Chapitre 18
Quand j'ouvris à nouveau les yeux, il me fallut un moment avant de réaliser que je m'étais endormie. Et que je n'étais plus du tout au même endroit.
La douleur causée par la balle dans le bas de mon dos avait disparu, mais je me sentais toujours les jambes un peu lourdes. La blessure avait cicatrisé du mieux qu'elle pouvait, mais la balle était toujours là. J'imagine que, si les policiers avaient envisagé de m'emmener à l'hôpital, ils avaient d'abord vérifié s'il y avait vraiment des blessures graves, et qu'ils n'avaient rien trouvé. Sur le coup, je regrettais de ne plus avoir Anik près de moi pour me retirer la balle avec un couteau à steak, comme elle l'avait déjà fait une fois.
Je regardai longuement autour de moi. Tout ce que je voyais était d'une teinte beaucoup trop claire, et je savais que c'était parce qu'il y avait trop de lumières, en plus du soleil qui défonçait la fenêtre derrière moi et me brulait le dos et les bras. Ce que je parvenais à voir, c'était une pièce pleine de bureaux, et des tas de types assis derrière les bureaux ou parlant entre eux d'un air sérieux, entrant et sortant de la pièce.
Je ne sais comment exactement, je m'étais retrouvé assis sur une chaise à côté d'un bureau derrière lequel un type était assis là, me regardant fixement dans le blanc des yeux, attendant que je me réveille complètement. Ce n'était pas le policier qui m'avait tiré dessus chez George, mais il semblait tout aussi sérieux, et prêt à me tirer dessus si je tentai de m'enfuir. Ce que je n'avais pas l'intention d'essayer, de toute façon. Mes jambes étaient trop lourdes pour me permettre de courir à pleine vitesse, et puis il y avait trop de monde pour ne pas risquer de me blesser. Et j'étais déjà assez blessé comme ça. J'avais besoin de boire du sang, je le sentais, mais je n'étais pas trop tenté de le faire devant une vingtaine de témoins.
- Où est-ce que je suis ? demandais-je en me retournant vers le type derrière le bureau. C'est le poste de police ?
- Tu comprends vite. Bravo.
Au ton de sa voix, on aurait plutôt dit qu'il venait de dire « Va te faire foutre, petit crétin. Je t'emmerde. » Je préférai faire comme si je n'avais rien vu.
- J'aurais plutôt imaginé qu'on m'aurait amené directement en prison... Voir même qu'on m'aurait tué, finis-je dans un murmure.
- Pourquoi on aurait fait ça ?
- Eh bien...
Je m'interrompis avant de finir ma phrase : « Eh bien, parce que je suis un meurtrier. » S'il pose la question, surement qu'il ne s'attend pas à ce genre de réponse. Mais alors, qu'est-ce qu'il en est des deux policiers que j'ai tués ?
- Parce que j'ai essayé de voler les grenades du vieux George.
- Est-ce que tu savais au moins que ces grenades sont des fausses ? dit le type en ricanant.
- Des fausses ? répétais-je. Alors pourquoi il les a cachés tout au fond de son armoire ?
- Pas caché. Oublié dans un coin.
Je grognai tout en laissant échapper un long soupir. Je me suis pris une balle et ramené ici pour rien !
- Mais tu sais quoi ? reprit le policier en me faisant un sourire. On ne t'en veut pas. En fait, on te comprend parfaitement. Mais t'auras quand même un avertissement : recommence à essayer de voler quoi que ce soit, et t'auras plus de traitement de faveur.
- Heu... et pourquoi j'ai un traitement de faveur, là ? demandais-je lentement.
- Figure-toi que je sais parfaitement ce que t'as dû traverser ces dix derniers mois. Je te comprends de paniquer, de faire des choix stupides. Mais c'est fini, maintenant, tu peux souffler. Ces types qui t'ont enlevé ne te feront plus aucun mal, t'as la protection de la police derrière toi.
Je hochai lentement la tête, rivant mon regard sur mes genoux, mes jeans pleins de terre et troués par endroit. J'étais bien curieux de savoir sa version des faits, mais je jugeai plus sage de ne pas poser de questions. Pour sûr, il ne semblait pas au courant que j'avais tué deux policiers. Et pourtant, l'autre policier, celui qui m'a tiré dessus hier, en était bien conscient. C'est sûr, il y a quelque chose de bizarre qui se passe.
- Alors, vous me réservez quoi ? demandais-je lentement.
- Tu vas... ah tien, ils arrivent. T'as qu'à leur poser la question.
- Qui... ?
Je levais la tête pour voir qui était ce « ils », mais quand je les vis, le reste de ma phrase resta muette, alors que j'étais totalement bouche bée. J'avais déjà imaginé ce scénario, et peu importe sous quel angle je le regardai, il finissait mal. Ça allait finir mal. Si j'avais eu ne serait-ce qu'un semblant de bon sens, je me serais sauvé en courant et j'aurais quitté la ville, voir le pays au plus vite. Mais le choc de les voir réellement, là devant moi, m'empêchait de faire le moindre mouvement.
Devant moi, à tout juste deux mètres, il y avait mon parrain Henry, ma marraine Céline et leur fille Sarah, ma cousine. Il existe encore des êtres vivants dans ma famille !
Je les regardai tour à tour, incapable de me décider quoi dire, et apparemment, c'était le même problème pour eux. J'imaginais bien que, eux, au moins, avaient su se préparer convenablement à ce moment, mais qu'ils ne c'étaient pas attendu à retrouver un gamin pâle et maigre comme si je n'avais rien manger et pas revu le soleil depuis dix mois. La seule chose que j'espérais, c'était que mes iris ne se soient pas mis à luire d'une couleur rougeâtre, et j'avais bien raison d'espérer, car, malgré la lumière qui m'aveuglait à moitié, j'avais les yeux tellement exorbités de les voir là, qu'ils étaient probablement plus grands encore que ceux d'un calamar géant.
- Je te laisse partir. On s'occupera de la paperasse demain, dit le policier avec un signe de tête en direction de Henry.
Il s'enfonça bien profond dans sa chaise, décidée à ne plus déranger nos retrouvailles, mais tout de même présent pour nous surveiller. Mais moi, je m'en fichai royalement, de sa présence. Je sais que cette histoire va finir mal, mais je ne pouvais pas m'empêcher d'être extrêmement heureux de leur présence. Malgré la très énorme possibilité qu'ils finissent tous comme Ben, eux aussi...
- Jayden ? dit Céline la marraine en faisant deux pas vers moi. Ça va ?
Sur le coup, je ne pus m'empêcher d'éclater de rire. Quoi de plus normal, après être officiellement mort et enterré, kidnappé par des chasseurs et entrainé par des vampires pour finir par tué accidentellement l'un d'entre eux, m'enfuir pour revenir ici et de tuer deux policiers et l'ex d'une amie sur mon chemin, et de me demander « ça va » ?
Malgré tout, je hochai vigoureusement la tête de haut en bas, incapable de m'empêcher de sourire. Je n'arrivai pas à trouver de réponse adéquate pour dire à quel point j'allai bien, là tout de suite.
S'il te plait, faites qu'ils ne meurent pas à cause de moi à la fin de l'histoire. Ce serait apprécié.
J'essayai de me lever de ma chaise pour me mettre à leur hauteur, mais j'avais les jambes tellement molles qu'elles ne voulaient tout simplement plus m'obéir. Je n'arrivai pas à déterminer si c'était à cause de la balle, qui de toute façon ne me faisait pratiquement plus aucun mal, ou à cause du stress. Oui, j'étais énormément heureux de les voir, mais j'étais au moins mille fois plus stressé. J'avais peur que, en me faisant honneur de leurs présences, ils ne vinssent pas de signer leur arrêt de mort.
Céline s'agenouilla devant moi, une main sur ma cuisse, me fit un grand sourire malgré la larme solitaire qui glissait au coin de son œil, puis me prit dans ses bras. Je fermai les yeux, savourant le moment. Je sentis une deuxième paire de bras m'enlacer par-dessus Céline, et je savais que c'était Henry. Nous restâmes ainsi un long moment avant de nous séparer.
- Viens, on va aller à la maison, maintenant, dit Céline.
Encore une fois, je hochai la tête, incapable de trouver mes mots. Céline me tendit une main pour m'aider à me relever et j'acceptai son aide. Avec effort, je parvins à me remettre debout, mais j'avais les jambes qui tremblaient toujours. Henry s'approcha pour me passer un bras autour des épaules et m'entraina avec lui vers la sortie de ce nid de bureaux.
- T'as la peau froide, hein ? dit-il dans un rire nerveux.
Sur le coup, je perdais de moitié mon sourire. Même pas encore arrivé, et il se rend déjà compte qu'il y a quelque chose qui cloche chez moi.
Je fermai les yeux, me laissant guidé par Henry. Ma résistance à la lumière me quittait aussi surement que ma bonne humeur.
- Ouais, je sais, marmonnais-je.
Je sentis qu'on me donnait un petit coup de coude, et j'ouvris les yeux pour voir Sarah, de l'autre côté de moi, qui me faisait un petit sourire incertain. Sarah avait changé, depuis la dernière fois que je l'avais vu. Avant elle était rousse. Maintenant, ses cheveux étaient carrément rouges. Ça me faisait un peu bizarre, mais en même temps, je préférai ça. Si elle était toujours rousse, je crois qu'elle m'aurait trop fait penser à Laura.
- T'étais passé où, pendant tout ce temps, exactement ? demanda-t-elle.
Je haussai les épaules et baissais la tête, sans répondre. Pas que je ne voulais pas. Parler ne m'aurait pas vraiment dérangé. Mais je savais que, elle, elle n'était pas prête pour la vérité. Peu importe ce que je dirais, elle ne me croirait pas. Et puis, même si elle me croyait... non, c'était tout simplement une mauvaise idée.
- Sarah ! dit Céline. Lui pose pas de questions.
Sarah leva les mains en l'air, puis secoua vivement la tête de gauche à droite.
- Ça va, il est pas obligé de répondre, s'il veut pas. Mais je suis toujours ta cousine préférée, pas vraie ? ajoute-t-elle avec un petit sourire.
- T'es ma seule cousine. Donc, ouais, malheureusement, t'es ma cousine préférée.
- Au moins, t'as pas perdu ton sens de l'humour.
Sans prévenir, elle m'arracha des bras de son père pour me prendre dans ses bras. Elle me serrait tellement fort que, si j'avais réellement eu besoin de mes poumons, je serais assurément en train d'étouffer. Mais là, au contraire, je souriais de toutes mes dents.
- Même si j'en avais d'autres, tu serais toujours ma cousine préférée.
- On y va, maintenant ? dit Henry. J'ai hâte de retourner à la maison.
Sarah s'éloigna de moi tout en hochant la tête, et pour la première fois depuis que j'étais debout, il n'y avait plus personne pour me soutenir. Cette fois, c'était clair, cette balle qui me barrait la colonne vertébrale me bloquait vraiment les jambes. Il fallait que je la retire au plus vite.
- Jayden, tu viens ? dit Céline.
- Avec un peu d'aide ? marmonnais-je, honteux. Je me suis pris un coup, et j'ai vraiment mal aux jambes.
Henry revint aussitôt pour passer un bras autour de mes épaules.
- Tu veux aller à l'hôpital ? demanda Céline.
- Non, non, pas la peine ! C'est juste un coup. Ça va passer.
- T'es vraiment sûr ?
- À cent pour cent, dis-je avec un grand sourire. Il faut juste que je me repose un peu. Allons à la maison, j'ai hâte d'y être, moi aussi.
Henry et Céline échangèrent un regard, puis hochèrent la tête. Tous les quatre, nous sortîmes du bâtiment et allâmes à la voiture. En direction d'un nouveau foyer pour moi, dont j'avais grandement l'impression qu'il ne durera pas très longtemps...
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