|| 21 ||
- Tout va bien, Jane, je suis là, je suis là, répète Chris. Je suis là.
En l'entendant, je crois que c'est la voix de Victor qui résonne dans mes oreilles. Comme s'il était à mes côtés. Parce qu'il m'a dit exactement la même chose quand notre père est mort. Il me prenait dans ses bras à la manière dont le fait mon nouvel ami en ce moment, et me répétait, du haut de ses douze ans, ces mêmes phrases qui ne tarissaient pas mes larmes.
Sauf qu'aujourd'hui, elles me réconfortent. Ces bras me réconfortent. Parce qu'il me fait penser à ma famille pour qui je dois me battre. Pour Lily.
A chaque fois que je prononce ce prénom, vient l'image de ma petite sœur, puis très vite remplacée par la tribut du Neuf. Ma Lily me manque. Elle aussi, je suppose.
Je reste accrochée aux bras forts de Chris, ma tête enfouie dans son épaule, ses mains parcourant agréablement mon dos et mes cheveux. J'ai envie que ce moment dure une éternité, si seulement... L'hymne du Capitole retentit dans l'arène entière. Une annonce va suivre, puisque ce n'est pas la nuit. Un nouveau piège des Juges pour en finir.
- Chers tributs, clame la voix trop bien connue d'Astoria Roz. Demain, à l'aube, sera organisé un festin à la corne d'abondance. Un sac pour chacun y sera disposé, avec le numéro de votre district. Bonne chance, et puisse le sort vous être favorable.
Sa voix s'éteint, et nous relâchons notre étreinte. Mon regard se plonge dans le sien, et j'ai comme l'impression qu'il a quelque chose d'important à me dire, lui aussi.
- Nous n'irons pas, c'est trop dangereux.
- Quoi ?! je me brusque.
- Si on doit encore tuer, on fera comment ? Tu as vu dans quel état tu es ?
- Ce n'était qu'une enfant, je m'emporte.
- Nous sommes tous des enfants, lâche-t-il.
Il a raison. Mais le fait qu'elle fut plus jeune que moi avait fait toute la différence.
- Puis tu es blessée, renchérit-il en montrant mon bras.
Je baisse le regard à mon tour ; je l'avais oublié à vrai dire, toute la douleur qui explosait à l'intérieur de mon corps surpassait celle-ci et je ne sentais même plus le sang palpiter dans mon membre.
- J'irais, j'insiste. Il y aura tous les autres. Viens toi aussi.
- Je veux pas mourir tout de suite.
- On n'est plus beaucoup !
Je ne sais pas pourquoi, mais je sentais comme des milliers de regards dans mon dos, et ce sentiment m'empêche de continuer. Je venais de perdre mes paroles, alors je me retourne, coupant court à notre discussion, et repense à l'arène, à tout ce que j'ai vécu ces derniers jours : plus que dans tout le reste de ma vie. Mais combien sommes-nous, à vrai dire ? Cinq ? Sept ? Huit ? Je crois que ma démence m'a empêché d'entendre le canon résonner. Entre la mort de Tom, les affrontements éprouvants, les plans sataniques des Juges et la mort de Clary, je suis un puzzle éparpillé. Et aux quatre coins du monde, impossible à reconstruire, puisque quelques pièces sont manquantes.
Je me lève, j'ai envie d'aller chasser. Mais Chris est plus rapide que moi, il se place devant moi.
- Repose toi. On marche de nuit pour se rapprocher de la corne pour être là-bas à l'aube, et en bon état.
Je ne sais comment réagir, je m'assieds contre le tronc d'un arbre mais rester là à rien faire ne fait qu'aggraver ma santé mentale, je ne ressasse que le passé. Et ce ne sont que les morts qui défilent devant mes yeux.
- Alors parle-moi, je lui dis.
Pas besoin de répéter pour qu'il me décrive la forêt derrière chez lui, sa famille, son meilleur ami, son district, sans jamais aborder le sujet des Jeux. C'est ce que j'aime chez lui : il sait quoi dire à quel moment, et quel sujet éviter dans quelles circonstances. Et lentement, j'arrive à plonger dans le sommeil, sans l'ombre d'un mort au-dessus de mes pensées.
- Allez on bouge, me rappelle mon ami, en prenant mon visage entre ses mains brûlantes.
Dort-il un moment ? Je n'en suis pas tout à fait sûre. En fait j'en doute fortement. Encore assoupie, et aidée de sa force ainsi que de mon bras valide, j'arrive à me hisser à sa hauteur. Contre son gré je m'empare d'un sac à dos et j'ouvre la marche, harpon en main.
Mais au bout de quelques minutes, il me rattrape et prend ma place.
- Tu n'es pas en état d'ouvrir la marche. Au moindre adversaire tu meurs, la gorge tranchée de façon misérable. Assure juste mes arrières.
J'obéis. Je n'ai rien d'autre à faire de toute manière. Ou serais-je une lâche ? Oui, je pense. Seule une lâche pourrait abandonner son ami dans la forêt, en pleine nuit de plus. Mais pourquoi ? Parce que ma survie est limitée, la sienne aussi. Mais celle de Lily n'attendra pas. Après une bonne heure de marche, il ne semble plus se soucier de moi. Le meilleur moment pour lui fausser compagnie. Sauf qu'avant tout ça, je prends la peine de ramasser une large feuille d'arbre que nous avions eu l'habitude de mâcher pour oublier la faim qui rongeait nos entrailles, puis à l'aide de la pointe d'un couteau positionné dans mon manteau, j'y écris : Je suis désolée, je ne veux juste pas te faire de mal. Je ne veux pas être la dernière qui verra tes yeux. Pardonne moi, j'ai toujours été sincère avec toi. -Jane.
Et dans la plus grande des discrétions d'après moi, je dépose la feuille sur son sac à dos en m'assurant qu'elle ne tombera pas. Puis je m'arrête brusquement, attendant qu'il s'éloigne et m'engage dans la direction opposée, pour être sûre que nous nous retrouverons pas. Il était mon seul réel ami ici, avec Tom, et j'ai dû le quitter ; s'il imaginait seulement la peine que ça m'a fait de déposer cette feuille sur son sac, je ne suis pas sûre qu'il m'en voudrait. Je n'espère pas.
Maintenant à moi de me protéger seule, avec un bras plus ou moins hors d'usage et encore un peu douloureux. Que font les sponsors ? Ils pourraient au moins m'envoyer un calment pour éliminer la douleur qui me ronge désormais, maintenant que je pense avoir purger mes peines.
Je n'ai aucune idée de la distance qui me sépare de la corne, mais j'espère que je ne m'en éloigne pas, car mes faibles forces ne m'emmèneront pas bien loin. Je fais une pause au pied d'un arbre, et déballe mon sac à dos pour l'examiner. A vrai dire, je n'ai absolument aucune idée de ce qui peut s'y cacher, mais s'il n'y a rien à manger, je n'ai pas trop de soucis à me faire puisque je pourrais -sauf cas échéant- manger bientôt grâce au festin organisé par les Juges. Mais en général, cette épreuve se révèle souvent être un bain de sang quelque peu similaire à celui du début, qui n'a étonnement pas eu lieu cette année, ou de manière réduite.
La première chose que j'y trouve n'est autre qu'une bouteille d'eau, pleine à ma plus grande joie, dont je m'empresse de boire quelques gorgées. Ensuite, la place est principalement occupée par un sac de couchage, sauf que lorsque je déballe celui-ci un objet brillant attire mon attention. Je le retire et y découvre un collier, avec une alliance qui semble être en or. Le bijou doit appartenir à Chris ; cela me rend d'autant plus coupable de m'être séparée de lui. A l'intérieur de la bague y est gravé Lorea & John Gallas. L'alliance de mariage de ses parents, à tous les coups. Je serre le bijou dans ma main très fort, comme si cela pouvait encore le protéger à distance. Il a dû se rendre compte de mon absence désormais.
Je respire un bon coup et me remet à marcher : je m'arrêterais seulement lorsque j'aurais la corne d'abondance, centre principal de l'arène, dans mon champ de vision. Mais pas avant, je ne le dois pas, si je veux réussir à sauver Lily et pouvoir en même temps récupérer mon sac, en vie.
Il m'a fallut à peu près deux heures -d'après le reste de ma perception du temps- pour apercevoir la faible lueur de la pointe de la corne d'abondance refléter la lune artificielle. A ce moment précis, je me suis assise à l'abri des regards, entre des arbres et des buissons, et je me suis mise à attendre les premières lumières du jour.
Il n'y a pas un bruit, et le manque de compagnie me rend de plus en plus paranoïaque. Un crissement aiguë s'élève, et par curiosité, je m'avance pour voir de quoi il s'agit. Le "festin" avec les sacs est mis en place. Le soleil se lève.
Parcourue par une vague d'adrénaline, je m'apprête à foncer quand je vois Chris avancer lentement sur la plaine, en prenant la direction opposée à l'entrée de la corne. Mais que fait-il ? Ne voulait-il pas lui aussi s'emparer de son sac pour enfin manger ? Une fois sur le plateau, il dépose son sac à même le sol, et sort sa bouteille d'eau pour boire, comme si de rien n'était, comme s'il n'était pas prêt à se faire tuer.
Pendant ce moment d'inattention, je n'ai pas pu remarquer l'ombre filante : Camille. La seule que je ne connaisse pas assez pour la définir rien qu'à sa démarche. D'un coup sec, elle s'empare de son sac floqué avec le numéro 6, puis, contre toute attente, ne rejoins pas la forêt, mais plutôt la plaine. Et c'est là que je comprends : elle va sûrement tuer Chris. Si elle a réussi à aller aussi loin, elle ne s'arrêtera pas là, car ce n'était pas une tribut prédisposée à la victoire. Elle s'est renforcée pendant ces Jeux.
Je sors de ma cachette, harpon en main, filet pendant aux bouts de mes doigts à la limite de l'invalidité, puis rapide comme une flèche je récupère mon sac à dos avec le numéro 4 et me cache un instant dans la corne dorée pour confirmer mes doutes. La brune s'approche à pas feutrés de Chris, katana dégainé, prête à bondir sur sa proie tel un félin.
Plus aucun de nous n'a peur ; la peur bat la peur. Nous avons tellement vécu de choses ici, que plus rien ne peut nous effrayer. Je suis cachée dans la corne, sans savoir si quelqu'un est dissimulé dans la pénombre, Chris boit tranquillement au milieu de la plaine dégagée, et Camille avance à pas feutré sans même surveiller ses arrières. Les autres doivent être tout aussi inconscientes.
Je m'extirpe de ma cachette en me glissant sous la table, et au risque de me faire remarquer, je fonce droit sur Camille pour la renverser de mon bras valide lorsque j'arrive. Le bruit fait se retourner Chris qui nous fait face désormais. D'un geste, mon adversaire et moi-même nous débarrassons des poids qui pourraient nous gêner et nous faisons face. Nous sommes dans les Jeux, non ?
Son poing file vers mon visage, et je l'esquive de peu, je balance mon filet dans ses jambes, mais sa formation dans les Jeux lui insuffle de sauter à ce moment là. Elle l'évite et je perds l'équilibre. Elle ramasse son katana qui avait chuté quand je l'ai percuté, et s'apprête à riposter, j'ai tout juste le temps de me relever, et désarmée, je la prends par surprise et lui envoie mon poing gauche dans l'épaule. Je savoure ce moment de répit, quand un poids m'arrive dans la mâchoire. Je me retourne pour faire face à mon nouvel adversaire : Lara Mona.
Le goût de sang flotte désormais sur ma langue, mais je ne suis pas assez rapide et elle m'en envoie un nouveau, dans le ventre cette fois-ci. Chris prend la relève, je m'étale de tout mon long dans l'herbe sèche. Entre la douleur dans ma mâchoire, mon bras et mon ventre, mon cerveau est complètement déboussolé, et me mettre sur pied serait pour lui une des tâches les plus dures.
Camille se remet elle aussi de ses esprits et s'approche de moi, le visage fermé et sans expression, son katana à la main.
- Je suis désolée. Mais c'est le seul moyen.
- Vas-y, dis-je lentement, en crachant du sang sur le côté. Je n'ai plus rien à faire ici.
Alors que je m'apprête à voir ma vie défiler devant mes yeux, à sentir mon dernier souffle me quitter, j'entends quelqu'un hurler.
- Stop !
Tout le monde s'arrête pour ce tourner en direction de cette personne. Elle arrive en marchant, tranquillement, un boomerang dans chaque main. La seule qui vaille la peine d'être sauvée. Lily Smolan.
- Pourquoi vous vous entretuez ? s'exclame-t-elle.
Lara s'avance d'un pas ferme vers la nouvelle venue.
- Parce qu'un seul d'entre nous ne pourra retourner chez lui, réplique la fille du Un.
J'ai le temps de me relever malgré mes côtes douloureuses et mon bras hors d'usage. J'essuie ma bouche ensanglanté d'un revers de la main et me positionne face à Lily.
- C'est toi qui doit gagner, je lui assure. Tu es la seule qui pourra y survivre.
Le silence plane. Je ressens presque les téléspectateurs qui retiennent leurs souffles.
- Non, réplique-t-elle. On peut tous gagner. Ou alors on mourra tous dans cette arène.
- On est plus que cinq ? je m'exclame soudain.
- Tu n'as pas entendu les derniers coups de canon ? s'interroge Lara. Pourtant, on peut pas dire qu'ils étaient inaudibles !
Je ne réponds rien.
- Mais comment ça ? entreprend Camille. Tous gagner tu en es sûre ? Les Juges ne nous laisseraient pas.
- Si vous voulez le faire, il faut avoir du cran. Parce qu'il faudra avoir confiance, jusqu'au bout. Si vous n'avez pas confiance, tranchez vous la gorge dès maintenant.
Nouveau silence.
- Avant de vous expliquer, je dois être sûre que vous avez confiance en moi, et entre vous. Je ne veux pas me faire lâchement poignarder dans le dos.
Je jette un coup d'œil à Lara. Avoir confiance en elle ? Je le jouerais pour Lily, parce qu'elle m'a redonné confiance. Finalement, je pourrais peut-être rentrer chez moi, et elle aussi. Nous ne serons pas seuls à affronter le cauchemar qui suivra, nous partagerons nos peurs.
- Et qu'est-ce qu'on doit faire pour prouver cette confiance ? demande soudain Chris.
- Brûlez tout.
- Tout ? continue-t-il.
- Vos sacs à dos. Vos vivres. Les sacs du festin. Vous ne vivrez pas un jour sans tout ça.
Nous nous sommes tous regardés, et d'un simple hochement de tête, nous avons compris que c'était ce qu'on avait de mieux à faire. La suivre.
Camille a sorti des allumettes de son sac, et à déposer toutes ses affaires, suivie de Chris, moi, puis plus hésitante Lara. Lily fit de même. Et juste avant que la brune place la première allumette sur le monticule de sac, je lâche :
- Attendez ! Deux secondes s'il vous plaît !
Je fouille dans mon sac pour en ressortir le bijou de Chris, et lui tendre. Personne ne s'y oppose, dans le plus grand des silences, puis la fille du Six dépose la première allumette. Suivie d'une autre, pour que tout flambe dans la faible lueur de l'aube.
- Merci, murmure mon ami en me souriant. J'aurais perdu tout ce qui me restait de ma famille.
- Je te devais au moins ça.
- Maintenant je vais vous expliquer, affirme Lily.
Elle s'accroupit puis dessine dans la terre piétinée lors du lancement des Jeux. Un cercle. Cinq points. Cinq traits.
- Chaque point représente l'un d'entre nous. Chaque trait notre arme. Nous n'avons qu'à pointer notre arme sur celui devant nous et ainsi de suite. Si nous mourrons tous, ils n'auront pas de vainqueur, et ça sera la révolte. Or, avec cette méthode, sauf si vous êtes une force de la nature, à partir d'un moment nous mourrons, et plus au moins en même temps. Ils ne peuvent donc pas attendre qu'il n'en reste qu'un seul, au risque qu'il n'y en ait plus du tout.
- Très bien, conclut Camille en se relevant.
Elle trace au sol les cinq points, pour marquer nos emplacements, puis Lily, bien qu'elle soit la plus jeune, reprend la parole.
- Chris, ici. Puis Camille, Lara, Jane et moi. Vous devez jouer le jeu. Sinon nous mourrons tous, nous n'avons plus de vivres. En place.
D'un pas hésitant, je me place sur la croix irrégulière. Au fond, j'ai peur que ça ne marche pas. J'ai peur de tuer Lily ou de me faire tuer par Lara. Parce que c'est bien la dernière personne ici à qui j'accorderais ma confiance. Je ferme les yeux, respire un bon coup et tends mon bras valide avec mon harpon au bout, contre le dos de Lily. Je sens la pointe d'un couteau dans mon dos.
- Vous ne gagnerez pas comme ça, chers tributs, annonce Astoria Roz.
Alors, je sens la pointe s'enfoncer un peu plus, et à contrecœur, je fais de même. Cette douleur remplace les autres, et je me console en me disant que c'est bientôt fini. Soit je m'en sors vivante, je serais soignée, je vivrais une vie terrifiante de vainqueur. Soit je meurs, toutes mes douleurs seront effacées pour toujours.
Plus les minutes s'égrainent, plus la pression est forte. Je disais que nous n'avions pas peur. C'était avant ce moment de tension.
Je commencer à sentir du sang couler sous ma veste, mais les Juges ne semblent pas céder pour l'instant. Nous continuons, sachant que trop bien que nous ne pourrions survivre sans ça. J'aperçois une grimace sur le visage de Camille, à l'opposé dans le cercle. Je tressaille pour la première fois sur la douleur qui se fait encore plus vive. Attendre, encore attendre.
Ma vue se brouille, constellée de petites tâches noires, et j'ai la sensation que mes jambes vont lâcher sous mon poids. Et je n'ai pas l'impression d'être la seule, puisque du coin de l'œil, je vois la tribut du Six qui se retient de tomber. Je ne connais pas les autres états, leurs visages ne me sont que très peu visibles ou tout simplement invisibles.
- Stop ! hurle Astoria Roz.
Nous relâchons nos armes, fiers.
- Mesdames et messieurs, j'ai l'honneur de vous présenter les cinq vainqueurs des 18èmes Hunger Games : Lara Mona, Jane Hutcher, Camille Herondale, Chris Gallas et Lily Smolan, annonce-t-elle avec une pointe de regret.
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