- Qu'est-ce que vous voulez dire ? Siffle Gordon Cumberbatch. Vous ne savez pas de quoi vous parlez.

- Possible. Concédé-je. Mais je sais que vous ne tenez pas à ce que quiconque sache ce que vous complotez dans cette pièce. Et ce détail me suffit.

Une note de triomphe perce dans ma voix. L'homme plisse les yeux et me considère un long moment sans décrocher un mot.

- Mais bon sang, qui êtes vous tous les deux ? Lâche-t-il enfin, sur la défensive. Et que me voulez-vous ?

Je garde le silence, une intuition m'incitant à ne pas trop en dire. Je ne saurais expliquer pourquoi, mais ses dernières paroles résonnent en moi de façon étrange. J'ai la certitude que le docteur dissimule un secret aux terribles implications et dont personne n'est au courant ici, sa fonction de directeur d'unité psychiatrique consistant à couvrir ses obscures activités.

- Je ne fais de mal à personne ! Renchérit-il, de plus en plus agité. Mais je n'hésiterais pas à vous en faire si vous m'y contraignez !

Je m'efforce de rester impassible tandis qu'un ouragan se produit en moi. Mon cœur explose dans ma poitrine, je suis convaincue désormais de toucher du doigt le mystère qui pourrait enfin expliquer les troubles de Matthew. Il s'agit cependant de rester prudente.

- Nous ne cherchons pas à vous faire du mal. Déclaré-je en choisissant mes mots avec précaution. Nous souhaitons seulement que Matthew retrouve une vie normale.

- Mais je n'ai rien à voir avec ce qui lui est arrivé ! Proteste le psychiatre. Je ne sais même pas de quoi il souffre exactement !

Je jette un bref coup d'œil au chanteur. Pendant mes échanges avec Gordon, j'ai entrepris de le délivrer de sa veste de contention et désormais il se tient calé contre moi, libre de ses mouvements. Il commence à s'agiter, marmonnant quelques sons avec difficulté.

- Nous avons de bonnes raisons de croire le contraire ! Poursuis-je avec véhémence. Des souvenirs le hantent et le rattachent à Carla, votre propre nièce. Ce ne peut être qu'une simple coïncidence, il y a un élément qui vous lie à Matthew et vous le savez bien ! Et je suis convaincue que la réponse à cette énigme se trouve derrière cette foutue porte !

- Mais non je vous assure ! Je ne connais pas cet homme, ni son groupe de musique ! Comme je vous l'ai dit, j'entends son nom pour la première fois ce soir.

La colère qui me ronge depuis un moment et que je m'efforce tant bien que mal de juguler s'enflamme d'un coup. L'obstination de Gordon à nier l'évidence agit sur moi comme un détonateur et toutes mes tensions accumulées ces dernières heures explosent en un torrent de paroles amères.

- Ainsi donc, les maux de tête effroyables qui torturent la pauvre diable dès qu'il descend dans ce sous-sol, cette "bête" qui lui ronge la cervelle quand il s'approche de cette mystérieuse porte, c'est juste un effet de son imagination ? Je l'ai vu se plier en deux de douleur, ces crises sont bien trop violentes pour être le fruit de simples hallucinations ! Quelle opération abominable lui avez-vous fait subir, docteur ?!

Je m'interromps, le souffle court. Le professeur est livide, ses traits se sont décomposés. Si j'espérais le faire réagir, je ne m'attendais pas à un tel choc. Devant l'air ahuri qu'il affiche, ma fureur s'évapore en un instant.

- C- Comment ? Bredouille-t-il. Vous avez dit ... une bête ?!

- Er ... Oui. Je réponds en baissant d'un ton, décontenancée. C'est ainsi qu'il a décrit ses crises, une sorte d'insecte qui farfouille et creuse dans son crâne, causant une douleur insupportable. Qu'est-ce que tout cela signifie ?

En guise de réponse, l'homme se met à tourner dans la pièce comme un possédé, marmonnant entre ses dents un flot de paroles inintelligibles. De toute évidence, le détail que je viens de lui révéler le bouleverse profondément. 

- Docteur ... Hasardé-je au bout d'un moment en élevant la voix au-dessus de ses borborygmes. Que se passe-t-il ?

- Un insecte ! Eructe-t-il en pivotant sur lui-même, un doigt pointé dans ma direction. Vous rendez-vous compte ?!

- Er ... Je n'en suis pas sûre.

- C'est la première fois depuis toutes ces années qu'il arrive une telle chose, moi qui pensait être le seul ! Lâche le professeur, en proie à une excitation grandissante. Attendez voir ... L'amnésie, les souvenirs d'épisodes non réellement vécus qui reviennent sans cesse, ces maux de tête foudroyants et si particuliers ... Et quoi d'autre, encore ?

Sans attendre de réponse, Gordon se précipite sur moi et me saisit vigoureusement par les épaules. Surprise, je pousse un cri effrayé et Matthew sursaute à mes côtés.

- Quoi d'autre ?! Insiste-t-il en me secouant brutalement, une lueur fanatique dans le regard. Quels sont les autres symptômes de votre patient ? A-t-il l'impression d'avoir été catapulté dans un monde qu'il ne reconnaît pas ? Et qu'un grand nombre de faits divers ont changé autour de lui, même à propos de gens qui n'ont aucun rapport avec sa propre vie ?

- T ... To ... ny ...

Je tourne la tête vers l'auteur de l'intervention. Matthew s'est accroché d'une main à mon bras comme un navire à la dérive jette l'ancre pour s'amarrer. Il nous fixe tour à tour, les yeux écarquillés pour s'obliger à les maintenir ouverts. Sa tête est dodelinante et une brume voile le bleu royal de son regard, mais je lis sans peine l'acharnement qui l'habite. Fronçant les sourcils sous l'effet d'une intense concentration, il ouvre la bouche à nouveau et articule en détachant chaque syllabe d'une voix pâteuse :

- To-ny ... Blair ...

Malgré ses efforts, il a parlé dans un souffle et je ne suis pas certaine d'avoir bien saisi. J'échange un regard interloqué avec le professeur.

A-t-il réellement prononcé le nom de notre ex-premier ministre ?