Epilogue. Le plus heureux des hommes
Elias
Huit mois plus tard
Dans la pénombre de notre chambre, j'ouvre les yeux en entendant les pleurs de Gabrielle. D'après mon portable, il est à peine six heures du matin. Ambre remue dans son sommeil, prête à se lever pour s'en occuper.
— J'y vais, Maya Chérie. Repose-toi, il est encore tôt.
Je l'embrasse avec tendresse et elle émet un gémissement de contentement avant de s'assoupir à nouveau.
Lorsque notre fille m'entend arriver dans sa chambre, les pleurs diminuent. Je la récupère et me dirige vers la cuisine. Elle chouine dans mon cou, signe que la faim la tiraille. Je m'affaire à préparer son biberon, d'une seule main. Cela requiert une certaine dextérité et je ne suis pas peu fier d'avoir atteint le niveau de maîtrise nécessaire à la confection des repas, ainsi qu'au changement des couches ou la prise du bain.
— Deux minutes, Princesse, je chuchote pour la rassurer en la couvrant de bisous.
Gaby se redresse et braque sur moi ses prunelles brillantes de larmes. Sa bouche en cœur esquisse un sourire coquin et je fonds, une fois de plus. Quand ma fille me dévore des yeux de la sorte, plus rien ne compte. Elle ressemble tellement à sa mère avec ses billes noisette et ses cheveux châtains qui frisottent. Je lui fais une grimace, elle se met à rire. Un rire cristallin qui résonne dans la cuisine et qui, même si je suis mort de fatigue, égaye mon esprit à toute heure du jour ou de la nuit.
J'allume ensuite une loupiote dans le salon et m'installe confortablement dans le canapé, Gaby calée contre moi, le biberon bien en place entre ses menottes potelées. Et pas question de le tenir pour elle, sous peine d'être réprimandé, car mademoiselle a déjà un sacré caractère. Elle tète comme une petite goulue en soutenant mon regard, imperturbable, même quand Tanit vient se joindre à nous, alors qu'elle l'aime, notre compagnon à quatre pattes. À cet instant, il me plaît surtout de croire qu'elle prend conscience que son papa sera pour toujours l'homme numéro un de sa vie.
Je rêvasse en songeant à tous ces moments formidables que nous partageons depuis bientôt deux ans et sens mes yeux se refermer doucement. Je lutte pour ne pas me rendormir de suite, mais je suis épuisé et les ronronnements de Tanit sont en train de m'achever. Si j'avais déjà des journées chargées à cause du boulot, c'est devenu pire depuis la naissance de Gabrielle. Néanmoins, pour rien au monde, je ne regretterai ma vie d'avant, car c'est un vrai bonheur de pouvoir m'occuper d'elle et la voir grandir au quotidien.
Pendant des années, j'ai pensé à tort que plus aucune femme n'atteindrait mon cœur. Quant à devenir père, ce n'était pas envisageable.
Jusqu'à ce qu'Ambre entre dans ma vie. J'ai tout de suite compris qu'elle ne serait jamais comme toutes ces femmes avec lesquelles je prenais du bon temps sans me soucier une seule seconde d'elles.
J'ai lutté pour me préserver de mes sentiments pour elle, préférant me voiler la face par peur de souffrir à nouveau. Nous étions amis, mais en réalité, elle a toujours été bien plus que cela. Mon amie, oui, mais aussi mon plus grand fantasme, et surtout mon âme sœur. Celle que je désirais comme un fou en la pensant inatteignable. Celle dont je ne pouvais me passer, mais que je craignais plus que toutes les autres, de peur qu'elle me mette à genoux.
Aujourd'hui, avec notre fille, elles sont tout pour moi. Mes guerrières, mon moteur, ma raison d'être.
Les bruits de succion ont diminué, Gaby combat le sommeil. Je pose le biberon vide sur la table basse et, une fois le rôt échappé, il est temps pour nous deux de fermer à nouveau les yeux. La minette et ses ronrons ont eu raison de nous. La nuit va se terminer sur le canapé.
Un moment après, j'émerge en sentant les lèvres douces d'Ambre sur mon front. Des notes de miel et de rose m'enveloppent, j'inspire à pleins poumons l'odeur envoûtante de ma femme.
— Tu serais mieux installé dans notre lit, mon nounours.
Je hausse les épaules et lui désigne le petit paquet qui dort à poings fermés contre moi, sa tête nichée dans mon cou. Ambre me sourit et s'empare de notre fille en prenant soin de ne pas la réveiller pour la recoucher dans sa chambre.
Je m'étire longuement puis me dirige jusqu'à la cuisine. Je patiente près de la cafetière qui fait un raffut de tous les diables en observant distraitement l'agitation de la rue par la fenêtre en bâillant à m'en décrocher la mâchoire. Le soleil n'est pas encore tout à fait levé, mais nous allons avoir droit à une belle journée d'hiver. Je sursaute en sentant les bras d'Ambre qui ceinturent mon torse. Je me retourne pour la serrer contre moi.
— Tu devrais en profiter pour te reposer, mon amour. Gaby va dormir au moins deux heures et moi je ne vais pas tarder de partir. J'ai plein de choses à installer à la boutique.
— Tu ne veux pas rester encore un peu avec moi ? Il fait à peine jour.
Je l'embrasse dans le cou et glisse mes mains sous son pull, ne laissant aucune place au doute quant à mes intentions.
— Hep hep hep, je te vois venir, canaille ! me gronde-t-elle gentiment en se détachant de moi. Tu sais bien que ce n'est pas l'envie qui me manque, toutefois, je te rappelle que tout le monde n'est pas en week-end.
— Quelle idée aussi d'ouvrir un samedi, je soupire en levant les yeux au ciel.
Je fais mine de bouder pour la taquiner.
— C'est un jour capital pour faire des ventes, se justifie-t-elle, les poings sur les hanches.
— Je sais. Je dis ça pour t'embêter.
Un sourire illumine ses traits. Je saisis son visage entre mes mains pour l'embrasser, puis reste quelques instants à la contempler. Ma femme est décidément la plus belle... même lorsqu'elle grimace en découvrant sur l'horloge de la cuisine qu'elle est en retard.
— Oh là là ! C'est pas possible, je devrais déjà être sur place ! s'exclame-t-elle en se libérant de mon emprise.
— À quelle heure as-tu donné rendez-vous à tout le monde ? je l'interpelle alors qu'elle détale comme une furie vers l'entrée de l'appartement.
— Onze heures trente. À tout à l'heure, mon nounours. Je t'aime.
— Je t'aime aussi, Maya chérie.
Elle m'envoie un baiser à travers la pièce et file à toute allure.
***
Ambre a réalisé des travaux conséquents pour aménager son laboratoire, sa boutique et en refaire la devanture. Des mois de boulot acharné, de journées interminables, d'insomnies, à douter, parfois, et à cogiter, souvent.
L'arrivée de Gabrielle a quelque peu bousculé son projet de départ, mais une fois de plus, ma petite abeille s'est adaptée et a fait preuve d'une détermination à toute épreuve. En plus d'être une mère formidable, elle est devenue une véritable entrepreneuse et j'espère que le succès sera au rendez-vous pour récompenser tous ses efforts.
Je n'avais plus été autorisé à venir en ce lieu depuis la fin des gros travaux. Je m'apprête donc à découvrir la décoration pour la première fois. Elle a enfin levé les stores qui masquaient la vue sur l'intérieur.
Je l'observe s'affairer à travers la vitrine des « Savons de Maya ». Elle termine d'installer sa production sur des étagères en bois. La décoration est simple et bohème, à l'image de ma femme. Des coloris pastel, des plantes et matériaux naturels, des éléments chinés chez les antiquaires. Tout est fait pour inciter la future clientèle à entrer dans une bulle de douceur.
— Tu as vu, ma princesse ? C'est la boutique de Maman.
Bien emmitouflée dans sa combinaison en pilou, Gaby gigote dans le porte-bébé et tend ses menottes vers la vitrine en gazouillant.
— Elias ! m'appelle au loin mon grand-père.
Je me retourne et l'observe venir jusqu'à moi en clopinant avec sa canne, accompagné de mon père.
— Mais qui j'aperçois devant moi ? dit-il en tirant la langue pour faire rire ma fille. Tu es jolie comme un cœur, ma petite chérie. Qu'est-ce qu'elle ressemble à sa mère ! N'est-ce pas, Edouard ?
Un large sourire étire les lèvres de Gaby, révélant sa première quenotte.
— Sans conteste, encore qu'elle a le même air coquin que son père. Comment vas-tu, fiston ? me demande-t-il en me tapotant l'épaule.
— Toujours aussi bien, Papa. Et vous ?
— En pleine forme ! Nous avons hâte de découvrir la boutique de notre chère Ambre.
— Eh bien, en avant. Les autres ne devraient pas tarder à nous rejoindre.
Nous entrons dans le lieu et Ambre relève la tête en entendant tinter la clochette au-dessus de la porte. Elle trottine jusqu'à nous pour saluer sa belle-famille et embrasser notre fille. Son sourire lumineux fait battre mon cœur un peu plus fort. Elle ne cessera jamais de m'émerveiller.
— Ce lieu est ravissant, s'écrie Papy Jaja en posant les yeux partout autour de lui. Ça te ressemble tant, ma petite. Grand Dieu, ça sent bon, en plus !
Sur ces entrefaites arrivent Axel et Saskia. Celle-ci s'empresse de bécoter les joues rondes de Gaby en lui faisant des risettes.
— Oh, ma bouille d'amour ! Viens dans mes bras ! s'exclame Axel.
Comme à chaque fois qu'elle le voit, le visage de Gaby s'illumine, et elle tend les mains vers lui en gigotant tel un asticot. Je saisis aussitôt le message et la confie aux bons soins d'Axel. Il la couvre de bisous et la fait tournoyer dans les airs.
— Il est dingue de ta fille, se réjouit Saskia. Complètement gaga.
— C'est vrai, oui. Il fera un papa formidable un jour. David ne vient pas ?
— Si si, il nous rejoindra un petit peu plus tard, il termine une visio.
— Hum, c'est une affaire qui roule entre vous deux...
Gênée, Saskia grimace.
— Rien de sérieux, on se fréquente un peu comme ça, mais tu me connais.
Oh ça, oui ! J'acquiesce d'un hochement de tête en souriant. David a fini par déménager à Bordeaux et, à voir la façon dont elle le dévore des yeux, Saskia peut bien prétendre qu'il n'y a « rien de sérieux » entre eux, je reste persuadé qu'elle se ment à elle-même. J'en sais quelque chose, je suis passé par là moi aussi.
Un moment après, Gustave et Jéhanne nous rejoignent, ainsi que Charles et David. Nous voilà tous au complet. Ambre tenait à organiser un pot en petit comité pour présenter à nos parents et amis le fruit de son travail acharné, et les remercier tous pour leur soutien infaillible depuis le début de cette aventure. Il est prévu qu'ensuite, nous allions tous ensemble au restaurant.
Après des embrassades et des étreintes affectueuses, Ambre nous fait visiter les lieux en nous livrant des tas d'explications. Elle m'impressionnait déjà par sa maîtrise, lorsqu'elle était juriste, mais là je dois reconnaître qu'elle est tout simplement dans son élément. Elle est passionnée par ce qu'elle fait et a de quoi être fière. Je suis certain que bientôt, tout Bordeaux s'arrachera sa production artisanale fabriquée avec amour.
Pour clore la visite, nous débouchons du champagne et trinquons à la réussite de son entreprise. Ma petite abeille irradie de bonheur et, alors qu'elle dépose un baiser léger sur ma joue en se lovant dans mes bras, mon cœur rate un battement. À ses côtés, je me sens le plus heureux des hommes.
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