Chapitre 19
J'étais venu dans cette maison des centaines de fois déjà, mais là, c'était différent. Avant, j'y venais avec mes parents et mes sœurs, on restait un après-midi, puis on retournait chez nous. Parfois, je venais sans mes parents, seulement avec mes sœurs, pour me faire garder par Céline. Là, c'était la première fois que je venais sans mes sœurs ni personne d'autre, juste moi, Sarah et ses parents. Ça faisait assez bizarre. Surtout que j'étais maintenant censé considérer cette maison comme « ma » maison. J'avais beau essayer, ça ne voulait pas entrer dans ma tête.
Henry me tenait toujours d'une main sur mes épaules, alors qu'il s'avançait dans la maison. Chaque pas m'arrachait une grimace, mais je faisais de mon mieux pour ne rien laisser paraitre. Sans compter la balle, la lumière du jour commençait à me taper sur les nerfs.
- Je crois que je vais aller me coucher, dis-je en levant la tête pour croiser le regard d'Henry. J'en ai besoin.
- Je comprends, dit Henry.
Oh non, tu ne comprends pas. Je me retins de justesse de le dire, même si je le pensais. Je me dégageai de son bras et m'avançai vers la chambre d'ami, boitant aussi surement que George s'il était privé de sa canne. Je ne sais pas si c'était là qu'ils avaient l'intention de me faire dormir, mais à chaque fois que j'étais venu ici pour y passer une nuit, c'était toujours là qu'on nous plaçait, mes sœurs et moi. J'avançai tout droit dans le corridor et allais dans la porte du fond, juste à côté de la chambre de Sarah. Je fermai la porte et fonçai sous le lit. Les couvertures épaisses au-dessus de ma tête empêchaient la lumière du soleil de m'atteindre, enfin, et j'en étais tellement heureux que je m'endormis en souriant de toutes mes dents, malgré que je ressentisse encore la chaleur du soleil sur ma peau. Possible même que j'étais en train d'attraper un coup de soleil.
Je me fis réveiller un peu plus tard par quelqu'un qui me secouait l'épaule. Je rabaissais légèrement les couvertures, juste assez pour laisser passer mes yeux. Sarah était agenouillée devant moi, un petit sourire au visage. Même à genoux, je voyais bien qu'elle avait grandi, en mon absence. Elle avait déjà deux ans de plus que moi, mais maintenant, entre nous deux, c'était à croire qu'il y en avait au moins trois. Justement, si je me fie à la date, son anniversaire est passé. Elle a quinze ans, maintenant, alors que moi, je suis toujours aussi petit qu'il y a dix mois.
- On m'a envoyé voir comment tu allais, dit-elle.
- Fatigué.
Je remontais les couvertures au-dessus de mes yeux. Ce n'était pas pour être méchant, mais le soleil était toujours là, et malgré ma petite sieste, je me sentais toujours aussi faible, et je savais que la seule chose qui pourrait m'aider, ce serait de boire du sang. J'avais envie de tout sauf de tuer les derniers membres de la famille qu'il me restait, et surtout Sarah. Malgré son statut de cousine, elle était vraiment une bonne amie, pour moi.
- Tu ne pourras plus dormir cette nuit, si tu dors encore, dit Sarah en enfonçant son doigt entre mes côtes à travers la couverture. Ça fait plus de quatre heures que tu dors.
- T'inquiètes pas pour moi.
- Et le souper sera prêt dans dix minutes.
- J'ai pas faim.
- Tu devrais manger quelque chose, t'es maigre comme un clou.
- T'inquiètes pas pour moi... J'ai pas faim.
- Tu te répètes, tu le sais, ça ?
- Je suis fatigué.
- Jayden...
- Sarah.
Sarah attrapa la couverture que j'avais toujours au-dessus de la tête, puis la repoussa. La lumière du soleil toujours présent dehors me fit l'effet d'une claque, et je me retournai aussitôt pour enfoncer mon visage dans l'oreiller.
- Ma mère a passé à travers toute la bouffe qu'on avait pour y jeter tout ce qu'il y avait des noix, rien que pour toi. Le moins que tu pourrais faire, ce serait d'en être reconnaissant. Tu sais quoi ? Elle a même jeté les noix de pécan ! Et j'adore les noix de pécan. C'est de ta faute, tu le sais, ça ?
- Peut-être que je suis plus allergique.
- T'as testé ?
- Non.
- Bah tu sais pas. La cuisine est un endroit sûr, maintenant. Alors, viens !
- Je suis vraiment fatigué, sérieusement ! Tu peux pas savoir comment ça fait longtemps que j'aie pas dormi de la nuit.
Sarah poussa un grand soupir d'exaspération, et moi, je me retournais dans mon lit pour qu'elle ne me voie pas sourire. Ouais, c'était une façon comme une autre de voir les choses.
- Je te laisse une heure, parce que je t'aime bien. Après, tu vas sortir de ce lit, que tu le veuilles ou non. Et tu vas manger, aussi. Sérieux, t'as l'air malade, tellement t'es blême. Fais quelque chose, ou maman va t'amener de force à l'hôpital.
- Qu'elle essaye. Pendant ce temps, laisse-moi dormir.
- Je te jure, si tu faisais pas aussi pitié, je te sauterais dessus, littéralement, je te ferrais tomber en bas du lit et je te trainerais jusqu'à la cuisine par les pieds.
- Une chance que je fasse trop pitié. Meilleure chance la prochaine fois !
Sarah fit un genre de grognement bestial, puis sorti finalement de la chambre. Et je m'endormis aussitôt, comme une buche... Sarah revint une heure plus tard, qui ne me sembla durer qu'une minuscule seconde.
En son absence, il faut croire qu'elle avait pesé le pour et le contre, et elle avait fini pas trouvée que ce serait une bonne idée, après tout, de tirer sur la couverture et de me faire tomber du lit en me tirant par les pieds. Sur le coup, la panique m'avait fait crié de toute la force de mes poumons, et sans prendre le temps de comprendre ce qui se passait, je m'étais élancé sur Sarah, l'agrippant à la gorge d'une main et la plaquant au sol de tout mon poids, la menaçant de mon poing serré à deux centimètres de son nez. Ce ne fut qu'après que je me rendis compte de ce qui se passait.
Je m'éloignai en rampant pour aller m'adosser au lit, regardant fixement Sarah qui, une main sur la gorge et le regard rivé au plafond, était totalement figée.
La seconde d'après, avant même que je n'aie pu dire quelque chose, les parents de Sarah débarquèrent de la chambre en courant, regardant partout avec des yeux de fou. Ils leurs fallut un certain moment avant de se rendre compte qu'il n'y avait pas d'intrus, seulement Sarah et moi.
- Qu'est-ce qui s'est passé, ici ? demanda Céline.
- Heu... j'ai fait un mauvais rêve, dis-je en haussant les épaules et détournant le regard. Et j'ai, heu... (je risquai un regard vers Sarah, puis baissais à nouveau les yeux, de peur que nos regards se croisent.) J'ai eu un réveil brutal. Je suis désolé.
Henry s'éloigna de sa femme pour aller rejoindre sa fille, qui était maintenant assise sur le plancher, les yeux fermés, une main sur la gorge, et toussait à s'éclater les poumons.
- T'as essayé de l'étrangler ? dit lentement Henry, me dévisageant de ses grands yeux.
Je secouai la tête, fermant les yeux pour me plus les voir. Je sentais les larmes me monter aux yeux.
- J'ai pas fait exprès.
- Et comment peux-tu ne pas faire exprès de l'étrangler ?! s'écria Henry.
Je secouai encore la tête, à court d'arguments. J'étais ici depuis cinq heures, dont je n'avais fait que dormir, et déjà là, j'étais passé à deux doigts de tué Sarah.
Je repliai les genoux et y appuyai le front, essayant d'ignorer Henry qui s'était mis à me crier dessus. Je me sentais trembler, tellement j'étais en colère contre moi-même. Et contre Henry. Il ne peut pas se rendre compte que j'aime Sarah ? Je n'ai jamais voulu lui faire de mal. Je ne l'avais pas fait exprès !
Je pleurais pour de bon quand Céline se décida enfin d'intervenir. Elle posa une main sur mon épaule, qui ne réussit qu'à me rendre encore plus coupable.
- Il a peur, et il est traumatisé, chuchota-t-elle, comme si elle espérait que Henry soit le seul à entendre, alors qu'elle était tout juste à côté de moi. Laisse-lui une chance, tu veux ?
Il y eut un long silence, pendant qu'Henry semblait peser le pour et le contre. Pendant ce temps, je n'osais pas lever la tête, même si j'avais réussi à arrêter de pleurer. J'avais peur de croiser leurs regards.
- C'est pas ça faute, intervint Sarah d'une voix enrouée. Il dormait encore quand j'ai essayé de le réveiller en le tirant par les pieds. J'avais pas pensé... J'avais oublié ce qui s'était passé.
Encore un long silence, dont j'imaginai Henry, Céline et Sarah dans une conversation muette, où ils ne feraient que s'échanger des regards. Il s'écoula au moins deux minutes avant que Sarah ne reprenne la parole :
- Je peux être seule avec Jay, deux minutes ? Je vous promets qu'il n'essayera plus de me tuer.
Au ton de sa voix, elle semblait trouvée ridicule l'idée que j'essaye à nouveau. Moi, pourtant, j'eu toute les misères du monde à m'empêcher de recommencer à pleurer.
Quand je levais la tête, je vis Céline et Henry quitter la pièce. Au moment de franchir la porte, Henry m'envoya un regard noir, mais se retourna aussitôt quand il se rendit compte que je le regardai. Aussitôt qu'ils eurent franchi la porte, Sarah se précipita pour verrouiller la porte, puis revint s'asseoir en face de moi, les jambes repliées en indien.
- Tu crois qu'ils vont abandonner l'idée de m'adopter ? chuchotais-je sans m'arrêter de regarder la porte.
- Bien sûr que non, s'exclama aussitôt Sarah. Papa était sévère, mais crois moi, il a déjà été bien pire, après moi. Si tu l'avais vu, la fois où je suis arrivé à la maison, complètement soul...
- Toi, soul ? m'exclamais-je. T'as déjà bu ?
- Hé, t'es pas au courant des dernières nouvelles ? J'ai quinze ans, maintenant ! Je peux bien avoir le droit de boire ! Enfin... Le droit, on en reparlera. Mais je le fais quand même, ajouta-t-elle dans un haussement d'épaules.
Le ton de sa voix réussi à me remonter le moral, pendant que je me détendais un peu. C'était à croire que rien de grave ne venait d'arriver... et du faite que je me détendais, la lumière recommença à m'agresser, et je fermai les yeux, appuyant ma tête sur mes genoux.
- Tu ne m'en veux pas, alors ? demandais-je. J'aurais vraiment pu...
- Me tuer ? Sans aucun doute. C'est clair que t'étais déjà bien parti. (Sarah fit une pause, s'attendant surement que j'allais répondre quelque chose à ça. Moi, je m'en voulais trop, j'avais l'impression que produire un bruit quelconque serait vraiment déplacé.) Mais c'est la vérité, quand je te dis que je ne t'en veux pas. Je sais que ce que tu as traversé est difficile, je ne pourrais surement jamais imaginer la moitié de ce que tu as traversé. En fait, je n'aurais même pas envie d'essayer... (Elle fit une autre pause, alors que je sentais son regard sur moi. Encore une fois, je ne répondis rien.) Dis-moi si j'ai halluciné... c'était peut-être dans le coup de l'action, je n'ai surement pas bien vu... mais, quand tu... eh bien, quand t'as essayé de m'étranglé, j'ai vu tes yeux, et ils étaient rouges, genre, ça faisait vraiment démoniaque.
Je relevai aussitôt la tête pour dévisager Sarah, surpris de cette information.
- Rouges ? m'exclamais-je. (Je tournais les yeux vers la fenêtre, où il y avait encore de la lumière, juste assez pour me faire mal aux yeux.) Mais il y a encore de la lumière, dehors ! C'est censé être brun !
- Ouais ! Et... attends, quoi ? s'exclama Sarah. Attends... Tes yeux virent au rouge quand il n'y a plus de lumière ? Mais de quoi tu parles ? fini-t-elle dans un gloussement.
Je secouai vigoureusement la tête de gauche à droite, puis rabaissais la tête contre mes genoux. Merde, que je n'aurais jamais dû dire ça !
- Tu sais quoi ? Je suis devenu complètement cinglé. C'est plus fort que moi, je dis des trucs qui sont pas vrais, et pendant un instant, je suis presque convaincu moi-même du mensonge. C'est fou, hein ?
- Dit pas de connerie.
- Je t'assure que c'est vrai ! Enfin... Peut-être que non. Bon sang, je sais même plus. Ouais, je te dis, je mens, et puis ensuite je sais même plus si c'est un mensonge. C'est fou, hein ?
- Jayden, arrête. Sérieusement.
Je pris une grande et subtile inspiration, puis relevai la tête vers Sarah, souhaitant de tout cet organe complètement inutile qui me sert de cœur que mes yeux soient bruns, en cet instant. Devant moi, Sarah secouait lentement la tête, semblant désapprouver ce que je disais.
- Je sais pas si t'es sincère ou pas, mais je te laisse une chance. Maintenant, allons manger. Enfin, toi, surtout. Sérieux, c'est à croire que t'as fait un séjour chez qui perd gagne, alors que t'en avais vraiment pas besoin.
- Quoi ?
- Peu importe.
Sarah se leva, se mettant directement devant moi, puis me prit les poignets pour me forcer à me lever. Je me laissais faire, sachant que je ne pourrais plus m'en sauver, cette fois. Puis elle m'entraina hors de la chambre, en direction de la cuisine, où m'attendait... du manger. Beurk.
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