon petit ami vient de me témoigner devant les siens. Après l'avoir mené en bateau des mois durant en entretenant secrètement une complicité ambivalente avec un autre homme, voilà que je l'humilie en le trompant. Et non contente de lui infliger ces turpitudes, je continue à jouer la comédie auprès de lui, prolongeant l'illusion du bonheur parfait.

La veille, alors que David s'est penché vers moi pour m'embrasser en rentrant du travail, j'étais sur le point de tout lui avouer. Je me sentais incapable de continuer à lui mentir, même en sachant que mon écart ne se reproduirait pas. Mais il s'est montré si enthousiaste à l'idée de retrouver sa famille pour fêter Noël le lendemain, je n'ai pas eu le cœur de le faire souffrir. Je sais à quel point les liens familiaux sont importants pour lui. Il m'a souvent fait part de ses regrets de ne pas rendre visite plus souvent à ses parents qui résident près de Hastings, dans l'Est du Sussex et à deux heures de Londres. Malgré une relative proximité, nos vies professionnelle et personnelle bien remplies l'empêchent de retrouver la maison familiale aussi souvent qu'il le souhaiterait, et nous ne nous y rendons que quelques fois par an, à l'occasion de repas de famille comme celui-ci.

J'ai donc saisi le prétexte des fêtes de fin d'année pour renoncer à ma décision de tout lui dire. Mais je sais qu'il ne s'agit que d'un sursis et que je dois trouver le courage de lui exposer la vérité sans fard, et ce dès notre retour à Londres. Un peu perplexe quant à ce que peut représenter "la vérité sans fard", je ne suis pas certaine de savoir à quoi je dois m'en tenir pour lui présenter la situation. Que lui dire ...

Que je suis amoureuse de mon ex-patient ? ... Que je ne l'aime plus ? ... Que je veux rompre ...

La rudesse d'une telle annonce le soir de Noël me déchire le cœur. Mais je dois voir la réalité en face, à l'instar des conseils que j'ai moi-même prodigués à Matthew la veille. Même si l'amour que j'éprouve pour le chanteur est sans retour, il a étouffé depuis quelques temps déjà les sentiments profonds qui me liaient à mon compagnon. Peut-être même depuis le commencement.

Une immense tristesse me submerge alors que cette révélation fait sens en moi. Oui, je dois être honnête envers David, comme envers moi-même. J'ai cette vérité tapie au fond de moi depuis le début ; je suis tombée infiniment et irrémédiablement amoureuse de Matthew dès le tout premier jour et depuis lors, plus rien d'autre n'a compté.

Et désormais, alors que je vois les faits tels qu'ils sont réellement, un doute me tenaille et je regrette de n'avoir pas insisté davantage auprès du chanteur quand j'en avais l'occasion. Si je m'étais déclaré ouvertement après notre étreinte écourtée, les choses auraient-elles été différentes de ce qu'elles sont aujourd'hui ?

- On ouvre les cadeaux ?

Une voix chuchote près de mon oreille et me fait sursauter.

- Oh ! ... Oui, bien sûr ! balbutié-je sous le regard amusé de David.

Il m'adresse un sourire puis me prend par la main et m'entraîne vers le sapin. Le reste de la tablée se lève pour nous rejoindre.

David et moi échangeons nos paquets au pied de l'arbre, et je découvre avec stupeur qu'il m'a offert Hullabaloo de Muse, un double album regroupant le concert du groupe à Paris en 2001 et plusieurs de leurs faces B enregistrées en studio.

- Je sais que tu les adores et que tu aimes les écouter quand tu t'enfermes dans le bureau à la maison, mais j'ai remarqué qu'il manquait celui-ci à la petite collection que tu gardes dans ton armoire.

Les yeux fixés sur la pochette de l'album, je refoule à grand peine mon désarroi. Quelle ironie du sort ! Manifestement, David cherche à enterrer nos différends passés à propos du chanteur avec ce présent. Et moi qui m'apprête à rouvrir les mêmes cicatrices d'ici peu ...

Un peu plus tard dans la journée, alors que tout le monde sirote son thé en digérant son repas, je profite d'un moment où personne ne s'adresse à moi pour me lever discrètement et faire quelques pas jusqu'à la porte-fenêtre, une tasse fumante à la main.

Appuyée contre l'encadrement, je me refugie dans la contemplation du paysage hivernal. Une fine couche de neige camoufle la végétation et redessine les courbes du vallon avec douceur. Le soleil est bas dans le ciel et une lumière brûlée balaye l'étendue immaculée, réchauffant l'ambiance glacée d'un halo incandescent. Je me délecte sans fin de ce tableau coloré, un tel spectacle me réconforte.

Tout comme la résolution que je viens de prendre un peu plus tôt. Dès le weekend terminé, je fonce à l'hôpital pour parler à Matthew. Je dois tenter ma dernière chance de le garder auprès de moi. Je veux lui dire que je l'aime et que je suis prête à tout quitter pour lui. Qu'il sache que mon cœur lui appartient avant qu'il ne parte pour de bon.

Avec un regain d'espoir, j'avale une gorgée de thé. Puis je chuchote en direction de l'horizon rougeoyant :

- Je te souhaite un joyeux Noël, Matthew.