Je ne réagis pas. Du moins pas sur le champ. La nouvelle m'avait clouée à ma chaise.

   Lui aussi resta immobile et silencieux.

- Vous...vous voulez dire que j'attends un enfant d'un de ces porcs ? bégayai-je.

- Non non, s'empressa-t-il de répondre. Vous étiez enceinte bien avant de vous faire violer.

   Je me détendis quelque peu. Mais comment était-ce possible ?

- Des analyses plus poussées nous aideront à déterminer le nombre de semaines mais ce n'est pas récent.

- Mais comment pourrais-je être enceinte sans le savoir ?

- Ça peut arriver, répondit-il. Je vais vous faire une échographie. Comme ça nous serons plus éclairés tous les deux.

     J'étais troublée. Je ne savais quoi lui répondre. Ça ne pouvait pas être possible puisque je prenais mes pilules après chaque rapport. Ce docteur devait sûrement se tromper.

     Je pris mon sac et me levai pour rentrer chez moi. Je posai la main sur la poignée de la porte quand une question me traversa l'esprit. Je me retournai vers lui.

- Hier vous avez semblé très touché quand je vous ai dit que je m'étais fait violer.

- Oui. Et je le suis toujours.

- Pourquoi ?

    Son expression changea tout de suite. Il eut à nouveau la même expression que la veille.

- Là, voilà, fis-je, indexant son visage. Ce regard et cette expression, c'est plus que de la compassion qu'un docteur peut éprouver pour son patient.

     Il garda le silence mais ne me quitta pas des yeux. Je revins m'asseoir.

- Vous voulez bien me dire ?

- Hum.

- S'il vous plaît, le suppliai-je. Peut-être que ça m'aiderait à surmonter tout ceci.

- J'ai eu une patiente qui s'est fait violée il y a un an. Elle n'avait que quatorze ans. Ces brutes ont tellement abusé d'elle que...

    Sa voix se brisa. Il baissa la tête.

- Que quoi ? insistai-je.

- Qu'elle a essayé de mettre fin à ses jours, compléta-t-il. Heureusement que sa mère l'a trouvé à temps. Elle a été victime d'un viol collectif. Toi aussi selon ce que j'ai cru comprendre.

    Je me couvris la bouche, horrifiée.

- Je n'ai rien pu faire pour elle et je le regrette tous les jours. Alors j'aimerais vous  aider. Je connais un très bon psy...

- C'est très aimable à vous mais je n'ai pas besoin de voir un psy.

- Tatiana, fit-il. Ce que vous avez vécu vous affecte. Et ça ne va pas s'arranger avec le temps, au contraire. A moins que vous acceptiez de vous faire aider, ça aura de graves conséquences sur vous et sur votre bébé.

    Le bébé. Pendant une minute j'avais cru que j'avais rêvé et que cette grossesse n'existait pas. Mais il venait de me ramener à la réalité.

    J'avais été violée et par-dessus le marché, je suis enceinte. Comme si ça ne suffisait pas. J'avais vécu plus de drames en une semaine que durant toute ma vie. Comme si le ciel et la terre avaient décidé de se rencontrer pendant que je suis au milieu.

- Voici ma carte, me dit le docteur, m'arrachant à mes pensées.

    Il me tendait une carte de visite. Je la lui pris, par politesse.

- Réfléchissez à ma proposition et appelez-moi si vous changez d'avis.

    Je hochai la tête.  Je me levai une fois de plus. Quand je fus sur le point de sortir du bureau, c'est lui qui me rappela cette fois.

- Arrêtez de pleurer s'il vous plaît, me dit-il.

    Je ne m'étais même pas rendu compte que je pleurais. Je m'essuyai le visage.

- Ce qui vous arrive n'est pas encore la fin du monde, me dit-il. Vous pouvez vous en sortir si vous acceptez de vous faire aider. Si vous avez besoin de quoi que ce soit que vous ne pouvez pas demander à votre entourage, n'hésitez pas à m'appeler. Et si vous avez besoin de parler, je suis là aussi.

- Merci pour votre disponibilité docteur, répondis-je en reniflant. Mais ça va aller.

- Alex a déjà réglé tous les frais, fit-il. Quand vous vous sentirez prête pour l'échographie vous pouvez prendre rendez-vous.

     Je sortis du bureau.

     Je longeai un couloir qui semblait mener vers la sortie. Je marchai jusqu'à un banc devant la clinique et m'y laissai tomber.

     Comment pouvais-je être enceinte ? Comment cela était-ce possible alors que je prenais mes pilules contraceptives après chaque rapport ? C'est vrai que ce n'était pas sûr à 100% mais...

- Tatiana ? entendis-je.

     Je relevai la tête pour voir qui venait de m'appeler mais ne vis personne devant moi. J'avais pourtant clairement entendu la voix de mon père.

- Qu'est-ce que tu fais ici chérie ?

     Je me retournai et je le vis qui s'approchait à grands pas. Je quittai mon banc et lui sautai au cou.

     C'était comme si quelqu'un savait ce dont j'avais besoin et me l'avait envoyé. Mon super héros.

- Tout va bien chérie ? me demanda-t-il alors que j'étais toujours agrippée à son cou comme quand j'avais cinq ans.

     Je ne répondis pas. Je ne voulais pas parler, je voulais juste qu'il me prenne dans ses bras. Ce qu'il finit par faire. Combien de temps s'était écoulé avant que je ne finisse par le lâcher ? Je l'ignorais. Quand je libérai enfin son cou, il me fit me rasseoir sur le banc et s'assit à côté de moi.

- Qu'est-ce que tu fais seule ici ? Et pourquoi tu n'es pas à l'école ?

- Je…je suis venue visiter un ami qui est hospitalisé, mentis-je.

     Je priais silencieusement qu'il gobe mon mensonge si maladroit.

- C'est pour ça que tu pleurais ? me demanda-t-il.

- A un moment j'ai vraiment eu peur, répondis-je. J'ai cru que c'était fini pour lui. Mais le docteur qui s'occupe de lui m'a rassuré qu'avec tous les gens qu'il a autour de lui, il s'en sortira.

     Il prit une de mes mains dans les siennes.

- Je suis content que ton ami aille mieux, répondit-il. Tu sais ce que tu peux faire pour l'aider ?

     Je secouai la tête.

- Prie pour lui.