Chapitre 22
J'avais passé pratiquement toute la nuit, couché dans le canapé de la vieille maison, à attendre le retour de Ben... Sauf qu'il ne vint jamais. Il devait être près de six heures du matin quand je me décidai de bouger un peu : enterrer le mort, toujours étendu près de l'érable. En fouillant bien, j'avais réussi à trouver une pelte minuscule dans le coffre de la voiture. Le soleil se pointait quand je terminais, tapotant la terre avec le dos de ma pelte pour l'aplatir. Je plantais ensuite une branche de l'érable au-dessus, mon genre de pierre tombale à bas prix.
Puis je retournais chez Sarah, les mains dans les poches et la tête basse.
Je comprenais parfaitement Ben d'être en colère contre moi, mais le fais qu'il m'avait traité de taré m'était resté coincé dans la gorge. Je veux dire, oui, je l'ai mérité cent fois. Mais il n'était pas obligé de le dire avec autant de méchanceté... Je le comprends d'être sur les nerfs, et j'espère qu'il va se calmer avant de faire une connerie. Quand il aura enfin compris, il sera encore plus en colère contre moi. Mais, un jour, il va se calmer. J'espère, sinon il va finir comme moi : complètement perdu, à suivre ses rêves... et je ne veux pas dire par là : « plus tard, je serais astronaute ! », mais plutôt les rêves que je fais quand je dors : courir après les fantômes de ma défunte famille... et si ça se trouve, tout est entièrement dans ma tête. Au point où j'en suis, ça ne m'étonnerait même pas. Mais j'ai toujours cette impression que c'est bien réel. Et je veux que ce soit réel... c'est tout ce qu'il me reste d'eux, quand même.
Quand j'arrivai chez Sarah, la lumière au salon était toujours allumée, sauf que la porte d'entrée était verrouillée. Je ne savais plus trop quoi faire, entre passer par derrière et me trouver une fenêtre ouverte, repartir à ma vieille maison, ou simplement cogner à la porte. Et pourtant, j'avais l'impression que cogner à la porte serait l'option la plus stupide. Malgré tout, je le fis. Presque aussitôt, j'entendis des bruits de course dans la maison, et la porte s'ouvrit à la volée sur Henry, des cernes pires que les miennes sous les yeux. Quand il me vit, il m'attrapa fermement par le bras et m'entraina à l'intérieur, refermant la porte derrière moi. Je me laissais faire sans rien dire, la tête basse.
- Où étais-tu passé, toi ? s'écria-t-il en me secouant. T'es conscient de la peur que tu nous as faite ?
- Vaguement, marmonnais-je. J'étais pas loin, j'avais seulement besoin d'air.
- T'aurais pu nous le dire ! s'écria-t-il encore plus fort. Et t'avais pas à y aller en pleine nuit !
Alarmée par le bruit, Céline débarqua en courant, vêtu d'une robe de chambre par-dessus un pyjama. Quand elle me vit, elle ralentit le pas, poussant un grand soupir de soulagement, pour ensuite croiser les bras et secouer la tête de gauche à droite.
- Je suis désolé, si je vous ai inquiété. Je vais me coucher.
Je contournai Henry pour passer, mais à peine trois pas de fait, Céline vint se planter devant moi, les mains sur les épaules pour m'empêcher d'aller plus loin. Je tournai la tête pour ne pas croiser son regard, mais du coup, je croisais celui de Sarah, resté en retrait devant la porte de sa chambre. Elle était tout aussi sérieuse que ses parents.
- Arrête de faire comme si t'es seul, dit Céline. Tu ne l'es plus, maintenant.
- Si, je le suis, marmonnais-je.
Je me dégageai de Céline et continuai mon chemin vers la chambre d'ami, passant devant Sarah sans même la regarder. Puis j'allais me coucher.
J'étais au beau milieu de mon rêve quand j'entendis quelqu'un dire « Jayden, réveille-toi ! ». J'étais tellement dans le rêve que pendant un instant, je crus que c'était Mimi qui venait me réveiller. Mais quand j'ouvris les yeux et dégageai l'épaisse couverture de sur ma tête, je vis Sarah, adosser au mur du fond, me regardant en se rongeant les ongles. Elle avait appris de ses erreurs, visiblement, car elle s'était mise hors de ma portée.
- T'as peur de moi ? dis-je en réprimant un bâillement.
- Dison que j'ai pas vraiment confiance en t'es réflexe de guerrier. (Elle fit une pause, riant nerveusement, s'imaginant peut-être que je répondrais par un rire, moi aussi, mais je me contentais de m'assoir droit sur le lit.) Je voulais juste te dire que le diner est prêt, si tu as faim... ou si tu veux te laisser mourir de faim.
- Je viendrai manger plus tard, quand il y aura pas de témoins, dis-je en me recouchant dans le lit.
- Quand il n'y aura personne pour constater que t'auras rien mangé du tout ?
J'étais démasqué. Je remontais la couverture au-dessus de ma tête.
- J'en viens à des conclusions assez troublantes, à ton sujet, dit Sarah.
- Tu peux les garder pour toi, parce que ça m'intéresse pas.
- Si je tombe sur la bonne, il va falloir que tu me tues ?
- Ouep.
- En temps ordinaire, j'aurais ri, mais venant de toi, j'ai des doutes si tu es sérieux ou pas.
Je me remis assis pour regarder Sarah, ignorant la douleur dans mes orbites pour bien lui démontrer mon ennui.
- J'ai pas l'intention de te tuer, soupirais-je. De te blesser non plus, mais là-dessus, je crois que je devrais m'excuser... Je crois bien que t'as raison d'avoir peur de mes réflexes. Mais bon, pour ce qui est du reste, non, j'en ai pas l'intention.
- Bon à savoir, dit Sarah en hochant la tête, sérieuse. Eh bien, reste couché, tu reviendras manger (elle fit les guillemets avec les doigts) quand il y aura plus personne. Genre, quand tout le monde dormira. C'est comme ça que tu marches, pas vrai ? Tu dors le jour, et vie la nuit ?
- Exactement, marmonnais-je. Donc, bye bye, j'aimerai dormir. C'est encore le jour, tu vois pas ?
Sarah laissa échapper un petit rire, fit deux pas vers la porte, puis se retourna vers moi en secouant la tête d'un air lasse.
- Tu peux te confier à moi, tu sais ? dit-elle en me faisant un petit sourire. Ça te soulagerait d'un grand poids, étant donné que tu es pour rester ici jusqu'à ta maturité.
- Je sortirai jamais d'ici, donc, marmonnais-je.
Je levai les yeux vers Sarah, me demandant presque pourquoi il fallait que je garde le secret. S'il y avait bien quelqu'un dans ce bas monde sur qui je pouvais faire confiance, c'était elle. Et puis je me rappelai Ben, qui est en colère contre moi pour je ne sais combien de temps. Je n'avais pas envie de me mettre Sarah à dos, déjà que je ne sais même pas comment elle fait pour ne pas me détester encore... Bon, peut-être que je lui dirais tout, mais pas aujourd'hui.
- Une autre fois, ok ?
Sarah sourit ; elle s'attendait surement à un non pur et simple. Je lui renvoyai son sourire, puis baissai les yeux, tripotant le bord de ma couverture.
- T'as réagi comment, quand t'as su que j'étais vivant ?
- J'ai toujours su que t'étais vivant, dit-elle en faisant un pas vers moi, mais gardant toujours une distance respectable. C'est pas comme si on t'avait trouvé avec... tous les autres. M'enfin, à savoir qu'on t'avait retrouvé, j'étais soulagé. Et heureuse.
- OK, marmonnais-je lentement. Selon toi, on m'avait pas trouvé dans la maison. Mais celons Ben, il m'aurait vu dans le cercueil, alors qu'on m'enterrait... Y'a vraiment quelque chose qui cloque.
- En effet, je comprends rien de ce que tu viens de dire. Et quand as-tu vu Ben ?
- Cette nuit. Change pas de sujet, t'es sérieuse quand tu dis qu'on ne m'avait pas retrouvé ?
- Oui, je le suis, dit Sarah en fronçant les sourcils.
- Alors pourquoi mon nom est sur la pierre tombale ?
Sarah ouvrit la bouche pour répondre, mais s'interrompit à la dernière seconde, fronçant encore plus les sourcils. Je sortis du lit dans l'intention de faire les cent pas, mais au deuxième pas, je passai devant la fenêtre et le rayon de soleil sur mon visage me fit changer de direction, retournant m'assoir sur le lit sans trop savoir où aller. J'étais cerné, les rayons allaient dans chaque coin de la pièce, sauf sur le lit.
- C'était quoi, ça ? dit Sarah avec un regard suspicieux.
- J'ai une crampe dans le pied, je suis mieux de rester assis dans mon coin, dis-je en me massant la cheville. Répond à ma question, tu veux ? Pourquoi mon nom est sur la pierre tombale ?
- De ce que j'en sais, ton nom n'est sur aucune pierre tombale, dit Sarah en secouant la tête. T'es sûr que tu serais pas tombé sur la pierre d'un type quelconque ayant le même nom que toi ?
- Un type quelconque partageant la même pierre avec quatre autres personnes, qui comme par hasard aurait le même nom, le même anniversaire, la même date de mort que ma famille ? Déjà, rien que le fait de trouver un type avec le même nom que moi serait surprenant, on est pratiquement la seule famille de Youg dans tout Miska ! On n'est pas originaire du coin, tu te souviens ?
- T'as dû halluciner, parce que ton nom n'est pas présent sur la pierre tombale de ta famille. J'en sais quelque chose, crois-moi, on y est allé souvent.
- Mais je sais ce que j'ai vu, j'ai dû rester assis là à la regarder pendant près d'une demi-heure !
- Ah, ce que tu dis n'a aucun sens, dit Sarah en secouant la tête.
- T'as pas plus de sens que moi !
- Et si on y allait, au cimetière ? On verra bien ce qu'on verra !
J'aurais voulu répondre « allons-y ! », mais, bien sûr, je ne pouvais pas. Aller dehors, à la lumière du jour, c'était tout simplement une mauvaise idée. Ou aller dehors une fois qu'il fera nuit, Sarah se rendra bien compte que mes yeux deviennent réellement rouges quand il n'y a pas de lumière. Elle ne sera pas comme Ben pour s'imaginer que ce n'est qu'un rêve, et qu'il n'y a rien de grave. Et en plus, dès que je mets le pied dehors, les chasseurs pourraient me tomber dessus n'importe quand, et il est hors de questions que Sarah soit là s'ils me trouvent. Je commence à bien les connaitre, c'est petit crétins. Ils tueront Sarah avant même de se rappeler que c'était moi qu'il fallait tuer.
- Ça va, pas la peine, dis-je à contrecœur. T'as gagné, j'ai dû halluciner.
- Mais t'as pas l'air convaincu.
- Gagner te suffit pas, il te faut vraiment une médaille ou quoi ?
Sarah secoua la tête, fit un pas dans ma direction, mais recula à nouveau en me lançant un petit regard nerveux.
- Je peux, ou...
- Viens, je vais pas te faire de mal, dis-je en tapotant la place à côté de moi.
Satisfaite, Sarah vint s'assoir à côté de moi, me prenant une main et l'examinant sous tous les angles.
- T'as peur de voir la tombe ?
- Non, je l'ai déjà vu.
- T'as peur de trouver des changements dans la ville ?
- Non, je les ai déjà trouvés. Le resto de sushi à fermer.
- C'était une bonne chose. J'aime bien les sushis, mais ceux-là, c'était pas les meilleurs. Il parait qu'un autre va ouvrir... T'as peur de trouver des gens que tu connais ?
- Non plus. Enfin... Ouais, à peu près, dis-je en pensant au chasseur. De toute façon, c'est pas une histoire de peur. Je suis juste... pas prêt, dis-je en haussant les épaules.
- Comme t'es pas prêt à te confier à moi ?
- Exactement... mais t'as pas à le prendre mal, là, j'ai entièrement confiance en toi !
- J'espère bien ! OK si tu ne veux pas te confier malgré ta confiance, mais je pourrais seulement savoir où tu t'es fourré les mains ?
- Quoi ?
Sarah souleva ma main qu'elle tenait toujours entre les siennes pour la mettre au niveau de mon visage, la secouant de gauche à droite alors que mes doigts se balançaient librement en suivant le rythme. Je dégageai ma main, sans pouvoir m'empêcher de rire.
- Elle est glacée ! dit Sarah en riant elle aussi. T'as pris un bain de glaçons ?
J'arrêtai aussitôt de rire, me rendant compte que je n'avais aucune idée quoi répondre à ça. Si ça continuait, confiance ou pas, Sarah allait se rendre compte du problème d'une seconde à l'autre.
- Tu devrais aller diner, maintenant, ou tu vas manger froid. Moi, je suis encore un peu fatigué. J'en ai pour des jours et des jours de sieste pour rattraper toute l'énergie que j'ai perdue !
- Je vois bien que t'es pas fatigué, Jay.
Sarah se retourna pour me lancer un regard noir, et je me figeai totalement. Elle reprit ma main et la leva pour que je voie plus que ma paume. Elle avait deux doigts sur mon poignet.
- Et que ton cœur bat pas.
Elle relâcha ma main, se leva du lit et partit en direction de la sortie, mais se retourna une fois arrivée à la porte. Elle leva le doigt en direction de la fenêtre, puis laissa retomber son bras le long de son corps d'un geste nonchalant.
- Et que t'aime pas le soleil.
Elle se retourna et ouvrit la porte, regarda des deux côtés, puis se retourna vers moi encore une fois.
- C'est une chance pour toi que j'ai faim, et que je ne veux pas manger froid. Contrairement à toi qui n'a jamais faim... pour qui, de toute façon, manger n'a plus aucune importance. Je vais revenir, t'inquiète pas. Et toi, tu vas m'attendre bien sagement ici ? C'est pas comme si t'allais t'enfuir, alors qu'il fait encore jour... Homo Hirudinea !
Et sur cette note mystérieuse, Sarah sortit de ma chambre, refermant la porte derrière elle.
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