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Résurrection

Tout avait commencé après les barricades. Un sentiment de malaise s'était emparé de Jean Valjean. Ce n'était pas lié à la peur de l'arrestation. Pas après l'article paru dans Le Moniteur lui apprenant la mort de l'inspecteur Javert, noyé dans la Seine dans un moment de folie passagère.

Le soulagement que ressentit l'ancien forçat à cette nouvelle inespérée le plongea dans un monde de remord et de culpabilité. Mais aussi un monde de liberté ! Javert était le dernier homme sur cette Terre à le connaître et à le poursuivre.

Un moment de folie passagère ! Valjean pria pour le repos de cette âme tourmentée, essayant de ne pas trop penser que sa liberté avait été obtenu au prix de la damnation d'un homme. Aussi horrible que soit cet homme en l'occurrence ; Javert n'avait pas mérité cela...

Mais Valjean était maintenant pris par un nouveau sentiment de malaise. Comme si les yeux si froids de l'inspecteur honni étaient toujours sur son dos malgré sa mort... Valjean se traita d'imbécile...

Plusieurs jours se passèrent ainsi. L'atmosphère encore un peu délétère suite aux barricades disparaissait. Des arrestations avaient lieu ici ou là. Valjean eut peur pour Marius de Pontmercy mais il était encore inconscient chez son grand-père, Cosette à son chevet. Et de toute façon, le seul homme qui pouvait réclamer son arrestation était dans la Seine...

Une fois, Jean Valjean se permit d'aller jusqu'à la préfecture de police. Il regarda les policiers partir pour leur patrouille et fut choqué de ne pas voir la haute silhouette de Javert parmi eux. Il remarqua les brassards de deuil que portaient la plupart des officiers. Pour Javert ? Et certainement d'autres collègues tombés lors des barricades... Mais alors qui le regardait avec tant d'intérêt ?

Valjean appela un des plus jeunes sergents, appuyé nonchalamment contre le mur de la préfecture, en train de vérifier ses bottes.

« Monsieur ? Vous avez besoin d'aide ?, demanda le jeune homme en souriant, il avait sensiblement l'âge de Cosette.

- Je cherche l'inspecteur Javert, pourriez-vous m'indiquer où il se trouve ? »

Valjean savait la réponse mais il avait besoin de l'entendre pour sa tranquillité d'esprit. Le jeune sergent le regarda avec un air malheureux.

- Il est mort ?

- Suicide, monsieur. Noyé dans la Seine.

- Je l'ignorais. Veuillez me pardonner.

- Il n'y a rien à pardonner, monsieur. Vous ne l'avez peut-être pas lu dans le journal, c'est tout.

- C'est tout... »

Et Valjean crut bon de s'échapper en refusant poliment les propositions d'aide venant du jeune homme. On dut le regarder comme un fou mais il n'en eut cure.

Javert était mort. Bon sang ! Alors d'où venait cette sensation désagréable ? Cette impression de déjà-vu ? Valjean se traita encore une fois d'imbécile.

Des jours passaient. Ils devenaient des semaines. Valjean voyait avec désespoir sa bien aimée Cosette, sa fille chérie s'éloigner de plus en plus de lui. Toute à son Marius. Valjean joua encore le rôle de M. Fauchelevent et parla du contrat de mariage, des 600 000 francs. Une dot assez importante pour faire oublier les origines obscures de la jeune femme à M. Gillenormand.

Puis Cosette passa tous ses jours auprès de Marius, ne parlant que de son avenir, de leur avenir avec un sourire magnifique. Tandis que Valjean plongeait dans l'angoisse et la tristesse. Il en vint presque à envier le sort de l'inspecteur Javert.

Trois mois s'étaient écoulés, comme du sable entre ses doigts. Le mariage se préparait. Valjean fit semblant d'avoir un bras en écharpe pour ne pas signer d'un faux nom le registre de mariage de Cosette, la jeune baronne de Pontmercy. Puis il fuit le repas de noces. Puis il avoua la vérité à Marius. Puis il s'évada de la vie de Cosette. On ne le vit plus chez les Pontmercy. M. Fauchelevent était parti en voyage.

Et Valjean cessa de vouloir vivre...

Le sentiment d'être surveillé ne le quitta jamais. Les rares fois où Valjean se permettait une promenade, sur le chemin le menant chez Cosette, il se sentait épié, surveillé et le malaise s'accentuait. Valjean craignait que ce ne soit Thénardier puisque Javert était mort. Valjean avait même visité la tombe du policier, perdue dans un coin du cimetière, dans le carré des suicidés et des étrangers. Assez ironiquement, Javert se retrouvait enterré parmi les gens de son ethnie. Mais le policier, droit et intègre, ne méritait pas cela. Un enterrement en-dehors de la terre consacrée. Valjean pria pour lui. Voir la tombe ancra les choses dans la réalité. Devait le faire. Aurait du le faire en tout cas.

Et soudain, ce fut encore plus embrouillé. Valjean reçut un message incompréhensible. On le convoquait dans un café du quartier Saint-Michel. Un coin tranquille et assez mal famé. Un message qui disait laconiquement :

Dans votre intérêt, venez au Café de l'Archange, ce soir 20 h.

Valjean songea avec horreur à Thénardier et à la Maison Gorbeau. Un nouveau chantage ? Valjean se rendit au rendez-vous la peur au ventre mais prêt à tout pour défendre la tranquillité de sa chère fille. Il faisait déjà nuit, il pleuvait. Le froid de l'automne tombait sur la ville. Un mois de septembre à Paris.

Le café était bondé. Au moins, cela réchauffa Valjean. Ces temps-ci l'ancien forçat se sentait devenir vieux et inutile, il oubliait de manger, de dormir... Voir des gens, les entendre discuter et boire lui faisait bizarre. Comme s'il était en-dehors du monde.

Le cabaretier l'accueillit avec un sourire professionnel et l'entraîna jusqu'à une table libre, dans un angle tranquille. Puis il apporta du vin et du pain sans que Valjean ne réclame rien. Des voix murmurèrent contre la boisson, trop mauvaise à leur goût. Valjean allait rétorquer qu'il ne souhaitait rien non plus lorsqu'une voix profonde et grave le fit sursauter.

« C'est le Mec qui paye le ginglard, alors vos gueules !

- Ta gueule toi-même le rabouin ! J'ergote si je veux !, opposa un homme dans l'assistance.

- Tu cherches le riff, l'arsouille ? Je peux faire un effort ! »

Valjean se redressa, il voulait voir qui avait cette voix ! Qui parlait ainsi ? Ce n'était pas possible. Il était... Et Valjean perdit le souffle.

Javert était là !

Javert était vivant !

Valjean se laissa retomber sur sa chaise, livide de peur.

Puis, les deux hommes se calmèrent et le malaise disparut dans le café. Manifestement, on devait craindre Javert car on s'excusa pour son emportement. Enfin, Valjean hésita à s'enfuir lorsqu'une silhouette massive s'assit à sa table.

« Hé le mastroquet, tu me sers un glace ?

- Ça vient le rabouin ! Ça vient ! »

Et le cabaretier apporta un verre relativement propre et le posa devant l'inspecteur Javert avec déférence. Le policier remercia d'une inclinaison de la tête. Valjean n'avait pas quitté des yeux Javert. Il était vivant ! Dieu du Ciel ! Valjean ne savait pas quel sentiment le dominait, la peur ? Le soulagement ? La surprise ? En tout cas, l'homme avait changé. Il avait maigri, ses yeux étaient ourlés de cernes noires, il semblait épuisé. Ses joues étaient ornées de favoris, toujours, et ses cheveux longs étaient retenus par un ruban de couleur noire. Il tenait sa jambe gauche avec raideur et Valjean remarqua sa canne à pommeau plombé posée contre la table. A portée de sa main. Il ne portait pas d'uniforme de police, juste un costume civil. Javert eut un sourire sans humour en se voyant ainsi détaillé.

« Content de ce que vous voyez ? »

Javert continuait à vouvoyer Valjean, sans forcément s'en rendre compte.

« Vous êtes vivant ? »

La question était idiote et eut le mérite de faire rire Javert. Un rire sans joie, juste un souffle.

« Je le suis, en effet.

- Comment est-ce possible ? J'ai lu votre avis de décès dans le journal !

- La preuve qu'on ne doit pas avoir confiance dans la presse. N'est-ce-pas, M. Perdu-en-Mer ?

- Expliquez-moi !

- Plus tard. Ce soir, je pensais que vous auriez d'autres questions pour moi.

- Dans mon intérêt ?

- Dans votre intérêt. »

Javert but quelques gorgées de son vin et grimaça. Il n'était pas bon, en effet, les hommes avaient raison de râler. Javert allait en parler au patron.

« Vous allez m'arrêter, c'est cela ? »

Javert regarda attentivement Valjean. Une vieille colère montait en lui, une vieille rancune que les eaux de la Seine n'avaient pas réussi à effacer.

« Non.

- Je suis libre ? »

Valjean était si abasourdi qu'il semblait idiot. Javert se demanda s'il avait fait le bon choix tout compte fait. Mais à sa décharge, l'homme avait raison de se méfier de lui. Javert lui avait donné de nombreuses occasions de le faire.

« Vous êtes libre, en effet. »

Valjean allait se lever et partir, surpris de sa chance et pressé d'en profiter. Puis Javert le désarçonna, encore.

« Toutes mes félicitations à votre fille ! Une baronne ! Qui aurait cru cela de la fille d'une prostituée ? »

Cette fois, Valjean ne ressemblait plus à un idiot mais à Jean-le-Cric, une froide colère blanchissait ses traits. Cela plut à Javert.

« Que voulez-vous Javert ?

- Une triste vie que celle de Jean Valjean. Combien de temps pensez-vous tenir avant de vous suicider ?

- Je ne comprends pas ! »

Valjean perdait sa colère, il redevenait étonné et il n'aimait pas cela.

« Voyons ! Ne me prenez pas pour un imbécile, quelqu'un qui cesse de manger, de dormir, de sortir de chez lui n'est pas ce qu'on pourrait appeler heureux de vivre, non ?

- Je m'incline devant vos connaissances en matière de suicide. »

Javert souriait cette fois et leva son verre en direction de Valjean. Un sourire avec trop de dents pour être vraiment agréable.

« Touché ! Cela fait des semaines que je vous surveille et que j'assiste à votre déchéance. Dieu ! Que c'était de longues fiançailles !

- Vous m'avez surveillé ? Pourquoi ?

- Allons Valjean ! »

Le rire fut perceptible cette fois et provoqua un silence attentif dans le café. Javert se tourna vers le patron du café et hurla :

« Hé le mastroquet ! Ton picton c'est de la merde ! T'aurais pas du rhum ?

- Sur le compte de qui Javert ? »

Un nouveau venu était arrivé dans le café, accompagné par un homme large d'épaule et dépourvu de sourire. Valjean sentit une certaine reconnaissance mais n'arriva pas à mettre un nom sur le visage.

« Le mien, Vidocq. Le mien. Ce vin est un gaulé imbuvable.

- Fais voir. »

Javert tendit son verre à l'homme avec mépris. Le dénommé Vidocq but à même le verre de Javert et sans autre cérémonie, il cracha sur le sol.

« Dégueulasse, en effet. On va avoir des mots avec le mastroquet. »

Le cafetier n'aima pas le regard mauvais posé sur lui par les hommes et soupira, blasé :

« Vous espérez quoi avec ce que vous me payez ? Un millésime ?

- T'as du rhum ? File-leur des grogs. J'allonge la thune. »

Un concert d'applaudissements eut lieu dans le café. Valjean contemplait tout cela avec une certaine distance. Comme s'il était au spectacle.

« Merci le Mec, renchérit une voix dans la troupe de buveurs.

- J'ai des nouvelles les enfants et j'ai besoin de votre attention. Vous avez bien mérité un verre aux frais de la princesse.

- T'arriveras à te faire rembourser par Gisquet ?, demanda Javert, avec une pointe d'ironie dans la voix.

- Qui te dit que Gisquet me refusera mes frais de réception ?

- Vidocq... »

Un nouveau rire. Javert reposa ses yeux gris, si froids, sur Valjean. Le sourire disparut pour laisser la place à la concentration. Valjean se troubla, perdu sous le regard glacé du policier. Vidocq s'assit à leur table pendant que les hommes recevaient leur alcool.

« C'est donc lui, ce fameux Jean Valjean ?

- Oui, maître.

- Il me remet pas, je suis déçu Le-Cric. »

Ce surnom honni fit bondir Valjean et sourire les deux hommes en face de lui.

« Je t'ai pourtant reconnu Le-Cric.

- Je vous ai rencontré ?

- Pas vraiment mais on s'est croisé ici ou là sur les chantiers de Toulon.

- Vous êtes un forçat ? »

Cette fois, Valjean dut admettre qu'avec une bouche bée, il avait vraiment l'air d'un imbécile.

« Tu es sûr de toi Javert ?

- Vingt ans de course-poursuite. Ma plus longue chasse à l'homme. Mon plus bel échec. »

Les paroles étaient amères, Javert les noya dans le vin, aussi mauvais qu'il soit. Une main se posa sur le verre et l'empêcha d'avancer jusqu'à la bouche. Javert fronça les sourcils, il était tellement égal à lui-même avec cette expression que Valjean retint son souffle. Javert, l'homme des barricades, l'inspecteur de Montreuil.

« J'ai besoin de tes idées claires pas d'une séance d'apitoiement.

- Merde Vidocq ! Tu as ma vie, laisse-moi mes regrets.

- Va te faire foutre le cogne. Je t'ai à ma botte. »

Javert baissa la main et reposa docilement le verre sur la table. Le gris si clair de ses yeux était devenu orageux et un tic nerveux agitait sa paupière. Vidocq se voulut conciliant et murmura sur un ton de conspirateur :

« Il va y avoir de l'embrouille chez le Comte de Sans-Fond, ce soir. Tu veux en être ?

- Je veux Patron-Minette, le reste... »

Javert leva la main comme pour chasser un moustique. Ses yeux ne quittaient pas ceux de Jean Valjean. Mais le forçat évadé avait compris que ce regard froid le traversait sans le voir. D'ailleurs cela commençait à gêner Valjean. Javert semblait absent.

« Je te l'ai promis le cogne... Mais ce soir, c'est le Comte de Sans-Fond !

- Rien à battre mais comme mon avis ne compte pas...

- Bien parlé le cogne ! »

Et Vidocq posa une main amicale sur l'épaule de Javert. Enfin, il répondit à Jean Valjean.

- Je suis un forçat. Évadé comme toi. Rattrapé comme toi. Libéré comme toi. Avec un passeport comme toi.

- Plus dangereux que vous, renchérit Javert, vouvoyant toujours Valjean.

- Et je suis devenu un mouchard pour les cognes puis un chef parmi les cognes. Qu'en dis-tu Le-Cric ?

- Un chef ?

- Le chef de la Sûreté, rétorqua Javert. Pour ce que cela vaut... »

Un gigantesque éclat de rire retentit dans le café. Vidocq riait aux larmes et Javert souriait, enfin une étincelle de vie illuminait son regard de glace.

« Tu l'as dit Javert !

- Et vous m'avez rencontré à Toulon ?, reprit Valjean.

- Il est poli ton petit fagot, Javert, il me dit « vous », tu devrais prendre exemple sur lui !

- Il gèlera en Enfer le jour où je te vouvoierais. »

Une forte tape sur l'épaule secoua le corps entier de l'inspecteur, lui arrachant une grimace de souffrance. Vidocq fronça les sourcils, inquiet.

« Toujours ton bras ?

- On guérit pas comme ça d'un coup de surin, Vidocq, tu devrais le savoir.

- Merde ! Que fais-tu là alors ?

- Branle-bas de combat ! Tu m'as sifflé, je suis venu. Je suis un chien bien dressé.

- Tu montreras ça à Satenay, il a fait des études de médecine !

- Je sais ! Satenay est bon à la découpe. »

Cette fois, Vidocq ne dit rien lorsque Javert vida d'un coup le contenu de son verre de vin.

« Sur des milliers de forçats, je me souviens de pas mal de noms. Le tien en particulier ! Jean-Le-Cric ! Fort comme un bœuf mais bête comme ses arpions.

- Merci pour la description, lança Valjean, indigné.

- C'est la vérité, Le-Cric ! Dix-neuf ans pour un pain, tu pouvais pas patienter au lieu de jouer la fille de l'air ?

- Ce ne sont pas tes affaires ! »

On apprécia l'utilisation du tutoiement. Vidocq leva son verre et sourit, suffisant.

« Le-Cric ! T'as pas changé ! Toujours prêt à casser de la gueule !

- Je vais partir, » asséna Valjean, mécontent.

Et joignant le geste à la parole, Valjean se leva. Cette fois, il alla jusqu'au bout du mouvement et se dressa face aux deux hommes. Vidocq était amusé et le contemplait avec un air moqueur insupportable, Javert semblait...déçu... Impossible de savoir pourquoi.

« Trois mois à patienter...

- T'as perdu la main, Javert. Faut t'y faire ! Tu sais plus juger d'un homme.

- Je ne le sais que trop bien... »

Vidocq regardait Valjean et se mit à rire. Mais Valjean ne partait pas, il était hypnotisé par la main de Javert. Sa main droite posée sur la table et qui se couvrait de sang petit à petit, gouttant sur le bois maculé de graisse. N'y tenant plus, Valjean se rassit et captura les doigts de Javert, le faisant sursauter. Le policier se recula d'un coup sec avec une expression d'horreur. Valjean se recula aussi, sous la menace d'un petit pistolet que Vidocq avait sorti de nulle part.

« Tu espères faire quoi Le-Cric ?

- Il saigne ! Putain, regarde-le ! »

Valjean fut ébahi par ses propres mots, un juron venant de lui ?! Toute cette affaire le ramenait des années en arrière.

Mais Vidocq avait entendu et il poussa aussi un juron lorsqu'il vit le sang. Mais personne ne put saisir les doigts de Javert, le policier gronda, menaçant :

« On ne me touche pas ! Vidocq, pense à tenir le crachoir ! Ça commence à vieillir ici et si tu veux aller chez le Comte de Sans-Fond...

- Très bien, acquiesça Vidocq. Mais on parlera de tout ça après.

- Sûr ! Compte sur moi pour te faire un rapport détaillé en trois exemplaires sur l'état de ma santé. Je suis bon en paperasse, n'est-ce-pas monsieur le maire ? »

Valjean ne sut pas quoi dire face à cette nouvelle attaque.

Vidocq se leva à contre-cœur et se mit à parler. Un bourgeois assez riche allait être victime d'une attaque le soir-même, Vidocq avait reçu l'information par ses petits oiseaux et il voulait arrêter la bande. Histoire de prouver au préfet et au ministre que la Sûreté continuait à faire de la belle ouvrage. On demandait des volontaires, il y avait des risques assez élevés à prendre.

Valjean écoutait d'une oreille distraite, il était toujours concentré sur la main de Javert, sur le sang qui mouillait la table et devait avoir humidifié le manteau. Javert le regardait et soupira. M. le maire ! Combien de fois il avait grondé le policier sur son manque de prévoyance ? Sur sa prise de risque ? Blâmant le courage de Javert alors que c'était justement la seule chose qui faisait sa fierté. Exaspérant monsieur Madeleine !

Javert soupira encore puis se leva et retira son manteau. Sa veste. Valjean le contemplait interloqué. Puis la chemise apparut, tachée de sang sur tout le bras. Valjean déglutit. Lentement, Javert remonta la manche et dévoila la blessure. Un bandage tomba sur le sol, rouge écarlate. Ceci fait, il réclama de l'eau propre et un chiffon au cabaretier, s'attirant un regard mauvais de Vidocq. Il sourit en s'inclinant avec déférence. Enfin, il tendit le tout à Jean Valjean.

« Allez-y, amusez-vous. Si cela peut retirer ce souci de votre esprit.

- Mais je ne suis pas médecin !

- Ce sera toujours mieux que Satenay et ses ongles noirs de crasse. J'ai du mal à me bander tout seul. »

Valjean s'empara de l'eau et du chiffon et lentement il se mit à frotter le bras. La plaie apparut, une longue estafilade encore sanguinolente. Il haleta et s'empressa de la laver le plus doucement possible. Javert sourit, amusé de tant de soin et de prévenance.

« Dans votre intérêt signifie que je voulais vous sortir de votre situation, lança Javert.

- Comment cela ?

- Je n'ai pas perdu ma vie pour vous voir mourir de faim et de chagrin trois mois après ! Je vous ai surveillé dés que je fus en mesure de le faire.

- Perdu votre vie ? Mais pourquoi ? »

Valjean avait fini de laver. Javert se mit à fouiller dans les poches de son manteau et en sortit une petite boite métallique. Il la posa devant Valjean.

« Ouvrez-la. Prenez la bouteille et versez-en sur la plaie. Ensuite, enroulez la bande autour d'elle et ce sera parfait. »

Valjean obéit, dans la boîte se trouvaient un bandage propre et une petite bouteille d'un liquide ambré, une cheville de bois sembla incongrue à Valjean mais le fil et les aiguilles lui en firent comprendre l'intérêt. Valjean ouvrit la bouteille et renifla l'odeur du liquide. Il blêmit.

« De la teinture d'iode ? Mais vous...

- Versez ! On n'a pas toute la nuit ! »

Valjean fit ce qu'on lui avait dit et versa. Javert siffla sous la douleur et ce fut tout. Valjean banda soigneusement la plaie. Javert se rhabilla. Seules quelques gouttes de sueur glissant sur le front attestaient de la souffrance occasionnée par cette opération.

« Bien ! Vous serez plus concentré maintenant !

- Vous étiez déjà ainsi à Montreuil ?

- J'étais déjà ainsi à Toulon ! Mais je l'admets, j'ai vieilli, j'aurai du éviter le surin de ce tire-laine. Manque de rapidité !

- Votre jambe ? »

Javert devint sombre, un autre sujet à éviter manifestement.

« Donc, je vous ai fait venir Valjean pour vous aider à œuvrer dans votre intérêt pour une fois.

- Que me voulez-vous ?

- Vous savez qui sont les hommes présents ici ce soir ?

- Non, mais ce ne sont pas des hommes respectables, c'est cela ?

- Il n'y a aucun homme respectable ici. »

Valjean eut envie de s'opposer. Et vous ? Mais il préféra se taire.

« Donc, si ces hommes sont là c'est pour la récompense.

- De l'argent ? »

Valjean ne put s'en empêcher. Il avait parlé avec cet air supérieur de M. Madeleine qui agaçait tellement l'inspecteur. M. Madeleine et ses millions, M. Madeleine et son usine... Qu'avait-il à faire avec de l'argent ? Si c'était l'appât que Javert avait prévu, en effet, le policier ne savait plus juger des hommes.

« Pas tous. Certains viennent pour se rendre utile, d'autres pour la vengeance. D'autres, enfin, pour le pardon.

- Le pardon ? »

Encore ! Encore une fois, Javert l'avait décontenancé, Valjean en fut dépité.

« Un pardon, Valjean, et vous cessez de vous laisser mourir et vous retournez vers cette fille Cosette. Et je vous rembourse ma dette.

- Votre dette ?

- Je ne peux plus offrir ma vie, alors je vous offre un pardon.

- Mais en échange de quoi ?

- Un travail en collaboration avec Vidocq. »

Javert prit un souffle d'air. Comme s'il se noyait ou que tout à coup ses poumons refusaient de fonctionner.

« Avec moi.

- Travailler avec vous ? Pour faire quoi ?

- Arrêter Patron-Minette ! »

Vidocq était revenu, il posa une main possessive sur l'épaule de Javert et se pencha pour murmurer :

« Sa grande obsession après toi, Valjean. Arrêter Patron-Minette !

- Pourquoi ?, demanda innocemment Valjean.

- J'ai mes raisons, jeta Javert.

- Elles ne sont pas toutes bonnes, s'écria Vidocq.

- C'est mon problème.

- Javert... », murmura Vidocq sur un ton blasé.

L'inspecteur ne répondit pas et vida un nouveau verre. Valjean avait perdu le compte, combien de verres avait bu Javert ? Deux ou trois ? Vidocq dut avoir la même pensée car il écarta la bouteille de vin et la posa sur une autre table derrière eux. Javert sourit, trop de dents, aucun amusement.

« Qui vient à la fête ?

- Seulement Roussin et Tape-dur, les autres rentrent au bercail. Paraît que les archers vont faire une descente rue de la Madeleine.

- Leroux ne m'en a rien dit.

- T'es mort l'inspecteur, faudrait peut-être t'y faire, non ?

- Leroux est un homme de confiance ! Pourquoi la Sûreté collabore avec la Force ?

- Gisquet a fait une demande officielle !

- De Dieu !

- Oui, mon cher. Rue de la Madeleine se tient un escroc notoire que Gisquet rêve de serrer. Paraît qu'il fait dans le chantage pour les gens de la haute.

- Je préférerai aller rue de la Madeleine plutôt que chez le Comte.

- T'es mort, Javert, et si tu veux Patron-Minette il vaut mieux le rester encore un peu.

- La Seine est toujours là. Elle m'attendra bien encore un peu. »

Une claque gifla l'arrière de la tête de Javert. Vidocq avait un visage pâle de colère.

« Approche-toi de la Seine mon mignon et je te fais enfermer dans un sanatorium pendant six mois. Tu veux en goûter ? »

Javert ne dit rien, il se tenait assis, raide et serrait les dents. A les broyer. Valjean donna un répit aux deux hommes en lançant :

« Donc, on m'offre un pardon officiel contre une collaboration active ?

- Il a du mal à entraver ton pote, Javert, mais on va l'excuser pour ce soir. Te voir ressuscité ça doit faire beaucoup à encaisser. »

Après ces quelques mots, Vidocq changea de personnage et devint tout à coup poli et déférent.

« Il est tout à fait vrai que je peux vous obtenir un pardon officiel, monsieur Valjean. C'est une chose que j'obtiens contre de bons et loyaux services. Le ministre m'est redevable de quelques faveurs. Mais pour cette récompense, j'ai besoin de votre soutien et de votre étroite collaboration.

- Ce soir ?

- Et tous les autres soirs ! Et aussi les jours ! L'inspecteur Javert m'a parlé de vous en des termes très élogieux. Il pense que vous feriez une pratique de choix dans ma société. Il m'a vanté votre honnêteté, votre dévouement, votre courage avec beaucoup d'insistance.

- Vidocq, souffla Javert, tu t'écoutes parler !

- Bref, il veut vous offrir un pardon désespérément alors il m'a convaincu de vous engager.

- Ainsi, je serais libre d'user de mon nom ?

- Une fois le travail effectué, oui.

- Vous ne me demanderez plus rien ?

- Je ne suis pas maître-chanteur, » sourit Vidocq.

Les regards convergèrent vers Javert. L'homme, distraitement, jouait avec un morceau de pain, roulant de la mie entre ses doigts, indifférent à ce qui se passait autour de lui. Comme le silence se prolongeait, Javert comprit qu'on attendait de lui une réponse, nette et précise.

« Je ne suis plus inspecteur de police et de toute façon je ne suis plus capable de vous arrêter. »

Ces paroles, si impersonnelles, furent la seule réponse que daigna offrir Javert. Valjean réfléchit. Obtenir un pardon était inespéré, retourner dans la vie de Cosette était impossible...mais pouvoir finir une vie dans la légalité... Quelques années à vivre en étant Jean Valjean...

Et Valjean prit une décision comme certains se jettent à l'eau.

« J'en suis ! »

Vidocq sourit avec béatitude, Javert se fendit d'un petit hochement de tête pour acquiescer.

Le chef de la Sûreté, Eugène-François Vidocq se releva et d'une voix de stentor, il s'écria :

« En route, les mômes, il y a du turbin à écoper. »

Javert se leva et saisit sa canne. Valjean l'imita et souffla en voyant l'inspecteur boiter bas. Que diable était-il arrivé à sa jambe ?

Deux hommes partirent à leur suite, ce qui porta à six l'expédition nocturne. Deux fiacres attendaient à l'extérieur du café, Vidocq en prit un et fit monter Javert et Valjean avec lui. L'autre était pour les hommes de main.

« Tu me mets au parfum ?, demanda Javert, baillant d'ennui.

- Avec plaisir, mon prince. Mais si tu m'avais écouté dans le café...

- Je me faisais soigner, le Mec. Au moins je ne pisse pas le sang sur le velours d'Utrecht. »

Un souvenir précis vint à Valjean et le regard entendu que Javert posa sur lui lui prouva que c'était voulu. Un velours d'Utrecht, du sang, de la boue... Javert sourit de voir Valjean aussi troublé.

« Le Comte est victime de harcèlement, il m'a demandé de l'aider à faire face. Ses tourmenteurs viennent ce soir, il doit assurer une livraison. Le Comte souhaiterait que ce soit la dernière.

- Il ne s'en est jamais plaint avant...

- Ils réclament de la chair fraîche, ces gens sont sans manière !

- Quoi ? Sa fille ?

- On vous a déjà dit que vous étiez intelligent inspecteur ?

- Il y a longtemps... Quand j'étais encore en vie !

- Dieu ! Avoue que t'aimes sortir des phrases comme ça Javert !!! »

Et le rire fut communicatif. Même Valjean s'y joignit.

Ils arrivèrent dans une petite rue perdue dans la pénombre, sous une pluie froide qui les trempa en quelques instants. Vidocq plaça ses hommes autour de lui et leur rappela la prudence requise. Il fallait rejoindre la maison du comte par l'arrière-cour. Calme, silence, discrétion !

Puis Vidocq finit en ordonnant qu'il ne fallait pas hésiter à tirer pour tuer car en face ils n'hésiteraient pas. Valjean blanchit, il n'avait jamais tué une personne. Javert glissa ses mains dans les poches de son carrick et en sortit deux pistolets d'officier de l'armée. Il en tendit un à Valjean en murmurant :

« Votre gendre a toujours mes coups de poing. Je n'ai plus que ça à vous offrir.

- Je ne vais pas tirer Javert !, refusa Valjean.

- Alors frappez mais ne vous faites pas tuer ! Je vous ai amené ici pour vous sauver pas pour vous assassiner. »

Vidocq posa une main sur le bras de Javert et se pencha pour lui asséner :

« Pour sa première mission, charge-toi de ton arpette ! Il me semble un peu nerveux.

- Cela va sans dire... »

Puis, ce fut le silence. Chacun suivit Vidocq et Javert. L'inspecteur resta près de Valjean puis il le fit sursauter en glissant son bras sous le sien, se rapprochant de son oreille. Un souffle chaud aux senteurs de vin bon marché.

« Le Comte est un proxénète, Valjean. Il doit payer des frais à un mac un peu trop gourmand. Guerre de clan. Mais le Comte ne veut pas partager sa fille. D'où notre présence.

- La police défend les proxénètes ? Vous...? »

« Vous défendez les proxénètes ? » faillit s'écrier Valjean mais il se tut et se demanda si le monde pouvait tourner plus étrangement ce soir.

Les hommes obéirent aux ordres, passèrent dans l'arrière-cour et entrèrent dans un immeuble sombre par la porte de derrière. Et il fallut attendre dans la pénombre. Une pièce qui sentait l'urine et le moisi. Un cagibi ? Valjean tenait toujours le bras de Javert contre le sien et trouva cela apaisant. Depuis quand associait-il Javert à l'idée d'apaisement ? Non, le monde avait sombré ce soir.

Il fallut attendre longtemps et enfin des cris résonnèrent. Vidocq ne dit rien mais il claqua des doigts.

Et Javert s'élança, les hommes sur ses talons, Valjean un peu en arrière. Vidocq ne vint pas.

On ouvrit une porte et on tomba sur un salon éclairé par quelques lampes tamisées où se trouvaient des femmes dévêtues et des hommes armés de pistolet. On criait de peur, on arma les chiens des pistolets. Il y eut un instant d'incertitude, les deux camps s'observaient, indécis. Javert et ses hommes de main face à huit malfrats, armés de barres de fer et de pistolets.

Javert hurla de sa voix profonde, pleine d'autorité :

« Vous êtes en état d'arrestation les enfants ! On va être gentil et se laisser emmener.

- Dans tes rêves le cogne, grogna un des types.

- On va devoir être plus convaincant, » reprit Javert.

Un je-ne-sais-quoi dans le ton de l'inspecteur fit dresser les poils dans la nuque de Valjean. Souvenir de Montreuil ?

« Et tu vas faire quoi le cogne ? T'as pas le droit de tirer !

- Je ne suis plus un cogne. »

Et Javert tira, sans sommation, sans hésitation, sans pitié. Un des hommes tomba à genoux et chacun resta livide devant la scène. Javert jeta le pistolet sur le sol et d'un geste sûr, il sortit le deuxième de sa poche.

« D'autres volontaires ?

- Putain, salopard ! Tu vas le payer !

- A votre service. »

Des pistolets tirèrent mais la fumée rendit bientôt les choses indéfinissables. Les femmes s'étaient couchées sur le sol et rampaient vers la sortie. Valjean regardait sans comprendre les hommes se battre les uns contre les autres. Javert avait maille à partir avec un des criminels, il était coincé contre le mur et rendait coup sur coup. Son bras blessé l'handicapait. Cela fouetta l'ancien forçat. Jean-Le-Cric se jeta sur le type et le bloqua dans une prise vicieuse. L'homme hurla de douleur tandis que ses bras étaient tordus dans le dos. Javert reprit son souffle en caressant sa gorge puis s'approchant du type, il lui décocha un coup de crosse assez vigoureux qui l'assomma pour un temps. Valjean laissa tomber la poupée de chiffon sur le sol. Les deux hommes se regardèrent, surpris de se voir tout à coup. Puis Javert brisa le sortilège et retourna au combat. Valjean le suivit.

Après force coups de poing, coups de pieds, coups de matraque, les huit hommes étaient à terre, les poucettes bien en place. L'homme sur lequel Javert avait tiré était bien en vie, la balle n'avait fait que frôler le bras. Douloureux mais pas mortel. Juste de l'esbroufe pour galvaniser les troupes et dérouter l'adversaire. Sur le sol, un blessé grave, côté Sûreté.

Enfin, lorsque ce fut fait, un applaudissement retentit depuis la porte. Vidocq contemplait la scène, tout sourire.

« C'est très bien, les enfants. Vous avez assez joué maintenant il faut rentrer à la maison. »

Javert ne dit rien, lentement il s'écarta dans l'ombre et laissa la place à son chef. Il se posta contre le mur et sortit sa tabatière. Le policier s'octroya une prise de tabac.

Valjean se rapprocha de lui, un peu surpris par le calme suivant la tempête, un peu nerveux à cause de l'adrénaline qui avait couru dans ses veines. Il y avait longtemps qu'il ne s'était pas senti aussi vivant !

Javert le vit venir se poster à ses côtés avec un sourire tordu. Valjean aperçut un bel hématome en train de fleurir sur la pommette du policier et du sang glisser le long d'une arcade sourcilière.

« Du tabac Valjean ?

- Merci Javert. Je ne prise pas.

- Un verre ?

- J'ai assez bu pour plusieurs nuits.

- Une femme ?

- Javert !, » rétorqua Valjean, choqué.

Javert se tourna vers Valjean et répondit très sérieusement :

« Après un combat comme celui-ci, il est normal de vouloir satisfaire un besoin naturel. Roussin aime se faire tailler une plume, je pense qu'il va choisir la blonde.

- Quoi ? »

Un des hommes s'approcha en effet des filles et parla à l'oreille de l'une d'elles. Une jolie blonde. Elle fut choquée puis acquiesça et les deux disparurent de la pièce. Valjean était horrifié. Javert riait doucement. La nervosité était encore palpable dans l'air.

« Et vous ? Vous voulez une fille ?

- Moi ?, fit Javert, surpris qu'on puisse accoler une telle idée à sa personne. Je n'en ai aucun besoin. Le tabac me suffit. Et l'alcool. »

Le silence retomba entre les deux hommes. On entendait Vidocq questionner et tempêter. La victime était enfin venue aux nouvelles, un petit homme assez âgé et passablement bien habillé. Il était mécontent du combat, du sang et des dégâts occasionnés par les balles. Vidocq argumentait, râlait et écrivait. A lui la paperasse, à lui les réunions avec le préfet, à lui les lauriers. L'homme qui l'accompagnait depuis le départ remplissait des dépositions. Javert contemplait tout cela avec un air lointain, détaché de tout. Il fut une époque où c'était lui qui remplissait des procès verbaux d'arrestation...

Valjean se sentait tellement nerveux, tellement excité, ses mains se fermaient et s'ouvraient sans cesse, elles avaient frappé. Jean-Le-Cric. Javert lança d'une voix sourde :

« Alors qu'est-ce que ça fait Valjean ?

- Quoi ?

- D'être vivant !

- En fait, j'ai besoin d'un verre !

- Je vous accompagne monsieur le maire. »

Un tantalus, du cognac de qualité et les deux hommes buvaient tranquillement. Puis Valjean vit Javert pâlir en se tenant contre le mur. Il réagit aussitôt en glissant une main sous un coude pour soutenir le policier. Javert gela sous le toucher.

« Vous devriez rentrer chez vous Javert pour vous reposer !

- Me reposer... »

Un sourire méprisant déforma les traits de l'inspecteur. Valjean ne comprenait pas mais il sentit l'humidité qui empesait le manteau. La blessure devait s'être rouverte. Cette fois Valjean redevint M. Madeleine et voulut faire plier son chef de la police.

« Je vais vous ramener chez vous ! Indiquez-moi votre adresse !

- Non... Il est loin le temps de Montreuil et...

- JAVERT !, » hurla une voix. Vidocq !

Et Javert s'éloigna de Valjean, le visage fermé et impassible. Un bon chien bien dressé rejoignant son maître.

Jean Valjean regardait l'ex-inspecteur Javert. L'homme répondait aux questions à son tour, il devait raconter l'arrestation. Le secrétaire de Vidocq (?) prenait des notes et le chef de la Sûreté hochait la tête, approbateur. Javert se tenait droit, raide, au garde-à-vous, les mains croisées dans le dos. Il parlait sur un ton monocorde, exposant simplement les faits. Mais Valjean revoyait son chef de la police, combien de fois Javert lui avait joué cette scène précisément ? Et cependant, Valjean se souvenait des yeux brillants de colère de l'inspecteur. Être obligé d'obéir à un forçat déguisé sous les traits d'un maire ! Javert en avait tellement souffert... Valjean également... Des yeux étincelants de haine, ils étaient éteints aujourd'hui. Valjean se demanda pourquoi.

Puis Vidocq sembla enfin quitter son allure de chef pour devenir plus amical. Il posa une main sur l'épaule de Javert, faisant toujours grimacer celui-ci, et l'entraîna vers Valjean.

« Maintenant vous allez vous coucher les hommes. Je ne veux pas vous voir avant au moins deux jours !

- Vidocq..., voulut argumenter Javert.

- Non, opposa fermement Vidocq. Tu ramènes notre jolie fleur-de-bagne chez elle et tu rentres à la maison. Roussin est parti chercher les archers, cela va grouiller de cognes dans quelques minutes. Ils ne doivent pas voir vos deux fantômes.

- Très bien, concéda Javert. »

L'inspecteur se dirigeait vers la porte arrière lorsque Vidocq lui lança sur un ton amusé :

« Au fait, je viens de faire le lien ! Vous êtes tous les deux mort noyés, c'est jouasse.

- A en mourir de rire, » répondit Javert entre ses mâchoires serrées.

Et Javert n'eut aucun scrupule à claquer violemment la porte de la maison du Comte de Sans-Fond. Valjean le suivait, selon sa nouvelle habitude. Javert ne dit rien jusqu'à ce qu'ils furent assis dans le fiacre de Vidocq.

Le silence était inconfortable, ce fut Valjean qui le brisa :

« Votre blessure s'est rouverte ? »

Javert sursauta, clairement sorti de ses pensées. Valjean répéta et Javert examina sa main, comme s'il se rappelait son existence.

« Il semblerait.

- Vous avez reçu un coup de couteau ?

- Oui.

- Dans le cadre d'une enquête ?

- Oui.

- C'était un voleur vous avez dit et...

- Suffit !, lança Javert sèchement. Cette « collaboration » n'a pour but que de vous permettre d'obtenir un pardon, elle ne signifie ni amitié, ni rapprochement. Il faut que ce soit bien clair pour vous !

- Mais...

- Non, Valjean. Nous n'avons rien en commun alors ne vous forcez pas à avoir de l'empathie pour moi. Ma matraque n'est pas un accessoire de mode. »

Cette menace amusa et fâcha Valjean, il préféra en rire.

« Mais je ne me force pas à...

- Valjean, » fit Javert, blasé.

Et le silence revint dans le fiacre.

Arrivés rue de l'Homme-Armé, Valjean descendit mais il se tourna vers Javert.

« Quand vous reverrais-je ?

- Quand vous recevrez un nouvel ordre de mission. En attendant, portez-vous bien Valjean.

- Vous aussi Javert. »

Un rire si méprisant éclata qu'il choqua l'ancien forçat et le fiacre disparut.

« Je vous attendrai » avait dit l'inspecteur Javert le soir des barricades. Il n'avait pas attendu, manifestement il avait vraiment sauté et un miracle l'avait sauvé...

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