5 : 𝙳𝚎𝚞𝚡 𝚊𝚗𝚐𝚎𝚜 𝚜𝚘𝚞𝚜 𝚕𝚊 𝚙𝚕𝚞𝚒𝚎
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« T'es plutôt lourde en fait...
Ils venaient de se poser dans une petite vallée. Une mare translucide se trouvait à côté, entouré d'une nature verdoyante et de fleurs colorées. Les vêtements crasseux d'Agathe lui collaient à la peau et avaient complètement sali ceux de Jannot.
─ Tu croyais que j'étais une plume ? Désolée de te décevoir... Tu m'expliques ce qu'il vient de se passer ?
Jannot baissa les yeux en jouant avec un brin d'herbe entre ses doigts, puis regarda le lac et s'exclama :
─ Tu devrais nettoyer tes vêtements et les faire sécher avant que le soleil ne disparaisse, les nuits sont froides ici ! Et puis tu peux rester avec ça en attendant. »
Montrant une vieille robe de chambre à fleurs défraîchie, dont la propriétaire restait un mystère, et qui aurait dû leur servir de nappe, Jannot adressa à Agathe un petit sourire hésitant, l'incitant à écouter. Agathe se redressa donc, alla derrière un arbre épais, afin de cacher son corps nu à Jannot. Puis, enfilant la grande tunique, elle alla plonger le haut de son ensemble dans l'eau, le frottant virgoureusement contre les pierres.
Elle pestait contre ce travail de roturière qu'elle se retrouvait à faire, et remerciait intérieurement son ennui de l'avoir obligée à regarder Marthe, ces après-midis sans fin.
Agathe sentait le regard de Jannot sur ses épaules, mais ne put brimer plus encore sa pensée : elle avait peur de ce qui l'attendait cette nuit. D'un seul coup, la réalité d'où elle était lui revint en mémoire. Dans une forêt, inconnue, avec un garçon qu'elle venait de rencontrer. Moins de vingt-quatre heures étaient passées depuis qu'elle avait quitté ses parents et déjà Agathe regrettait. Frissonnante, et les mains de plus en plus froides, elle frottait et frottait, dans un but secret d'oublier sa frayeur.
De son côté Jannot, lui, avait retiré son haut et le frottait sur une écorce. L'adrénaline de la fuite était descendue et la réalité se posa tel un cheveu sur la soupe de sa joie : il avait quitté la maison avec une fille qu'il prenait encore un peu pour une création de son esprit. Il allait dormir dehors. Que dirait le Père ? Lui qui savait toujours tout ?Jannot poussait un profond soupir quand Agathe l'interpella.
« Qu'est-ce que tu as sur le dos ?
Surpris, Jannot remit son haut, puis commença d'une voix traînante.
─ C'est Père qui m'a fait ces traces. Parce que des fois je suis exaspérant alors... Il sort son... Lacet ?, une petite hésitation puis il reprit. Non son fouet.
Le dos de Jannot était strié d'épaisses marques et d'énormes boursuflures, s'étalant sur la totalité de son dos. Mal guéries, un liquide avait séché sur les plaies et on pouvait y distinguer encore quelques blessures récentes.
─ Pardon ?
Incrédule, Agathe le regardait, les yeux ronds et la bouche ouverte. Elle allait d'aberrations en aberrations avec Jannot.
─ Mais tu n'es pas un animal ! Ce n'est pas... Normal ! C'est de l'acharnement comme maman dit. Ton dos est gonflé ! C'est... Horrible.
─ Tu trouves ? Je ne vois pas en quoi..., Jannot la regardait, réellement intrigué, se remettant en question sur ses croyances. Si Père dit que je suis en tort et que je dois être puni... Pourquoi est-ce que ce serait mal ? Puisqu'il ne veut que mon bien. Père a toujours tout fait pour moi. Tes parents ne te font-ils pas la même chose par amour ?
─ Mes parents ne me frappent pas ! Ils m'éduquent autrement... Moi je t'assure que ce qu'il te fait n'est ni pour ton bien ni par amour. T'es tellement gonflé que... Tu te désinfectes bien ?
─ Je passe de l'eau... »
Écoeurée, Agathe détourna les yeux, et alla s'asseoir aux côtés de Jannot. Posant une main sur celle du garçon, elle se tut et regarda le paysage paisible face à eux.
Progressivement, le soleil vantard se coucha pour faire face à une lune pensive. Et les deux enfants s'endormirent.
Mais cela aurait été trop facile.
Une pluie torrentielle se leva dans la nuit, faisant se soulever les nuages et redresser les arbres, réveillant ainsi les deux compagnons qui s'étaient endormis l'un contre l'autre, se protégeant mutuellement du froid.
Jannot fut le premier à se réveiller, s'abritant sous leur nappe, il secoua avec force une Agathe récalcitrante et ensommeillée. Mais l'eau eut bientôt raison d'elle, et la fille à la peau mate fut sur ses jambes, le corps tremblant.
« Jannot !, cria-t-elle par dessus le bruit assourdissant de la pluie, Où est-ce qu'on va ?
─ À une grotte pas très loin ! »
Marchant à contre-courant du vent, la pluie leur lacérant le corps, ils avancèrent main dans la main, aussi rapides qu'ils le pouvaient. Bientôt, à la vue de Jannot la pente rédemptrice se distingua, serrant plus fort la main d'Agathe dans sa main droite et tenant le drap lui protégeant la tête de l'autre main, il entreprit la descente.
Les pierres roulaient sous leurs petits pas, et la boue maculait leurs jambes mais rapidement ils réussirent à descendre cette pente qui au départ leur avait semblé interminable. S'enfonçant dans un renfoncement dans la pierre, ils s'affaissèrent, épuisés.
« Ça va ?
─ Oh mon dieu... Franchement ! Je suis fatiguée ! Je veux revoir mon papa et ma maman ! Je veux rentrer à la maison ! Je veux pas cette guerre ! Je veux pas qu'il parte ! Je veux pas... Pourquoi est-ce qu'il m'abandonne Jannot ? Pourquoi est-ce qu'il me laisse chaque fois ? Il m'avait promis que pour cet anniversaire il serait là... Il m'avait promis. Je veux pas qu'il parte !
Les sanglots retentissaient dans la petite grotte, et assis sur la pierre froide, Agathe ajoutait ses larmes aux pleurs du ciel que Jannot avait sur lui. Le garçon ne comprenant pas tout, choisit de se taire et de lui caresser la tête tout en chantonnant.
─ Pour canne, il avait un cure-dent
Clignait d'un l'oeil, marchait en boitant
Et demeurait en toute saison
Dans un potiron
Jean de la Lune
Jean de la Lune... »
Sa fameuse comptine eut l'effet escompté et petit à petit les yeux de la dulcinée se fermèrent avec pour orchestre les bruits de la nature et pour cantateur la belle voix du petit ange.
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