
Hélianthe
Hélianthe : fausses apparences
Il fallait qu’il le voie, peu importait. Il fallait qu’il le voie, c’était important. Mozart tournait, tournait en rond. Parce que ça s’accélérait, les fleurs. Chaque jour, plusieurs fois par jour. Ça s’accélérait encore. Quitte à mourir, autant mourir en l’ayant absorbé, imprégné, même si ce n’était que dans ses yeux. On tambourinait à la porte.
– Maestro Salieri ?
Ses yeux éclos.
– Mozart, bonjour.
Il y eut un temps d’arrêt, puis Salieri reprit :
– Puis-je entrer ?
Évidemment qu’il pouvait.
Ils s’installèrent au salon, une pièce claire, remplie de fauteuils et d’un grand piano à queue. Mozart souriait, pétillant de nouveau, pétillant comme il l’était d’ordinaire, comme il l’était avant.
– Que me vaut donc l’immense plaisir de votre visite, Salieri ? C’est bien la première fois que vous daignez vous présenter chez moi !
Le destin, un hasard ? Il avait voulu le voir et il était venu, presque il aurait pensé à un rêve, presque il aurait préféré un rêve. Mais, non ! Ça n’avait pas d’importance et presque il se dit que pour cette joie à ce moment tout valait le coup, pour les paroles de Salieri aussi.
– J’étais à votre concert, l’autre jour ; je voulais vous féliciter. C’était… sublime.
Pas un rêve. Mieux qu’un rêve.
– Merci, sincèrement !
Puis ils parlèrent de choses et d’autres et c’était un peu doux, soyeuse sa voix mais Salieri était, inexpressif, distant, comme toujours, Mozart aurait aimé pouvoir dire qu’il avait l’habitude, mais c’était douloureusement doux, doucement douloureux. Ça coulait sur sa langue, sa bouche sèche, un sifflement de bronches. Et ses yeux égarés, et les relents d’alcool qui émanaient de l’autre. C’était la nausée qui l’imprégnait, ses poumons engorgés, emplis, sa gorge,
sa gorge bloquée.
Encore.
Mozart avala sa salive.
– Excusez-moi, parvint-il à prononcer, un besoin pressant. Je vous rejoins dans quelques instants.
Le regard perdu de Salieri dans le vide, debout près du piano, pitié qu’il ne l’ait pas remarqué, il sortit de la pièce d’un pas tranquille avant de se mettre à courir, le plus loin possible, qu’il n’entende pas,
Pas un rêve. Pire qu’un rêve.
et il put faire quelques mètres seulement, s’enferma dans une pièce quelconque, s’effondra à genoux épuisé de respirations démolies, qui ne suivaient plus, incapable de faire un pas de plus, sa tête lui tournait et dans sa gorge ça montait ça montait
il vomit, Salieri vomit, il ne vomit rien, tout sans cracher la fleur, ne sortaient de ses hauts-le-cœur violents que les cabrioles de son cœur abhorré, arrête, arrête il aurait voulu l’arracher, mains crispées sur les touches de l’instrument, et ça montait ça montait et ses yeux dissonants
bloquée sa gorge, c’était accroché, énorme trop énorme cette fois, il la sentait arriver lentement monter et descendre, par à-coups,
et lentement aussi la peur
la peur du noir, concrète, juste une terreur nocturne
in
fi
nie
il s’asphyxiait,
il crut qu’il allait s’effondrer.
et elle lui fit mal quand il la cracha, ça faisait mal vraiment mal, elle tomba sur le piano, des gouttes de sang étaient accrochées aux pétales, l’hélianthe se déployait, et sa gorge ses poumons son amour brûlaient,
comme un soleil
il toussait éperdument, l’écarlate pétillait sur son palais, éclaboussait ses mains,
et l’autre tout près qui n’entend rien, Mozart tout près qui n’entendait rien,
et qui regardait avec horreur la marguerite d’or devant lui, jamais aussi grande, elle n’avait jamais été aussi grande, qui brûlait d’amour et qui pleurait parce que c’était trop dur,
parce que c’était juste, trop dur,
et il fallait revenir alors et faire comme si, par pitié qu’il ne sache pas, revenir, Dieu qu’il l’aimait,
Dieu qu’il l’aimait,
il fallait nettoyer, les traces, les traces, les enlever par pitié qu’il ne voit pas, son mouchoir, il allait revenir,
mais il revenait à présent, et leurs regards pâles s’échangèrent, incertains, les pétales déployés ils se détestèrent ou du moins ils le crurent, peut être un instant, à cet instant opalescent, juste un instant un reflet, ils se virent plus que jamais avec leurs poumons explosés et leurs voix éraillées qui s’ignorèrent,
parce qu’ils se virent opalescents quand rien n’avait d’opale-essence,
jaune, aquarelle le monde,
et ils chavirent,
parce qu’ils se virent opalescents quand rien n’avait d’opale le sens,
absurde.
la peur immonde, la peur affreuse, la peur putain qui leur faisait l’amour, putain leur amour doré dégouttant de sang
et il fallait partir
il n’y eut pas un sourire
juste un soupçon
et ça leur crevait le ventre, la joie immonde, la joie affreuse, dégueulasse, ça collait à leurs dents éclaboussées de sang
l’autre aussi,
dégoûtant.
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