Chapitre 63. Rendez-vous avec l'Amour
Face aux marches du palais de justice, je marque une pause, suffocante après ma course. J'aperçois Elias devant les portes du bâtiment, en conversation avec, je suppose, son client. Toujours aussi beau, toujours aussi parfait, même avec sa robe noire.
Je patiente à l'écart, profitant de leur échange, pour reprendre mon souffle, adossée à la rambarde de l'escalier. Une nouvelle contraction est en approche.
Pas d'affolement. C'est mon corps qui se prépare, la nature est bien faite.
Ouais ouais, sauf que si j'avais suivi les prescriptions de la gynécologue, je serais restée bien sagement chez moi pour me reposer. Au lieu de ça, j'ai tapé le sprint de ma vie pour rejoindre mon âme sœur.
Le client parti, je m'approche et entre dans le champ de vision d'Elias. Nos regards s'accrochent. Son visage s'illumine, se fend d'un large sourire. Je cours jusqu'à lui, il laisse tomber sa sacoche pour m'ouvrir ses bras. J'enfouis mon nez dans son cou, inhale ma drogue. Je bascule ma tête vers l'arrière et, à l'instant où je plonge dans ses yeux, plus rien ni personne ne compte, excepté lui.
— Si tu savais comme je t'aime, je lui murmure. Je suis tellement désolée pour le mal que je t'ai...
Il pose un doigt sur mes lèvres pour m'intimer de me taire.
— Je t'aime, Maya Chérie. Je t'aime comme jamais aucune autre avant toi.
Mon cœur cogne frénétiquement dans ma poitrine ; j'ai si souvent espéré qu'il prononce ces mots pour moi. Il plaque ses mains chaudes sur mes joues et parsème mon visage de tendres bécots.
— Tu es la femme de ma vie. La seule, l'unique. Tu m'as aidée à surmonter les blessures du passé, je n'imagine pas mon futur sans toi.
J'ai à peine le temps de reprendre mon souffle que sa bouche percute la mienne, ouvrant la voie à un baiser enivrant qui fait chavirer mon cœur et mon âme tout à la fois.
Dans sa poche, son téléphone vibre. Il l'ignore, préférant continuer de m'embrasser avec fougue. Si nous n'étions pas sur le parvis du palais de justice, je crois que je serais capable de le dévorer d'amour.
L'interlocuteur insiste, Elias se détache de moi pour décrocher.
J'en profite pour m'adosser au mur du bâtiment et recouvrer mes esprits. Je me sens à la fois légère comme une plume et fébrile, me demandant comment je tiens encore debout après un tel baiser. Une nouvelle contraction vient, plus forte que la précédente. Je ferme les yeux et gère la douleur, respire un bon coup.
— Quelque chose ne va pas ? m'interroge Elias en s'approchant de moi après avoir raccroché.
— Rien de grave.
Il blêmit.
— Ça va aller, ne t'inquiète pas. Ça m'arrive de temps en temps depuis deux jours.
— Mais pourquoi tu ne m'as rien dit ? s'insurge-t-il.
— Parce que si je devais te prévenir à chaque fois que j'ai une contraction, tu serais déjà tombé raide mort de fatigue.
— Tu n'es pas croyable ! Une vraie tête de mule !
— La poêle qui se fout du chaudron... je rétorque en levant les yeux au ciel. Je vais rentrer à la maison, on se voit ce soir ?
— Bien entendu. Repose-toi, Maya chérie.
Il effleure mes lèvres avec douceur et je me mets en route pour regagner l'appartement, sans courir cette fois-ci. J'ai enfin retrouvé mon ours. Je l'aime, il m'aime. Je traverse la place Pey-Berland, en sautillant comme Heidi, petite fille des montagnes... La la la !
Je nage en plein bonheur, mon cœur amoureux battant à la chamade. Il fait beau, les oiseaux chantent, les voitures klaxonnent...
Oh bon sang, c'est quoi, ça ? Je ne suis quand même pas ivre de joie au point de me pisser dessus ?
Je m'arrête d'un coup et tâte mon pantalon. Me voilà trempée jusqu'aux chevilles. Mon cerveau tire la sonnette d'alarme. Alerte ! On dirait bien que l'heure est venue.
Je m'assieds sur un banc, inhale une grosse bouffée d'oxygène pour me détendre en pressant mes doigts sur mes tempes. J'ai bien appris ma leçon et si pour le moment, je n'ai pas de contractions régulières, c'est le signe que le travail n'a pas encore commencé. Pas de panique, donc, même s'il ne va pas falloir trop traîner non plus. Et puis, les accouchements express, ça n'arrive que dans les films. J'appelle Elias.
Inspire... Expire... Allez, décroche ! Inspire...
— Je te manque déjà ?
J'étouffe un petit rire.
— Ce doit être ça...
Il rit à son tour.
— Plus sérieusement, j'ai perdu les eaux, je lui annonce le plus calmement possible pour ne pas l'affoler.
— Quoi ? T'es où ? s'égosille-t-il.
Raté...
— Au pied de la cathédrale.
— Ne bouge pas, je viens te chercher !
À peine quelques minutes plus tard, Elias me rejoint en courant, encore vêtu de sa robe noire. Il gesticule dans tous les sens, les bras en l'air, les traits déformés par l'angoisse.
— Tu as mal ? Tu peux marcher ? T'es bien sûre que tu as perdu les eaux ?
Il baisse les yeux vers mon pantalon et tressaille.
— Putain, je suis trop con ! Nom de Dieu, Elias, réfléchis ! s'exclame-t-il, haletant, en se mettant une gifle.
Je le fixe avec effarement. Je ne l'avais jamais vu comme ça. On dirait bien qu'il fait THE crise d'angoisse. Je saisis son visage entre mes mains pour l'obliger à me regarder.
— Pas de panique, mon nounours, ça va aller. Il faut que tu m'emmènes à la maternité, mais avant on doit passer à l'appartement.
Et soudain, je ris devant le comique de la situation : c'est moi qui m'apprête à accoucher, mais c'est lui qui stresse à mort. Il cligne des yeux à plusieurs reprises, calque sa respiration sur la mienne, me vole un baiser, puis s'empare de mon poignet et m'entraîne avec lui jusque chez moi, d'un pas déterminé.
Une fois sur place, je fais preuve d'un calme olympien. Pour le moment, je ne ressens que des petites douleurs, mais toujours pas de contractions régulières. J'en profite pour prendre une douche et nourrir Tanit, contrôle une dernière fois la valise de maternité tandis qu'Elias tourne comme un lion en cage en passant des coups de fil.
***
— Allez, Ambre ! Préparez-vous, il va falloir pousser une dernière fois, vous y êtes presque ! m'encourage la sage-femme.
J'ai perdu la notion du temps, je sais juste que nous sommes au beau milieu de la nuit. Je suis éreintée, haletante et couverte de sueur. Je veux que ma fille sorte enfin de mes entrailles et que cette douleur lancinante cesse. La péridurale ? Ça aurait pu être bien... si elle avait fonctionné.
Elias est à mes côtés. Il est épuisé lui aussi, mais son sourire reste lumineux. Il essuie mon visage, dégage mes cheveux, m'encourage.
— Souviens-toi cette nuit-là, Maya Chérie. Le plus beau dérapage de notre vie. Respire, c'est bientôt fini, me rassure-t-il.
Je perçois les trémolos derrière son timbre grave ; il est fou d'inquiétude, mais tient bon pour moi. Mon roc, mon protecteur, mon réconfort.
Inspiration...Expiration... Aaaahhhh.
La douleur augmente, je serre sa main dans la mienne, ou plutôt je la broie. Il grimace sans broncher, partage ma souffrance. Je sens venir une nouvelle contraction.
— J'en peux plus, j'ai trop mal !
— Tu vas y arriver, t'es une guerrière, mon amour !
Mes yeux se révulsent, j'ai l'impression que je vais m'évanouir.
— C'est le moment, Ambre !
J'inspire profondément et bloque. Je me recroqueville, puise dans mes dernières forces et pousse fort en hurlant à rameuter toute l'Aquitaine. Bébé quitte enfin mon corps et aussitôt, une déferlante d'hormones s'abat sur moi, la douleur disparaît. Le premier cri de notre fille résonne dans la salle. Je lève les yeux vers son père ; il sourit en contemplant notre progéniture, le regard brillant et plein de fierté, puis il s'effondre sur moi, me couvre de baisers et de caresses. La sage-femme dépose notre enfant sur ma poitrine. Elias embrasse le sommet de son crâne en pleurant de joie.
— Enfin, tu es là, mon bébé... je murmure à peine tant je suis émue et épuisée.
Je la serre contre moi. Elle agite ses membres minuscules, des gémissements et bruits de succion s'échappent de sa petite bouche en cœur. Nous la contemplons avec des yeux émerveillés. Le miracle de la vie, le fruit de notre amour.
— Comment va s'appeler cette jolie princesse ? nous demande la sage-femme.
Je reporte mon attention sur Elias. Nous y voilà. Après des semaines à nous chamailler à ce sujet, nous avions sélectionné trois prénoms courts – Rose, Zélie et Luce, qui s'accorderaient à merveille avec le patronyme à rallonge. Aimant les trois, j'ai décidé de laisser le choix final à Elias, mais il a tenu à garder le secret jusqu'au bout. Un sourire mutin étire ses lèvres, ses prunelles pétillent... de malice.
Je retiens ma respiration. Il peut se montrer blagueur, je redoute le pire. Il serait capable de lâcher un bon vieux Frénégonde juste pour amuser la galerie.
— Gabrielle... déclare-t-il en me couvant du regard. Gabrielle Jaeger de Warren.
Je fonds en larmes, au comble du bonheur. Il n'aurait pas pu me faire un plus beau cadeau pour la naissance de notre fille que de lui donner le prénom de ma Babou tant aimée.
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