Chapitre 7
En sortant de la salle de bain quelques dizaines de minutes plus tard, je ne voyais plus Anik ni Marcus dans la cuisine ni dans le salon, et je n'avais pas vraiment envie de fouiller la maison. Alors, j'allais dehors, m'asseyant sur les premières marches du balcon. Il faisait un peu froid, je le sentais, mais ça ne me dérangeait pas. J'avais l'impression qu'il pourrait faire quarante degrés sous zéro, et même là, ça ne me dérangerait pas.
Je levais les yeux vers le ciel étoilé loin au-dessus de moi. Je n'arrivais toujours pas à m'habituer à l'apparence qu'il avait maintenant ; aussi éclairé qu'en plein jour, avec des étoiles qui semblaient percer le ciel gris. La lune ressemblait à s'y m'éprendre au soleil, ce qui faisait particulièrement bizarre du fait qu'il n'y avait de visible que la moitié de la lune. J'avais donc sous les yeux une moitié de soleil.
- Salut, petit.
Je tournais la tête vers l'origine de la voix. Un homme était assis sur la ridelle du balcon, me regardant avec un grand sourire dénué de bonne volonté. Il avait un piercing sur la lèvre, mais rien de plus, contrairement à Marcus.
J'étais déçu de ne pas l'avoir entendu venir. Je n'étais pas censé avoir une super ouïe, maintenant ?
- Qu'est-ce que tu fais là, seul ?
- Je regarde le ciel, dis-je en haussant les épaules. Que veux-tu que je fasse ?
Le type éclata de rire, comme quoi ce que je venais de dire était particulièrement drôle. Celui-là, c'est sûr, je ne l'aimais pas.
- Tu ne devrais pas être seul dehors, petit. Ça pourrait être dangereux.
- En quoi ? Tu crois que les lucioles vont essayer de m'attaquer ? soupirais-je en tournant la tête vers la cour, où je voyais justement quelques petites lucioles. Elles vont m'aveugler à mort ?
Encore une fois, le type éclata de rire. Il sauta en bas de la ridelle et vint s'assoir à côté de moi.
- T'es un petit futé, hein, Jay ? C'est comme ça que tu t'appelles, pas vrai ?
- Jayden.
- Ouais, Jay, c'est plus court.
- Jayden !
- Je sais, je sais ! Alors, Jay, qu'est-ce que tu fais là, seul sur ce balcon ?
- Si seulement j'étais effectivement seul !
- Si seulement, hein ?
Il me fit un grand sourire, et je tournais la tête pour le regarder. Peau pâle est yeux rouges, c'était l'apparence typique des vampires. Il avait même des cernes rouges et bien épaisse sous les yeux.
- Et toi, t'as rien de mieux à faire ? demandais-je, commençant à perdre patience.
- Si, justement. J'étais en chemin. Mais j'ai fait un petit détour pour te faire un coucou.
- Merci, mais tu peux y aller, maintenant.
- Et toi, tu veux venir ? demanda-t-il avec un grand sourire démoniaque.
- Non.
- Seb !
Je me retournais, en même temps que le type à côté de moi. Derrière nous, à la porte d'entrée, Marcus était là, et il regardait l'autre type, les sourcils froncés et les bras croisés.
- Laisse-le, dit-il.
- Bah quoi ! s'écria le dénommé Seb sans jamais s'arrêter de sourire. J'ai plus le droit de faire connaissance avec les nouveaux venus ?
- Pas lui. C'est un gamin !
- Et il le sera pour toujours et à jamais, amen, soupira Seb en se levant et s'étirant le dos distraitement. Tu dois être tout content, hein, Marcus ? T'a enfin pu t'adopter un petit bébé.
- Ça va, maintenant ! Va faire ce que t'as à faire, et puis disparait !
- Ouais, bonne idée. J'ai faim !
Seb se tapota le ventre avec un autre grand sourire démoniaque, puis partit en coup de vent, littéralement, vers le sentier de terre. En une seconde, il avait déjà disparu. Marcus vint s'assoir à côté de moi, me donnant une petite tape sur le genou au passage.
- Bon, ta chambre est prête, dit-il sans oser me regarder dans les yeux. J'ai pris ce que t'as laissé dans la salle de bain et je les ai rangés. T'es au deuxième.
- Est-ce que ça va être comme ça tout le temps ?
Marcus me lança un petit regard en coin, ne comprenant visiblement pas ce que je voulais dire.
- On va parler de moi en disant « petit », « gamin », et « petit bébé », pour toujours et à jamais, amen ?
Marcus ne répondit rien, encore une fois. S'il avait pu, je suis sûr qu'il aurait rougi.
- C'est gentil, ce que tu fais pour moi, et j'apprécie, mais si c'est à ça que ça va ressembler, de vivre ici, je peux te garantir que je ne resterais pas longtemps. Et cette fois, t'auras intérêt à me laisser partir.
Marcus laissa échapper un petit soupir, braquant son regard sur mes toutes nouvelles converses.
- En fait, c'est plutôt rare qu'il y ait du monde ici, la nuit. Ils sortent souvent. Comme t'as peut-être pu le remarquer, c'est plutôt silencieux. Généralement, ils viennent ici pour dormir, pendant le jour, et c'est à peu près tout.
- Comment ? Ils sortent où ?
- Il y a une ville, pas trop loin d'ici... t'as dû le remarquer !
- Ouais, ça, c'est sûr, je l'ai remarqué. Mais, ce que je veux dire, c'est : comment ils peuvent sortir en ville sans se faire repérer par les chasseurs ?
- Je t'es déjà dit que quinze vampires, ça fait des dommages. Et les chasseurs en sont conscients. Ils ne s'attaquent pas à nous, sauf les plus crétins d'entre eux. Si on est seul, ils vont essayer, c'est sûr, mais pas si on reste en groupe.
- Seb est parti seul.
- Il est parti seul rejoindre les autres.
- Ah... et si disons que, moi, je voudrais partir seul. J'aurais des chances de survie ?
- Aucune. Sans nous, tu serais mort sur la banquette arrière d'une voiture.
- Mouais, soupirais-je. Alors qu'est-ce qui fait que toi, si tu partais seul, t'aurais plus de chance de survie que moi ?
- J'ai dit ça ?
- Non, mais j'aimerais quand même savoir.
Marcus rit en levant la tête vers les étoiles. Un coup de vent passa au même moment, plaquant ses cheveux châtains sur le côté de sa tête.
- La force, les réflexes, dit Marcus sans jamais s'arrêter de sourire. La vitesse. Et, aussi, savoir viser, ça aide.
Marcus tapota la poche de mon jean, où il y avait une petite bosse ; la balle qu'Anik m'avait sortie du dos.
- Tu pourrais m'apprendre à tirer ? demandais-je.
- Heu... je ne sais pas si c'est une bonne idée.
- Allez, s'il te plait ! Si un jour je fais un face à face avec un chasseur et que je n'ai qu'un pistolet pour me défendre, j'aimerais arriver à le tuer avant qu'il ne le fasse en premier. Je sais pas si t'as compris quand je les dis, mais je n'ai pas l'intention de rester ici indéfiniment ! Du coup, si je meurs, ce sera de ta faute. Et aussi, si tu pouvais m'entrainer à être plus fort, plus rapide, et tout, et tout, ce serait aussi très bien !
- OK, très bien, soupira Marcus en perdant son sourire. Par quoi tu veux commencer ?
- La vitesse. Je crois que je préfère encore rester aussi loin que possible des chasseurs, si je peux éviter de me battre. Après, les réflexes, et ensuite la force.
- Finalement, t'es pas si presser que ça d'apprendre à tirer, en dirait.
- Tant qu'à avoir de la vitesse, des réflexes et de la force au point de pouvoir le compter comme un superpouvoir, j'aime autant que ce soit vrai.
- T'es un fan de superhéros ? dit Marcus en souriant de pleines dents.
- Pas vraiment. Plutôt un fan de Supernatural. La série télévisée, je veux dire, ajoutais-je sous son regard interrogatif. Mais maintenant, plus j'y repense, et plus je la trouve débile... Bon, quand est-ce qu'on commence ?
- Quand tu veux.
- Donc, immédiatement.
- Eh, bien. Vas-y, cour. Cours aussi vite que tu le peux, et aussi longtemps que tu le peux.
Je lui lançais un regard en coin tout en étouffant une envie de rire. J'avais plutôt imaginé qu'il se serait mis à me courir après et à me plaquer à chaque fois qu'il réussirait à me rattraper. Or, Marcus restait sagement assis sur sa marche du balcon, le regard perdu en direction de la forêt délimitant la cour.
Sans rien ajouter, je me levais et me mis à courir tout autour de la maison. Vingt fois. Trente fois. Cent-cinquante fois. Ce fut la seule chose que je fis toute la nuit durant.
Je m'arrêtais seulement quand je commençai à voir le ciel pâlir, montrant que le jour était proche, et je suivis Marcus à l'intérieur de la maison. Toute la nuit, il s'était absenté dans la maison, revenant de temps en temps pour vérifier que je courais toujours. Il était revenu seulement pour me dire qu'il était temps de rentrer, et aussi pour me montrer ma chambre, puisque je ne l'avais toujours pas vue. Arrivé à la chambre, qui était à peu de chose près identique à celle de Marcus, je tombais tête première dans la lit, complètement épuisé. Quand j'ouvrais à nouveau les yeux, c'était à nouveau la nuit. Et je me remis à courir.
Ce fut la seule chose que je fis pendant six nuits. À la septième, j'étais tellement à bout que je ne fis que deux tours de maison, puis je m'effondrais tête première dans l'herbe.
Marcus me retrouva quelques minutes plus tard. Il s'était accroupi à côté de moi, les sourcils froncés.
- Est-ce que je suis en train de mourir ? marmonnais-je, les yeux fermer tout en essayant de dormir.
- Non, dit Marcus en riant. Il est temps de faire une pause, c'est tout. Une toute petite pause.
Marcus m'attrapa par les mains et tira pour me forcer à me relever, puis m'entraina à l'intérieur de la maison, jusqu'à la salle à manger. Il m'abandonna sur une chaise, et je le regardais s'éloigner vers le frigo d'un œil vitreux.
- Y peut pas avoir quelque chose dedans, si ? dis-je, la tête appuyée dans ma paume. C'est quoi, tu vas me sortir une tarte aux pommes ? Ou un restant de soupe aux pois ? Un gâteau au chocolat ? Peu importe, tant qu'y a pas de noix...
Marcus laissa échapper un petit rire, puis revint vers moi avec ce qui était très loin d'être un gâteau au chocolat. C'était une poche de sang – le genre qu'on trouve dans les hôpitaux.
- Tiens, tu l'as bien mérité.
- Tout à fait, répondis-je.
Je le lui prenais des mains avant même qu'il le tende vers moi, retirait le petit truc au bout de ce qui semblait faire office de paille, puis le mit dans ma bouche et le levait bien haut pour tout faire tomber directement dans ma gorge. Il me fallut peu de temps pour tout faire disparaitre, mais même une fois qu'il était vide, je continuais à aspirer tout ce que je pouvais, jusqu'à ce qu'il n'y eût définitivement plus rien. Je tendis le sac vide à Marcus, qui me regardait avec des yeux ronds.
- T'en as d'autres ? demandais-je.
- T'étais vraiment assoiffé, toi, marmonna-t-il.
- J'y peux rien, c'est délicieux ! T'en as d'autres, ou pas ?
- Pas pour toi, dit Marcus en secouant la tête et fronçant les sourcils.
- Oh, s'il te plait ! dis-je en me levant de ma chaise. T'avais dit toi-même : « deux ou trois litres par semaine ». Eh bien, ça, c'est quoi ?
- Le sac ? Peut-être 450 millilitres.
- Quoi ? Mais ça fait six virgules six fois moins que les trois litres !
- Et d'abord, j'avais dit aux deux semaines.
- S'il te plait ! m'écriais-je encore. Sérieux, je me sens pas top. J'en ai besoin !
- T'en auras d'autres demain, dit Marcus qui semblait commencer à s'énerver.
- Et tu vas encore me faire courir toute la nuit ?
- Bien sûr.
- Mais je ne pourrais pas !
Marcus, à bout de patience, s'avança vers moi et m'empoigna par les épaules, me forçant à me rassoir sur la chaise. Lui, visiblement, n'avait pas manqué de boire tout le sang dont il avait besoin. C'était à croire qu'il voulait tout garder pour lui.
- Il faut que tu comprennes, dit Marcus, me regardant toujours d'un œil sévère. Mais crois-moi quand je te dis qu'il ne faut pas que tu en boives trop. Il faut que tu sois capable de t'en passer autant que possible.
- Pourquoi ?
- Parce que tu pourrais bien finir par tuer quelqu'un alors que tu ne le voudrais pas.
Aussitôt, les images de ma famille, morte à mes pieds, me revinrent. C'est sûr, je ne voulais pas être responsable de quelque chose de semblable. Sur le coup, je me sentais atrocement mal.
- Tu comprends ?
Je dus faire un grand effort pour retrouver mon sang-froid – façon de parler. Puis, lentement, je secouais la tête de gauche à droite.
- Si je ne bois pas de sang, dis-je lentement, ou pas autant que je devrais... ce ne serait pas plutôt là, justement, que je risquerais de... d'avoir besoin de sang ? Je veux dire... au point de perdre la tête et de me mettre à tuer tout le monde pour boire leurs sangs...
- Oui, dis Marcus en hochant gravement la tête. Mais justement... tant que tu restes ici, où il n'y a personne à tuer, tu peux essayer de t'en passer autant que possible. Ça ne pourrait que t'entrainer. Non seulement tu en prendras moins, mais, à la longue, t'en auras moins de besoins, aussi.
- Comme un obèse qui mange dix-mille burgers par jour, dis-je en laissant échapper un rire sans vraiment le trouver drôle. Si on le prive de ses burgers, y sera pas content.
- T'as tout compris. Allez, viens, t'as pas fini de courir.
Puis Marcus m'entraina à nouveau dehors, me criant de courir plus vite, alors que je me sentais à peine moins à plat que tout à l'heure.
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