Chapitre 9. Chatte échaudée craint l'eau froide... ou pas
(vendredi 9 juin 2023)
Tutututu... Tutututu...
Couchée sur le ventre, la tête enfoncée dans l'oreiller, je ronchonne et tâtonne à l'aveugle la table de chevet à côté du lit, en quête de mon téléphone portable, pour éteindre ce maudit réveil. Après plusieurs insomnies, j'ai craqué et les somnifères ont eu raison de moi. Les draps à ma droite sont encore un peu chauds, preuve qu'Antoine a dormi quelques heures près de moi sans même que je m'en rende compte.
Hier soir, j'ai passé un moment sur Instagram à stalker - comme disent les jeunes, cette garce de Victoire, en quête d'informations. Il aura fallu que je me rapproche gentiment de la quarantaine pour succomber aux sirènes du groupe Meta et que j'installe cette application de malheur sur mon smartphone. La boomeuse est dans la place !
Et je n'ai pas été déçue du voyage. L'ennemie étant du genre à déballer son quotidien sur les réseaux sociaux, j'ai pu dresser une liste exhaustive de tout ce qui l'excite, en plus des avocats quadras déjà maqués. Sorties dans les clubs les plus branchés avec ses amis, grands restaurants, vacances au soleil, shopping dans les boutiques prestigieuses. Une vraie vie de petite fille à papa bourgeoise. J'exècre cette nana au point de me demander si je vais pouvoir la supporter encore longtemps.
Je me lève et titube jusque sous la douche, mettant au passage un coup de pied aux fesses de ma pauvre Tanit que je n'avais pas vue. Je décolle mes paupières avec peine ; j'ai une tête effrayante et l'impression d'avoir la gueule de bois sans même avoir bu une seule goutte d'alcool. La journée démarre mal.
En déjeunant, je retrouve légèrement le sourire en découvrant des messages vocaux de mes parents et de Saskia à l'occasion de mon anniversaire. Je n'ai pas le temps de les rappeler tout de suite, mais je me promets de le faire plus tard dès que j'aurai un petit moment de libre. Par contre, aucun signe d'Antoine. Pas même un mot sur la porte du frigo ou la cafetière. Mon estomac se tord ; j'ai un pincement au cœur de réaliser que mon compagnon a, semble-t-il, tout bonnement oublié mon anniversaire.
Il est neuf heures quand je franchis le seuil du cabinet.
Ouf ! Certes, je suis toujours dans le cirage, mais au moins je suis présentable et à l'heure.
J'ai à peine passé la porte de mon bureau que des mains se posent sur mes yeux. Surprise, je sursaute et me mords la langue au passage.
— Bon Dieu, ça fait un mal de sien !
— Joyeux anniversaire ! s'exclame Elias.
— Oh, Elias, tu fais sié ! je m'emporte en pivotant sur mes talons pour lui faire face, la langue douloureuse.
— Ouh là là ! C'est qu'elle est bien ronchonne aujourd'hui, relève-t-il sans se départir de son sourire habituel. Les Anglais ont débarqué ?
— Tu sais où tu peux te les mettre tes remarques misogynes ? je le vilipende en dardant un regard assassin sur lui.
— Roh, détends-toi. C'est juste une boutade.
C'est vrai oui, cela ne sert à rien que je m'emporte. Je n'ai pas la moindre envie de passer mes nerfs sur lui. Après tout, il n'y est pour rien si la nuit a été merdique et qu'Antoine a oublié mon anniversaire.
— Excuse-moi, j'ai été surprise, mais je te remercie d'avoir pensé à moi.
— Ça te fait combien déjà ? Quarante-huit, non ? blague-t-il en faisant mine de réfléchir.
— Trente-sept, andouille ! Dis tout de suite que je fais plus vieille que mon âge ! je réplique en riant légèrement.
— Pas du tout, le temps n'a aucune emprise sur ta beauté, ma petite abeille.
Il saisit ma main pour y déposer un baiser, tel un véritable prince charmant, et, contre toute attente, je glougloute. Le pompon sur la Garonne !
— J'ignorais que tu imitais si bien la dinde, se moque-t-il.
— Moi aussi, figure-toi. Tu viens boire un café ?
— Volontiers. Tiens, c'est pour toi.
Elias me tend un sac brillant duquel j'extrais une boîte que je reconnais aussitôt. Les fameux canelés de la Toque Cuivrée, mon péché mignon. J'en raffole depuis que je suis enfant.
— Oh merci, tu es adorable, dis-je en l'embrassant sur la joue.
Comme toujours, je prends un réel plaisir en sa compagnie à déguster quelques-unes de ces douceurs autour d'un café. Ma mauvaise humeur s'estompe à mesure que mon estomac se remplit de ses délicieuses pâtisseries auxquelles je n'ai jamais pu résister.
— Au fait, tu n'as rien de prévu ce soir ?
— Euh... non, pas que je sache. À moins qu'Antoine ait préparé quelque chose...
Ce qui a peu de chance d'arriver, étant donné qu'il n'y a même pas pensé...
— Tant mieux. Fais-toi belle, je passerai te récupérer chez toi à dix-neuf heures sans faute.
Je manque de m'étouffer en avalant une bouchée.
— Elias, qu'est-ce que tu mijotes ?
— Rien qui ne sorte de la légalité, rassure-toi.
— Hum, je n'ai pas d'autre choix que de te faire confiance de toute façon. Mais gare à toi, tu sais bien que je ne raffole pas des surprises.
— Tout ira bien. Bon, je file au tribunal. Ce soir, dix-neuf heures. N'oublie pas, dit-il en quittant la pièce.
***
[Antoine : Ma puce, ne m'attends pas ce soir. J'ai un dîner d'affaires.]
Dois-je vraiment m'étonner de recevoir un tel message d'Antoine à dix-huit heures ? Je suis restée sans nouvelles de lui durant toute la journée, je ne l'ai pas non plus croisé au bureau étant donné qu'il était en rendez-vous à l'extérieur.
En temps normal, je me dirais que ce n'est pas si grave que ça. J'ai l'habitude de me retrouver sans lui à la maison. Mais bizarrement, je ne suis pas sereine. Je l'ai même carrément en travers. La félicité n'est plus et il n'aura fallu que quelques semaines pour que nous retombions dans nos lacunes de couple en péril. Notre projet d'enfant a disparu dans les oubliettes. N'est-ce pas là, une preuve irréfutable qu'il y a de nouveau de l'eau dans le gaz entre nous ?
Depuis que j'ai malencontreusement appris que Victoire en pince pour Antoine, j'ai renforcé ma vigilance et j'observe tout. Absolument tout. Je les scrute. J'analyse chacun de leurs faits et gestes lorsqu'ils se croisent ou se trouvent ensemble en ma présence au cabinet. Et les regards ne trompent pas. Elle est folle de lui, ça se voit comme le nez au milieu de la figure.
J'aimerais pouvoir dormir sur mes deux oreilles, tranquillisée de savoir que mon couple est à l'abri de toute tentative d'invasion. Pourtant, depuis trois semaines, j'ai un mauvais pressentiment et le doute ne me quitte plus. Antoine a-t-il remarqué quelque chose au petit jeu de Victoire ? M'a-t-il déjà trompée avec elle ou bien une autre ? Je désire plus que tout le confronter, mais la vérité, c'est que je redoute ses réponses.
Il brille par ses absences répétées ; il est à nouveau obnubilé par son travail. J'ai l'impression qu'il fuit notre domicile et même pire : qu'il me fuit, moi. Nous nous éloignons peu à peu. Encore une fois. La passion a disparu aussi vite qu'elle était revenue. Les moments de tendresse subsistent, mais n'ont plus la douce saveur d'avant.
J'ai éprouvé des sentiments forts pour cet homme et j'ai cru que nous nous relèverions de cette crise, malheureusement je dois me rendre à l'évidence : la fin approche. Notre amour, ou du moins ce qu'il en reste, ne sera bientôt plus qu'un lointain souvenir. Cela me retourne les tripes à m'en donner la nausée, mais à quoi bon continuer de partager nos vies, s'il n'y a plus rien entre nous ? Je suis lasse de jouer la comédie du bonheur pour préserver les apparences, de persister à renvoyer l'image d'un ménage heureux, d'une femme active et comblée.
Je n'ai plus la force de me battre. Alors, je laisse pourrir la situation, consciente, cette fois-ci, de creuser la tombe de mon couple, par incapacité à communiquer ; je replonge dans la tourmente. À croire que je n'ai pas retenu la leçon de la crise précédente.
Si Babou était là, elle m'inciterait à changer les choses, j'en suis certaine. Elle n'était pas femme à baisser les bras face à la fatalité. Et je ne dois pas m'y résigner non plus. Il faut que j'aille de l'avant, même si cela implique de grands bouleversements. Demain, je parlerai avec Antoine.
Quelle heure est-il ? Bon Dieu, dix-huit heures trente ! Et je suis loin d'être prête !
Je soupire en voyant mon reflet dans le miroir. J'ai vraiment une tête de déterrée.
La musique à fond, je m'active sous la douche et chasse mes pensées bien trop sombres. J'ai besoin de légèreté, de m'amuser. J'opte pour une tenue qui change un peu du quotidien et adaptée aux températures caniculaires du moment : robe bohème en mousseline de soie et une paire de spartiates. Ce soir, pas de talons, pas de chignon. Mes cheveux longs châtains sont libres de virevolter. Et comme c'est jour de fête, je m'octroie même un ravalement de façade en bonne et due forme, en veillant tout de même à ne pas ressembler à un camion volé. Quelques minutes plus tard, je me parfume et jette un dernier coup d'œil dans le grand miroir de la salle d'eau. Me voilà fin prête, plutôt satisfaite du résultat.
L'interphone sonne, Elias est arrivé. Excitée comme une puce à l'idée de sortir avec mon ami, je m'empresse de le rejoindre. J'ai un besoin impérieux d'oublier mes soucis, le temps de quelques heures. Et qui de mieux qu'Elias pour m'y aider ?
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