LII-LE REFUGE DE TES BRAS
Epuisée, je me laisse aller dans les bras de Matthew. Il me cajole, caressant mon dos et me susurrant de tendres paroles pour me consoler. Ma crise d'angoisse s'apaise peu à peu mais je n'esquisse aucun mouvement, trop heureuse d'être de nouveau à ses côtés alors que je désespérais de le revoir un jour. Mon cœur palpitant contre le sien, je savoure notre étreinte qui se prolonge, un peu trop sans doute. Bien au delà de ce que ce que je qualifierais comme convenable, dans mon état normal. Et ce contact intime m'insuffle bien plus qu'un sentiment de réconfort. Ses délicates attentions réveillent le feu ardent qui couvait insidieusement à l'intérieur de moi durant les semaines passées loin de lui. Libérée, cette chaleur gonfle et tourbillonne dans le creux de mon ventre comme le magma d'un volcan.
Je suis lasse de contenir ce que je ressens pour lui ce soir, je n'y tiens plus. Débordante d'émotions, je m'agrippe à lui sans plus de retenue et enfouis mon visage dans son cou. Je veux me griser de son parfum ne serait-ce qu'une fois, frissonner dans ses bras juste un instant. Mon corps embrasse le sien et s'électrise, refoulant le désespoir qui m'habitait jusque-là, faisant naître un maelstrom d'étoiles crépitantes dans ma tête. J'ai l'impression de flotter confusément entre deux eaux. Une nébuleuse assaillie d'humeurs contradictoires m'embrume l'esprit, l'euphorie catapultant la peur, l'exaltation entachée de honte.
Une part de moi sait que je brave un interdit et pire encore, que j'aggrave ma situation en me jetant à corps perdu dans les bras d'un homme qui n'est pas le mien ... Mais je ne peux me résoudre à me séparer de lui. J'aimerais jouir de ses égards encore un peu, consciente qu'il s'agit là d'une offrande fortuite qui ne se renouvellera certainement plus.
- Zoey ... Chuchote Matthew près de mon oreille.
Le son de sa voix est une véritable caresse, un cataplasme pour mon âme endolorie. Il ne me lâche pas et me tient pressée contre lui. Est-il assailli du même trouble et souhaite-t-il comme moi prolonger cet instant ? Mais je m'égare, il fait preuve de prévenance et cherche à me réconforter, c'est tout.
- Je suis désolée, Matt ... Je murmure enfin d'une voix étouffée. Je m'en veux pour ce que je t'ai fait ...
Je n'arrive pas à me détacher de lui si bien que mes lèvres frôlent sa peau en remuant, captant au passage sa saveur acidulée mêlée du sel de mes larmes. Le brasier rayonne davantage dans le creux de mon ventre et mon corps se contracte contre le sien. S'il ne se décide pas lui-même à me repousser, je crois bien que je n'en aurais pas la force, et je resterais à jamais pendue à son cou.
- Mais de quoi parles-tu, Zoey ? Fait-il doucement. Explique-moi ce qui s'est passé.
Le musicien me prend les mains et dénoue mon étreinte autour de lui, puis il se recule légèrement pour capter mon attention. Je me dérobe en baissant la tête, bien trop remuée pour soutenir l'intensité magnétisante de ses deux lunes bleutées, alors que son visage est si proche du mien désormais. Je sens toutefois le poids de son regard sur moi et réponds à contrecœur :
- Je - J'ai voulu t'aider à comprendre. Je pensais que j'y arriverais tout seule ... Mais j'ai commis une grosse erreur.
- Comment ça ? Quelle erreur ? Et que voulais-tu comprendre ?
- J'étais à la soirée donnée par l'hôpital à l'occasion des fêtes de fin d'année pour le personnel, et je m'ennuyais ferme ... Et c'est là que je l'ai vu. Gordon Cumberbatch.
- Lui ?! Ne me dis pas que tu as cherché à l'aborder ?
Je lève les yeux sur Matthew. Il me fixe, soucieux.
- Si ... Mais je pensais que c'était l'occasion ou jamais, il était à l'écart de la foule près du buffet.
- On en avait déjà parlé, je t'ai dit qu'il était dangereux, Zoey ! Pourquoi as-tu agi seule ?
- Mais on ne se voyait plus depuis des semaines ! Balbutié-je, au bord des larmes. J'étais désemparée, je ne savais plus quoi faire pour t'aider. J'ai pensé bien faire ...
Mes yeux se plongent dans ses prunelles auréolées d'azur. Et puis tu m'as tellement manqué, j'en devenais folle ... Me dis-je intérieurement.
- Pourtant je t'avais mis en garde contre lui, je ne sens pas cet homme-là. Fait Matthew, inconscient de mes éparpillements émotionnels. Tu es encore plus irresponsable que moi, décidément. Les reproches de ton chef ne t'ont pas suffi ?
Je le dévisage, accablée. Il a détourné le regard, mais je vois à ses traits tirés qu'il est contrarié. Je l'ai déçu.
- Pardon Matt ... Tu as raison, j'ai agi comme une idiote.
Il reporte aussitôt son attention sur moi, la sollicitude succédant à la colère.
- Zoey, ne dis pas de bêtises. J'aurais aimé que tu restes éloignée de tout ça, je ne veux pas que tu prennes encore des risques pour moi ... Que s'est-il passé avec lui ? Raconte-moi.
- J'ai engagé la conversation et il s'est montré indifférent lorsque j'ai abordé le sujet de la famille de son épouse, et de sa nièce Carla.
- Ah ... Fait Matthew, en haussant les sourcils. Et ensuite ?
- J'ai évoqué un patient dont j'avais la charge et qui était hospitalisé ... J'évite le regard du chanteur, me sentant coupable. Et stupidement, j'ai cité ton nom.
Je l'entends pousser un juron étouffé et ma poitrine se comprime d'affliction.
- Oh Matt, je te demande pardon, je ne voulais pas t'attirer des ennuis ... Mais jusque là, il était resté parfaitement impassible à toutes mes allusions, il ne semblait pas du tout suspect ! Et d'ailleurs il n'a pas réagi lorsque j'ai parlé de toi. Absolument rien, il est resté de marbre.
- Vraiment ? C'est étrange ... Mais dans ce cas, pourquoi prétends-tu que tu as agi stupidement ?
- Eh bien, son attitude m'avait tellement conforté dans mon idée qu'il n'avait rien à voir avec le drame qui t'entoure, j'ai donc décidé de parler de cet autre patient ... Richard Dadd. Je me cramponne au T-shirt de Matthew, bouleversée. Et là, il s'est comme ... métamorphosé, je t'assure Matt ! Ce nom l'a mis hors de lui et il m'a sommé de lui dire comment je le connaissais !
- Zoey ... Le chanteur me secoue mollement contre lui. Tu aurais dû m'écouter ...
- Je m'en rends compte maintenant. Fort heureusement, Ed nous a rejoint sur ces entrefaites, et j'ai pu me sauver. Mais si tu avais vu la lueur menaçante qui brûlait dans ses yeux ... Il est devenu effrayant !
Matthew resserre son étreinte d'un geste rassurant et pousse un soupir.
- Sa réaction est éloquente. Ton initiative aura eu le mérite de nous confirmer que ce tableau est important aux yeux du professeur et qu'il cache un lourd secret.
- Oui, mais maintenant je suis découverte ! Il sait que c'est moi qui suis allée fouiller dans le sous-sol l'autre soir. Et il t'associe certainement à mes manœuvres, avec l'allusion que j'ai faite sur toi juste avant ! Je viens de te mettre en danger ...
Le chanteur hausse les épaules.
- De toute façon, il fallait bien le confondre un jour. Et s'il est à l'origine de mes malheurs, il devait se douter que j'étais l'auteur des fouilles. C'est plutôt le fait qu'il te sache toi aussi impliquée qui me chagrine.
Je relève la tête vers lui, affolée.
- Matt, que va-t-on faire ? Ma voix devient stridente. Il m'a menacé ! Et il sait que tu es hospitalisé ici en ce moment-même. Dieu sait de quoi il est capable maintenant qu'il a compris que l'on continue d'enquêter sur lui !
- Ne t'inquiètes pas, nous sommes dans un hôpital. Il ne va tout de même pas me poignarder dans mon sommeil. Les traits du chanteur se crispent et une ombre traverse son regard. Enfin, je l'espère ...
Il fourrage ses cheveux d'une main, en proie à une vive agitation. Puis pris d'une impulsion, il me saisit brusquement par les bras.
- Ecoute, si j'en crois ce que tu m'as dit, il doit s'enorgueillir de t'avoir foutu une belle frousse en ce moment-même. Il s'imagine sans doute que tu vas mettre un moment à réagir ... Alors, c'est peut-être l'occasion de prendre une longueur d'avance sur lui.
- Comment ça ? Je ne comprends pas, Matt !
Son regard enflammé se plante dans le mien et lorsqu'il reprend la parole, il détache ses mots un à un comme pour prononcer une sentence, provoquant un frisson qui me parcourt l'échine.
- Il faut retourner dans ce sous-sol dès maintenant, Zoey.
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