CIX-COMME DEUX LARRONS EN FOIRE
- Calmez-vous Matthew, vous ne risquez rien ! Personne ne vous veut aucun mal ...
Sourd aux tentatives du professeur pour m'apaiser, je me presse de plus belle contre la paroi de pierre. Recroquevillé dans un recoin de l'alcôve, le dos collé au mur glacé, je suffoque, les yeux clos afin de me soustraire à cette vision cauchemardesque.
- Matthew, vous m'entendez ? (Deux mains se posent de part et d'autre de mon visage. Instinctivement, je me recule pour leur échapper mais elles me maintiennent fermement et empêchent tout mouvement.) C'est moi, Gordon ! Vous ne craignez rien, je vous dis.
- Lâch ... Lâchez-moi ... ahané-je, le souffle saccadé.
- Respirez calmement, vous êtes en train de faire une crise d'angoisse ... Là, détendez-vous. Ca va passer.
Apaisé par le discours de Gordon et la chaleur de ses paumes sur ma peau, je me laisse aller contre la cloison, libéré peu à peu de la tension qui bandait tous les muscles de mon corps. Au bout de quelques minutes, ma respiration s'est enfin calmée mais je me sens à bout de forces. Une torpeur irrésistible s'empare de moi, si bien que je pique du nez dans les bras du professeur.
- Eh bien, mon ami ! fait-il en me soulevant doucement la tête. C'était impressionnant ! Qu'est-ce qui vous a fait paniquer ainsi ?
- Je ... C'est cet homme ... bégayé-je, l'esprit engourdi. (Les paupières toujours baissées, je lève un doigt dans une direction approximative.) ... allongé juste là ...
- Quel homme ? Il n'y a personne ici, à part vous et moi !
Agacé, je m'efforce de me redresser et ouvre les yeux.
- Mais justement, cet homme, c' ...
Les mots meurent sur mes lèvres, laissant ma phrase inachevée. Abasourdi, je parcours le carrelage affaissé d'un regard hagard, embrassant l'alcôve toute entière. Le corps a disparu.
- Je l'ai vu. Il était là, je vous assure, seriné-je faiblement.
- Allons, soyez raisonnable Matthew. intervient Gordon d'un ton réprobateur. Vous voyez bien qu'il n'y a rien ! Vous avez été victime d'hallucination.
Le regard toujours perdu sur le sol, je secoue la tête.
- Je ne comprends pas ... soufflé-je. C'est impossible.
Un mouvement à mes côtés interrompt ma complainte. Gordon se lève sans un mot et s'éloigne derrière le paravent. Puis l'instant d'après, il réapparaît, un instrument à la main. Il s'agenouille devant moi et brandit devant lui ce qui ressemble à un stéthoscope.
- Ne bougez pas, me sermonne-t-il. (Ce faisant, il s'empare de mon poignet sans ménagement afin de mesurer mon pouls, puis commence à m'ausculter.) Dites-moi, Matthew, de quand date votre dernière dose ?
- Pardon ? fais-je, interloqué.
L'homme suspend son examen et plante ses yeux dans les miens, la mine sévère.
- L'héroïne. Quand en avez-vous pris pour la dernière fois ?
- M-Mais non, je ne touche plus à ...
- Ca suffit Matthew. Pas de mensonge avec moi. Je sais que Carla et vous en consommez toujours. Il n'y a qu'à voir votre état, je l'ai remarqué dès votre arrivée dans ce cabinet. Les pupilles dilatées, les mouvements oculaires rapides et en saccade, le tremblement des mains ... Vous êtes en sevrage depuis plusieurs jours, c'est ça ?
- Oui, c'est vrai ... soupiré-je, résigné. Mais je vous assure que je n'ai pas d'hallucination !
- Alors comment expliquez-vous ce qui vient de se passer à l'instant ? objecte Gordon en se hissant sur ses jambes. L'agitation extrême, les crises d'angoisse et les visions hallucinatoires sont des symptômes typiques de l'état de manque ...
- Mais pas ce genre de visions, docteur ! m'exclamé-je avec humeur, en me redressant à mon tour.
- Allons, dites-moi la vérité. poursuit le professeur avec sarcasme. Vous êtes venu ici en espérant vous procurer des stupéfiants, c'est ça ? Ou des produits de substitution ? Peut-être même est-ce Carla qui vous a suggéré cela ?
Sans attendre de réponse, le docteur se détourne pour rejoindre son bureau.
- Attendez ! (La colère se substituant à la peur, je lui emboîte le pas.) Vous vous fourrez le doigt dans l'oeil ! Et d'ailleurs, Carla ne sait pas que je suis ici !
- Vous m'en direz tant !
- Parfaitement ! renchéris-je, piqué au vif. Si je suis venu vous voir, c'est uniquement pour vous parler de ces rendez-vous que nous avions tous les deux, l'an passé !
Si mes intentions étaient de le déstabiliser, c'est réussi. L'homme se fige aussitôt. Une poignée de secondes s'écoulent avant qu'il ne réplique avec dédain :
- Eh bien quoi, nos rendez-vous ? Que vous voulez-vous savoir ?
- Expliquez-moi à quoi nous occupions tout ce temps ensemble.
Gordon jette un regard chargé de mépris dans ma direction.
- Pourquoi ? Vous ne vous en souvenez plus ? Ca aussi, c'est un symptôme qui devrait vous alerter sur votre toxicomanie excessive ... Elle finit même par vous ôter la mémoire. Du reste, ces rendez-vous n'étaient pas aussi fréquents que vous le prétendez. Vous n'êtes venu ici qu'à quelques occasions seulement en un an.
- Ce n'est pas ce que Carla m'a fait comprendre. D'après elle, j'allais vous rendre visite plusieurs fois par mois, elle parle de nous comme "deux larrons en foire".
- Bah ! fait le professeur en haussant les épaules. Elle vous aura bourré le mou pour se distraire, sans doute !
- Et ce n'est pas non plus ce que m'a dit votre secrétaire. Figurez-vous qu'elle m'appelle par mon prénom et se souvient très bien de mes fréquentes allées et venues, l'an passé.
Gordon, qui s'était attelé à mettre en ordre son bureau en triant une pile de dossiers, interrompt sa tâche, me dardant d'un regard furieux.
- Quel jeu jouez-vous, Matthew ? maugréé-t-il. Cela ne vous servira à rien de remuer le passé. Ne vaudrait-il pas mieux utiliser votre énergie pour vous soigner et entamer une cure de désintoxication ?
- Je veux savoir ce qui s'est passé entre ses murs ! vociféré-je, excédé par la mauvaise foi du professeur. Je sais que vous vous en foutez, mais ça fait un mois que je vis un véritable cauchemar ! Et ne me dites pas que c'est à cause de l'héroïne, je sais faire la différence !
- Carla a raison sur un point, décidément ; vous êtes vraiment borné !
- Ne vous moquez pas de moi, Gordon ! Depuis un mois, je rêve de visages inconnus, de sang et de catastrophes ! J'ai l'impression de vivre dans le corps d'un autre ... Je suis pris d'amnésie concernant mes liens avec vous, et mes poils se hérissent sur ma peau dès que je me trouve dans cette pièce, ou rien qu'en votre présence ! J'ai même entendu une voix qui s'adressait à moi depuis l'intérieur de ma tête ! Et vous allez me dire que tout ce qui m'arrive est la simple conséquence de la prise d'héroïne ?! Je vous dis qu'il y a autre chose, quelque chose qui m'est arrivé ce fameux jour, il y a de ça plusieurs semaines, quand je me suis réveillé avec le sentiment que je débarquais de nulle part !
A bout de souffle, je me tais enfin. Je reste un moment planté là, le regard fixé sur le tapis usé à mes pieds, quand je me surprends à rire tout seul.
- Je sais ce que vous devez penser, Gordon. énoncé-je d'un ton désabusé. J'ai sonné au bon endroit, c'est ça ? Entendre des voix, voir des corps ensanglantés ... Je suppose que ce sont les symptômes classiques de la majorité de vos patients ...
- Pouvez-vous répéter, Matthew ? Vous avez bien dit avoir la sensation de vivre dans le corps 'd'un autre' ?
Déconcerté, je lève les yeux. Je m'attendais à une répartie cinglante de la part de l'oncle de Carla, mais il n'en est rien.
C'est même avec un regain d'intérêt inattendu que ce dernier attend ma réponse.
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