|| 19 ||
La faim nous ronge. La survie est difficile mais nous faisons avec. Nous nous nourrissons de la seule chose comestible et non toxique que nous trouvons dans l'arène : des feuilles d'arbres.
Mais Orotika refuse catégoriquement d'y toucher, ceci lui rappelle bien trop la mort de Penny, alors elle se résigne à seulement boire quelques gorgées d'eau, mais pas trop de peur que celle-ci l'empoisonne ; notre alliée devient peu à peu paranoïaque, pourtant, Penny n'est morte il n'y a qu'un jour.
Le goût âpre et acide des feuilles me reste dans la bouche, et j'ai cette sensation désagréable qui me suit au long de ma journée. Nous ne sommes plus beaucoup à subsister dans l'arène, j'ai hâte d'en finir. D'en finir avec quoi ? La vie ? La mort ? Je n'en sais rien, juste que tout s'arrête. Je dois emmener Lily jusqu'à la victoire, si je le peux encore, et après, je me débrouillerais. Ma famille comprendra.
- On devrait changer de camp, ça fait deux jours qu'on y ait, puis avec les bruits... commença Chris en remarquant la gêne d'Orotika à l'entente de la mort de Penny. On ferait mieux de bouger.
Sans rien dire, comme le reste du camp depuis la perte de notre fidèle alliée, je remballe rapidement mes affaires, et aide Orotika à faire de même. Cependant son regard est lourd de reproches, j'ai envie de lui demander pourquoi, mais la force ne me vient pas.
Nos sacs à dos tous bien ancrés sur nos dos, nous progressons lentement dans la forêt, à cause en partie de moi et ma blessure lancinante qui ne cesse de me faire mal. Je ne me plains pas cependant, mais la douleur est tout de même atroce et insupportable. La marche est longue, mais malgré tout, je ne suis pas le canard boiteux de la bande ; il s'agit plutôt ici d'Orotika. Depuis qu'elle ne mange plus de vitamines, ayant été habituée à toujours manger à sa faim, son visage s'est émacié, son corps nous paraît -serait-ce en fait qu'une impression ?- beaucoup plus maigre. C'est comme si à chaque pas, une partie de ses forces s'envolent avec la poussière qu'elle soulève.
- Att... Attendez... murmure-t-elle dans un souffle.
- Tiens, dis-je ne me précipitant vers elle, la bouteille à la main.
Elle boit une gorgée puis repousse le récipient, comme si elle en avait eu assez. Je l'aide à se relever, car entre temps, elle était tombée à genoux dans le sol, puis je propose à Chris de l'aider à marcher, étant moi-même dans l'incapacité de le faire.
Après une centaine de mètres, nous sentons bien que nous ne pouvons pas progresser plus loin, tout du moins pas avec elle, et pas question de la laisser tomber. Donc nous nous installons sur place, et je m'éloigne de notre nouveau campement en le localisant bien, juste pour aller chercher quelques feuilles pour le repas, en prenant bien garde à ce que je cueille. Finir comme Penny est sans doute la plus grande crainte d'Orotika.
Après avoir pris une grande brassée, je les retrouve, assis, le plus loin l'un de l'autre. Oui, en effet ils ne s'entendent pas très bien, et c'est grâce à moi qu'Orotika est toujours avec nous, Chris ne l'aurait pas gardé si je n'avais pas insisté.
J'essaye quand même de proposer à mon alliée quelques feuilles mais elle refuse catégoriquement donc je m'en vais les mastiquer à côté de Chris. Le silence plane, plus personne ne sait quoi dire. La fatigue me gagne, je pose ma tête contre l'épaule de mon ami, celui-ci caresse mes cheveux en signe de réconfort. Lorsqu'il me fait ça, les larmes me montent aux yeux, j'ai l'impression que c'est Tom qui se tient à mes côtés. Bien qu'il s'efface petit à petit de ma mémoire, son image reste vive dans mon esprit, je ne sais pas si j'oublierais un jour sa dernière lueur d'espoir que je pouvais lire dans son regard.
- Qu'est-ce qu'il y a Jane ? me demande Chris.
Je remarque ma larme qui roule et je l'essuie rapidement.
- Rien, je réponds brusquement en me relevant, prenant appui contre un arbre.
Il ne me semble pas contrarié, il ne viendra pas pour m'en demander plus, mais je suis désolée de me comporter comme cela, alors qu'il fait tant d'efforts envers moi.
Deux jours passent encore dans le silence. Je m'oblige à chantonner un air pour moi même afin de ne pas oublier le son de ma voix. Je chante faiblement pour moi-même, mais je suis sûre que tout Panem doit être suspendu à mes lèvres qui ne prononcent que de vagues paroles incertaines d'une comptine d'enfant.
- On devrait encore changer de camp, prononce difficilement Chris après ces jours de silence.
Orotika est dans un état pitoyable. Elle n'a pas bougé, laissant ainsi une empreinte dans l'herbe, son visage est blême, ses joues sont creuses et son regard est vide de sens. Ses mouvements sont maladroits. Tout son corps marche comme au ralenti.
Cette fois-ci, c'est trop dur pour Chris de la soutenir entièrement, pendant tout le trajet jusqu'à notre prochain campement, alors je la soutiens de mon épaule valide, mais pendant très peu de temps, car rapidement, elle s'effondre au sol. Ses jambes n'ont plus la force de la porter ; comparée aux tributs des districts pauvres, en effet, dans ce genre de cas elle a moins de chance de survie, n'ayant jamais été habituée à la faim. La réelle faim. C'est bien beau de savoir se battre, mais connaître la vraie vie et ce qui peut nous arriver, c'est une force que seule les districts pauvres ont.
Elle tente de se relever, mais ses bras cèdent sous son poids.
- Jane... bafouille-t-elle.
Je m'accroupis pour me mettre à son niveau, malgré une douleur fulgurante qui m'arrache une grimace.
- Je... Je peux pas... continuer... dit-elle, les lèvres sèches.
- Si, j'en suis sûre, on va t'aider, je l'encourage.
- Non, Jane... Je... Je peux pas... C'est... pas... possible.
- Viens Orotika.
- Ja... ne... souffle-t-elle.
Je penche ma tête dans un ultime effort au niveau de ses lèvres pour capter les derniers sons de sa voix.
- Gagne, s'il te plaît... Je... veux... que... tu... ga...
Sa dernière syllabe est accompagnée d'un souffle rauque qui me fait m'écarter de son visage, je me relève, contemplant désormais le cadavre à mes pieds, accompagné d'un coup de canon sinistre. C'est notre quatrième allié que nous perdons. Chris me lance un regard de compassion.
Malheureusement, nous devons abandonner son corps ici, l'hovercraft ne va pas tarder à la récupérer, cependant, je referme ses beaux yeux désormais vides, puis je replace une de ses mèches brunes derrière son oreille, avant de me rappeler mon premier souvenir d'elle, le jour de l'entraînement.
Je suis mon dernier allié, puis plus d'une heure plus tard nous établissons notre campement, à l'abri des arbres, près d'une petite mare, certes sale mais qui nous assure de l'eau.
Aucun de nous ne parle. Nous n'en avons aucunement la force. La nuit tombe, et avec elle, le visage sérieux de notre allié du Deux, dans le ciel sombre de l'arène. Je m'endors, beaucoup trop de souvenirs se battant dans mon esprit.
Quand je m'éveille, le soi-disant soleil se lève, nous éclairant de sa lumière rosée et matinale. Chris est éveillé et semble fixer quelque chose dans la terre. S'apercevant que je ne dors plus, il m'interpelle.
- Jane ? Viens voir ça !
Je me dirige vers lui, mes muscles encore endormis tardent à répondre.
- Quoi ? dis-je en me frottant les yeux.
- Ça ! s'exclame-t-il.
J'attends quelques instants et aperçois enfin ce qu'il tentait en vain de me montrer.
- Une empreinte de lapin, je souffle.
- Tu sais ce que ça veut dire ? sourit-il.
- Qu'on a plus besoin de manger des feuilles ! je m'écrie.
- Chut ! me réprimande-t-il. Je suis heureux, bien sûre, mais pas la peine de le faire savoir aux derniers tributs.
Je souris silencieusement et murmure :
- Je m'en vais de ce pas nous chercher un peu de viande pour nous nourrir.
Je m'empare de mon arc qui me suit depuis le début des Jeux, un outil bien plus pratique pour chasser que mon harpon, et me faufile entre les arbres, à la recherche d'autres empreintes comme la première.
Mon estomac commence à gargouiller, ce qui me motive encore plus à trouver une proie. Mais pendant que je m'enfonce dans la forêt, de plus en plus profonde, des éclats de voix me parviennent, bien que je n'en saisisse pas le sens. Je m'arrête pour éviter de faire du bruit, et me faufile lentement dans cette direction.
Derrière le tronc d'un arbre, j'observe la scène attentivement : il s'agit de Clary et Lily. Elles se parlent, mais plus je m'approche, plus je sens que le ton de leur voix est assez soutenu. En fait, je dirais plus que c'est une dispute, pas une conversation.
A leur pied repose le cadavre d'un lapin frêle, et cela semble être le sujet de leur dispute.
- Tu comptes vraiment l'avoir pour toi toute seule parce que tu l'as tué ? s'exclama Clary à l'intention de son alliée.
- J'ai jamais dit ça ! répliqua Lily d'un ton ferme.
- Tu sais, je t'ai apprécié dès le premier instant, Lily, mais il y a des limites de survie. On est dans les Hunger Games après tout ? C'est fait pour survivre et être le plus fort. Oui, Lily, le plus fort l'emporte. Donc sûrement pas toi.
Elle s'approche dangereusement de ma protégée, son couteau dans la main, le posant contre sa gorge blanche.
- Un mouvement de plus, et t'es morte. Je ne te ferais rien si tu me laisses le lapin.
Je ne sais quoi faire. Je ne peux pas assister plus longtemps à cette scène, et si je reste trop longtemps à rien faire, Lily mourra, à coup sûr. Je respire pour me calmer, et je bande mon arc pour y encocher ma flèche. Je me déplace lentement, Clary tourne son couteau du côté tranchant près de la gorge de la fille du Neuf, et je ne contrôle plus mes mouvements : la flèche part, dans sa direction, dans sa poitrine, et vient se nicher au niveau de son cœur. Son regard vert me capte en l'espace d'un instant, elle réalise alors, je me rends compte de ce que je viens de faire, et dans l'endroit exiguë entre les arbres, elle tombe à genoux, et s'effondre avec le coup de canon.
Je panique, mes doigts tremblent, mes regards vont de ma victime à celle que j'ai sauvée, je ne sais que dire, que faire, à part me calmer. Ma respiration est haletante, je laisse tomber mon arc à mes pieds et je me tiens la tête entre les mains.
Lily me regarde, elle non plus ne bouge pas.
Je ne dis rien. Je secoue la tête, je reste muette. J'ai tué quelqu'un. Je savais que cela devrait arriver à un moment, dans ces Jeux, mais je ne m'y étais pas préparée. Je n'étais pas prête. Je n'y croyais pas. Comment les autres me regarderont désormais ? Quel sera le regard des habitants du Cinq ? Je ne veux pas savoir.
Toujours aussi paniquée, je lance un regard angoissé à Lily qui n'a pas plus bougé que moi, et je ramasse tout juste mon arme pour m'enfuir en courant, sautant au-dessus des branchages et évitant les obstacles qui s'offrent sur mon chemin.
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