Chapitre 60. La fuite
— Allô, Maman ?
J'essaie de contrôler ma voix pour paraître la plus normale, mais au fond, je n'ai pas décoléré. Gifler l'autre salope n'a pas suffi à me détendre. J'aurais dû lui envoyer le revers sans même réfléchir...
— Oh, mon trésor ! Comment vas-tu ? Ton père m'a appris la bonne nouvelle pour ton local. C'est super !
Ma mère se réjouit pour moi, pensant probablement que je l'appelle pour converser avec joie de l'avancée de mon projet. Elle est à mille lieues de se douter que ma vie est en train de partir à vau-l'eau, une fois de plus.
— Ouais, c'est super, je répète sans grande conviction.
— Qu'est-ce qui se passe ? Un souci de grossesse ? s'emballe-t-elle à l'autre bout du fil.
— Non non, tout va bien, je la rassure. Je peux venir quelques jours chez toi ?
— Bien sûr, ma maison est aussi la tienne. Tu comptes arriver quand ?
— Ce soir. Je boucle mes affaires et je pars.
— Vu l'heure, je ne suis pas certaine que tu auras un train.
— Je vais louer une voiture.
— Chérie ? Qu'est-ce qui se passe ? Je sens que tu ne me dis pas tout.
— Rien, maman. J'ai simplement besoin de prendre un peu l'air de la campagne. Je serai prudente sur la route, ne t'en fais pas. À tout à l'heure.
Je raccroche et envoie aussitôt un message à Axel pour lui demander un service.
[Ambre : Coucou fiston ! Je vais devoir m'absenter quelques jours, tu pourrais t'occuper de Tanit stp ? Il y a tout ce qu'il faut et tu connais la maison.]
Je pose mon téléphone dans un coin, attrape la valise dans le dressing et commence à y entasser des vêtements, sans trop songer à la durée de mon séjour. Pour le moment, j'ai juste besoin de partir loin d'ici pour nous préserver, mon bébé et moi, réfléchir au calme à ce qu'il m'arrive. Trouver une explication qui justifierait que je me suis de nouveau fait berner par un homme.
Pas n'importe lequel en plus. Celui qui, après mon père, compte probablement le plus pour moi. Mon roc dans les tempêtes, mon brin de folie, mon amour... et désormais, ma plus grande déception.
Axel tente de me joindre, mais je bascule son appel sur répondeur. Je ne suis pas certaine de pouvoir contenir mes émotions si je décroche et je ne dois pas craquer maintenant. J'ai au moins deux heures de voiture qui m'attendent pour descendre chez ma mère ; je ne serais jamais rendue si je dois m'arrêter toutes les cinq minutes pour chouiner.
[Axel : Pas de problème, je gère pour Tanit. Tout va bien ?]
[Ambre : Oui, très bien, ne t'en fais pas et encore merci.]
La valise bouclée, je récupère mon sac à main et file en direction de l'agence de location située à quelques encablures de chez moi. Les démarches sont accomplies avec l'hôtesse en moins d'une demi-heure. Je grimpe au volant d'une Mini et prends la route.
Fait exprès, mon portable ne cesse de sonner. Inutile de m'arrêter pour deviner que c'est Elias. Je monte le son de la musique dans l'habitacle pour en couvrir le bruit et me concentre sur ma conduite.
Je fais le vide dans mon esprit, ne pense à rien d'autre qu'à mon point de chute pour les jours à venir. La maison de campagne de maman, véritable refuge baba cool, où l'on se sent aussitôt en paix, une fois l'entrée franchie. J'y suis venue quelques fois en week-end et j'en ai toujours apprécié la quiétude. J'imagine déjà ma fille jouer avec Poppy dans le jardin fouillis, cimetière des expériences horticoles de sa grand-mère.
La paix et la quiétude. Voilà ce dont j'ai un besoin vital pour me défaire de cette colère qui me ronge depuis des heures. Cette femme méchante et violente, tant dans ses paroles que dans ses gestes, ce n'est pas moi. Je ne me reconnais pas.
Je suis contrainte de m'arrêter plusieurs fois pour soulager ma vessie au supplice, manger un morceau et souffler un peu. Bébé remue pas mal, causant par moment des douleurs qui me fatiguent rapidement. Je regrette qu'elle ait été témoin malgré elle de ce qu'il s'est passé quelques heures plus tôt. Elle doit ressentir mes émotions ; rien d'étonnant à ce qu'elle soit agitée.
J'arrive à destination à la nuit tombée. Maman surgit tout affolée dans le jardin pour m'accueillir et à voir sa tête, je me doute qu'elle ne m'a pas cru une seule seconde quand je lui ai confié que tout allait bien.
J'ai à peine posé un pied par terre qu'elle s'empresse de me serrer contre elle, et, maintenant que je suis dans ses bras réconfortants, je peux enfin craquer. Je pleure de longues minutes, incapable de formuler le moindre mot. Elle frotte mon dos et mes cheveux en me berçant, me murmure à l'oreille les chants apaisants de mon enfance, ceux qui ont si souvent tari mes larmes de petite fille.
— Mon trésor, qu'est-ce qui te met dans cet état ?
— Il... il m'a... trahie, maman, je parviens à lui répondre entre deux sanglots.
— Elias ?
Je me recule pour lui faire face et acquiesce d'un hochement de tête. Elle saisit mon visage entre ses mains, essuie mes pleurs à l'aide de ses pouces.
— Qu'a-t-il fait ? Ne me dis pas qu'il ne veut plus entendre parler de votre bébé ?
— Je l'ai surpris avec une autre.
— Quoi ? s'égosille-t-elle à présent.
— Elle était collée à lui, sa bouche sur la sienne.
Un flash de cette scène surgit dans mon esprit, je suis aussitôt prise de tremblements. La colère gronde encore en moi.
— Viens, entrons vite au chaud.
Je la suis à l'intérieur et m'assieds dans le canapé. Elle m'enveloppe d'une grande couverture ; je me cache volontiers dans ce cocon qui sent bon maman, le patchouli et l'orange. Elle s'éloigne dans la cuisine et quelques minutes après, elle me tend une tisane.
— Bois ça, mon trésor. C'est de la verveine, ça va te détendre et ce n'est pas dangereux pour la petite.
J'avale le breuvage concocté par ma mère. Ma fille s'agite, me fiche un coup qui m'arrache une grimace. Je glisse une main sur mon gros ventre et lui parle avec douceur, pour lui confier que tout ira bien, la rassurer. Me rassurer.
— Qu'est-ce que je vais faire, maman ?
— Déjà, tu vas commencer par te reposer. Ce n'était pas très prudent de faire la route dans cet état. Tu es censée accoucher dans un mois. Tu dois prendre soin de toi.
— Je sais, mais je ne pouvais pas rester chez moi. Il fallait que je parte loin.
Elle me serre à nouveau dans ses bras, les sanglots me reprennent. Je sens son pouls battre fort contre mon oreille.
— Ne pleure plus, mon trésor. Je veille sur toi, dit-elle en larmoyant, elle aussi.
***
Déjà deux jours que j'ai trouvé refuge chez ma mère, loin de Bordeaux. Mon téléphone ne cesse de sonner. Des tas de coups de fil et de messages d'Elias qui me cherche de partout. Je ne suis pas prête à le confronter et demeure silencieuse. Il n'a pas pu s'empêcher de contacter nos proches, si bien que mon père, Axel et même Saskia m'ont harcelée eux aussi pour savoir où j'étais passée. Je me suis contentée de leur envoyer des réponses concises pour les rassurer sans entrer dans les détails. Je ne veux parler à personne pour le moment.
Ma mère est d'un réconfort sans faille et me dorlote, sans me questionner. Elle n'a d'ailleurs dit à personne où je me trouve. Elle a décidé de réaliser un portrait de moi enceinte, je prends donc volontiers la pose. Entre crises de larmes et rires nerveux, je parviens toutefois à dormir un peu, du moins quand mon esprit me le permet.
J'ai beau retourner le problème dans tous les sens, je ne comprends pas pourquoi Elias m'a trahie de la sorte. À croire que nos huit ans d'amitié ne signifiaient rien pour lui... et tout le reste aussi... Je saisis mieux pourquoi il ne m'a jamais dit « je t'aime ». Tout simplement parce que ce n'était pas le cas.
Je suis en train de me ressourcer au soleil, installée avec un livre, dans un cocon suspendu dans le jardin, quand je suis distraite par un appel de Saskia. Elle insiste depuis ce matin ; cette fois-ci, je me décide à lui répondre, sans quoi elle serait capable de rameuter tout le pays pour me retrouver.
— Bordel, Ambre ! T'es où ? Elias m'a téléphoné, il paraît que t'as disparu depuis deux jours !
— Je suis chez ma mère. J'avais besoin de faire le point.
— Quoi ? Qu'est-ce que tu me chantes ?
— Je suppose qu'il ne t'a raconté que ce qui l'arrangeait, n'est-ce pas ? je lui rétorque avec sarcasme.
— Ouh là ! Vas-y mollo, je ne suis pas ton ennemie. Sache qu'il ne m'a rien dit de plus.
Je soupire dans le combiné. Quelle cruche, je fais ! Il ne se confiait déjà pas à moi, pourquoi l'aurait-il fait avec Saskia ?
— Excuse-moi, je suis un peu à cran.
— Et puis-je savoir pour quelle raison ?
— Elias ne vaut pas mieux qu'Antoine...
— Oh, wait ! Qu'est-ce que tu me racontes, là ? On parle bien du même Elias ? Le père de ta fille, l'homme de ta vie ?
— Ex...
Saskia pousse un cri suraigu dans le téléphone.
Je lui narre en détail le récit de ma découverte durant de longues minutes et verse encore des larmes en revivant ces moments douloureux. Elias et la sangsue, sa confrontation avec Antoine. Saskia m'écoute tout en échappant un florilège de grognements et de jurons.
— Bon Dieu, il va entendre parler du pays !
— Laisse tomber, ma chérie. J'aurais bien dû m'en douter que ça se finirait ainsi. J'ai été idiote de penser qu'il pourrait changer.
Saskia roumègue, pas convaincue par mon interprétation des faits.
— Ne dis pas de bêtise ! Ça ne peut pas se terminer comme ça. Je suis certaine qu'il y a une explication rationnelle à tout ce bousin ! Il a des défauts, mais il n'est pas malhonnête. Et je te rappelle que vos vies sont liées, désormais.
— Je sais... Dans l'hypothèse où il tiendrait toujours à s'investir pour sa fille, nous allons devoir trouver des solutions pour que nos problèmes ne l'impactent pas.
— Sage décision. Quant à l'autre suppôt de Satan, je vais m'en occuper ! Elle va vite dégager de chez Barlowski et Associés, c'est moi qui te le dis !
Un rire nerveux m'échappe. Il est clair qu'Agathe ne sera jamais armée pour survivre aux foudres de Saskia la vengeresse.
— La sororité vient de se prendre du plomb dans l'aile.
— La sororité, c'est comme la connerie, ça a ses limites. Allez, Guapita, relève la tête et ne te laisse pas abattre. Je serai bientôt de retour à Bordeaux pour t'aider !
— Tu déménages quand ?
— Dans trois semaines. Je vais attaquer plus tôt que prévu au cabinet.
— Mais tu vas faire comment pour l'appartement ? Tu ne signes l'achat qu'en mai, non ?
— J'ai déjà réservé un appart-hôtel pour faire le tampon et toutes mes affaires seront stockées dans un garde-meubles.
— Tu es sûre que tu ne veux pas venir habiter chez moi au lieu de t'embêter avec une location ?
— Certaine. C'est pour un mois maximum, ça passera vite. Et puis, avec la naissance de la petite, tu vas avoir besoin de repos et de tranquillité.
Nous terminons la conversation sur des joyeusetés, mais quand je raccroche, j'ai l'esprit chamboulé.
Je replonge dans ma lecture, sans parvenir à me concentrer. Je revois en boucle la scène, analyse chaque image, chaque parole.
Je pense à Elias. Encore et toujours. Je le déteste autant que je l'aime.
J'enrage à nouveau, halète, hurle en pleurant dans le jardin pour enfin expier toute ma colère et mon chagrin. Je suis forte et je surmonterai le tourment de mon cœur amoureux et brisé.
Je suis une guerrière et bientôt, je serai une mère.
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