CX-RIEN VOIR ET RIEN ENTENDRE
"Zoey, tu m'entends ? C'est Natacha ! ... Ouvre-moi , s'il te plait, je sais que tu es chez toi !"
Le coeur serré, je me tiens pelotonnée sur le divan et plaque mes paumes contre les oreilles. Après la tournure catastrophique qu'ont pris les événements ce matin-même à Bethlem, je ne me sens pas le courage d'affronter qui que ce soit. Pas même ma meilleure amie.
" Ouvre, je te dis ! "
Je me recroqueville de plus belle, affligée. Il y a bien deux minutes que la jeune femme tambourine contre ma porte et me supplie de lui ouvrir. En dépit des efforts que je déploie, je suis impuissante à m'isoler du monde extérieur et l'éclat de sa voix me parvient toujours.
"J'ai eu Ed au téléphone tout à l'heure, poursuit-elle imperturbablement, il faut qu'on discute toutes les deux ! "
Avec un soupir de résignation, je me redresse sur le sofa. Ainsi, tout le monde est déjà au courant de ce que j'ai fait ? Ceci dit, comment pourrait-il en être autrement.
" Zoey, je t'en prie ... insiste la voix agacée. Je veux t'aider ! Je te préviens, si tu n'ouvres pas immédiatement, je hurle encore plus fort jusqu'à ce qu'un voisin daigne se montrer ou appelle la police ! Et tu me connais, j'en suis capable !"
Un faible sourire se dessine sur mes lèvres. Il n'est point besoin que Natacha me précise ce détail, je sais qu'elle mettra tout en oeuvre pour arriver à ses fins.
" Ne me donne pas l'occasion de mettre ma menace à exécution, Zoey, renchérit mon amie de l'autre côté du chambranle, sinon tu -"
Je ne lui laisse pas le temps d'achever sa phrase. D'un bond, je m'élance vers la porte d'entrée et l'ouvre en grand. Le visage de mon amie m'apparaît brusquement ; elle s'est tu et me fixe, interdite. Sans un mot, je tourne les talons et regagne le séjour.
Le silence est de courte durée, toutefois, et je n'ai pas encore atteint le sofa que les reproches reprennent de plus belle dans mon dos.
- Zoey, écoute-moi, voyons ! Tu as une mine effroyable ! Pourquoi ne m'as-tu rien dit lors de nos dernières conversations au téléphone ? Si j'avais su que tu allais si mal, je serais venue bien plus tôt !
- Ne t'en fais pas, Natacha, ça va aller, éructé-je en m'écroulant dans le refuge de mon canapé.
Le regard fuyant, je m'empare aussitôt d'un énorme coussin et le serre contre ma poitrine, tel un rempart, tandis que la silhouette de Natacha s'immobilise en face de moi.
- Tu penses vraiment ce que tu dis ? me tance-t-elle. Ce n'est pas ce que j'ai compris du coup de fil d'Edward. Il semble que tu sois dans les ennuis jusqu'au cou !
Je hausse les épaules sans répondre puis me penche pour saisir un mouchoir en papier sur la table basse attenante.
- Pourquoi ne t'es-tu pas confié à moi, Zoey ? Je suis pourtant ton amie ! Je t'en veux, tu sais ! Tu m'as fait tant de cachotteries en ce qui concerne Gordon et Matthew !
A contre-coeur, je lève le menton vers de la jeune femme. Celle-ci me jauge sévèrement.
- Tu venais d'accoucher, Nat. tenté-je de me justifier. Tu avais assez à faire avec l'arrivée de ton bébé pour te faire du mauvais sang pour moi.
- Mais tu es ma meilleure amie ! s'indigne Natacha. Tu n'as pas à prendre de gants avec moi, tu peux tout me dire !
- Certes, mais la situation était compliquée. J'avais promis à Gordon de ne rien divulguer de son secret.
- Son "secret" ?! Mais qu'est-il arrivé entre les murs de ce souterrain, explique-moi ! Edward m'a parlé d'une machine énigmatique qu'il a découvert en se rendant sur les lieux aujourd'hui. D'après lui, Gordon a effectué des expériences sur ton ex-patient, et tu étais sa complice. Est-ce vrai, avez-vous manipulé le cerveau de ce pauvre diable ?
Je détourne les yeux avec une moue dépitée. Les événements de la matinée défilent à nouveau dans mon esprit; la découverte de la disparition de Gordon en premier lieu, à laquelle ont succédé les accusations d'Edward. Convaincu de mon implication dans l'affaire, ce dernier m'a trainé de force au sous-sol du bâtiment avec l'aide d'autres infirmiers. Puis il a passé les lieux au crible fin jusqu'à ce qu'il découvre enfin la remise qui renfermait la fameuse machine du professeur.
- Ed a l'imagination trop fertile. marmonné-je. Tu me crois capable d'un truc pareil ?
- Pas vraiment, non. J'avoue être tombée de ma chaise lorsqu'il m'a fait part de ses découvertes et des soupçons te concernant. C'est un scénario totalement surréaliste ! Et puis un tel comportement ne te ressemble pas du tout. C'est d'autant plus improbable que tu es amoureuse de Matthew depuis quelques temps déjà. J'ai bien raison, n'est-ce pas ?
Je fixe le visage de mon interlocutrice d'un regard triste. La culpabilité empourpre mes joues mais je ne cille pas.
- Je vois que je suis dans le vrai, poursuit Natacha. J'avais compris que tu avais le béguin pour lui à l'automne dernier, mais je n'étais pas sûre que ce soit sérieux. Ta récente rupture avec David a confirmé mes craintes.
- Oui, soufflé-je avec un léger signe de tête. Tu as raison.
- S'il te plait, Zoey, dis m'en plus ! Que faisais-tu avec le chanteur et Gordon dans son sous-sol ? Comment Matthew a-t-il pu guérir miraculeusement de ses troubles psychiatres ? Et où est donc passé Gordon ?
- Si je te réponds, tu ne me croieras pas. Et puis c'est trop tard, tu ne peux plus me venir en aide. Mon univers s'est effondré lorsque Matt a quitté cet hôpital pour toujours. Aujourd'hui, Je n'ai plus rien à perdre, il ne croulera pas plus avec un nouveau cataclysme.
- Mais enfin, reprends-toi, Zoey ! Je ne t'ai jamais vu aussi amère ! Je te connais, tu t'es toujours battue pour les causes qui te sont chères ! Si tu es tombée amoureuse de ton chanteur, pourquoi ne pas t'être déclaré auprès de lui ? De toute évidence, tu ne le laissais pas indifférent. Ne t'es-tu pas séparé de David pour cela ?
- Je te dis que c'est trop tard, Nat ! Je ne pouvais pas empêcher Matthew de retourner là d'où il vient, il en aurait été malheureux. Et je l'aime bien trop pour lui faire du mal.
- Je ne comprends rien à ce que tu racontes, Zoey. me sermonne-t-elle. Pourquoi tant de mystères !? Et pourquoi avoir déguerpi de l'hôpital, ce matin ? Ton attitude ne résout rien, elle est irresponsable ! Edward était furieux quand il m'a rapporté ta fuite. Selon lui, tu as profité d'un instant d'inattention de sa part suite à la découverte de la machine de Gordon pour lui fausser compagnie, et ensuite, tu t'es volatisée ! Te rends-tu compte des implications d'un tel comportement ? Ce n'est plus une simple mise-à-pied qui te pend au nez, Zoey, c'est le licenciement pur et simple ! En espérant que l'établissement ne fasse pas ouvrir une enquête pour en savoir plus sur la disparition du professeur et sur ses activités suspectes !
Les nerfs à vif, je n'y tiens plus. Je m'effondre en pleurs, délaissant la carapace d'indifférence résignée dont je m'étais revêtue jusqu'ici.
- Je suis à bout, Nat ! gémissé-je. Il y a des mois que je vis un enfer, si tu savais ! La mise au grand jour du terrible secret qui hante ce sous-sol et me pèse tant m'a fait perdre la raison ! Je me suis sentie acculée, j'ai paniqué devant les reproches d'Edward. C'était insupportable, je ne voulais plus rien voir, plus rien entendre ! Alors comme une enfant, je me suis sauvée ...
Roulée en boule sur le sofa, j'enfouis mon visage dans mes mains, le corps secoué de sanglots.
- Mon Dieu, Zoey ...
Deux bras se posent sur moi et m'enveloppent dans leur chaleur. Effondrée, je m'y blottis, la joue calée contre l'épaule de mon amie. Après un moment, apaisée par les bercements réconfortants de la jeune mère, je me redresse en reniflant, mes doigts tâtonnant vers la petite table à la recherche d'un autre mouchoir en papier. Assise à mes côtés, Natacha s'empare de ma main libre et l'empoigne avec force.
- Quoi qu'il ait pu advenir, je te soutiens. chuchote-t-elle d'une voix cajolante, son visage tout proche du mien.
Ses yeux plongent dans les miens et je m'absorbe dans leur lumière. Ses prunelles reflètent une foi sincère et indéfectible qui me touche profondément.
Mais peu à peu, la flamme qui anime son regard me décontenance ; elle me rappelle celle qui auréolait le regard renversant de Matthew, autrefois. Toute au souvenir de celui qui a fait chavirer mon coeur, je me repais de ce feu, y réchauffe mon âme empreinte d'une nostalgie glacée.
- Ensemble, on va te sortir de là, j'en suis certaine, renchérit Natacha avec conviction. Mais avant tout, il faut que tu cesses tes cachotteries.
J'hésite un instant, puis acquiesce d'un signe de tête. Si contrairement à elle, je n'ose fonder un quelconque espoir d'une conclusion heureuse, je suis reconnaissante à Natacha d'être là pour moi. Me sachant menacée, elle s'est empressée de me venir en aide, en dépit des griefs dont je fais l'objet. Une telle abnégation de la part de ma fidèle amie m'émeut profondément et je me dois d'être honnête envers elle en retour.
- Raconte-moi tout, m'encourage-t-elle d'une voix douce.
Le coeur battant, je m'exécute.
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