Chapitre 57. Question de confiance
Comme convenu, le lendemain matin, je visite l'appartement repéré par Saskia. Et je ne suis convaincue ni par le logement ni par la prestation du gugusse, véritable caricature du commercial dans toute sa splendeur.
Le rendez-vous à peine terminé, je m'empresse de le quitter, sans pour autant raccrocher l'appel visio avec mon amie.
— Ne me dis pas que tu serais prête à acheter un truc pareil ? je grommelle en grimaçant face à la caméra de mon téléphone. C'est super mal agencé et ce carrelage partout, c'est tellement moche ! Et puis, tu l'as trouvé où ton guignol de l'immobilier ? Il te prend pour une Américaine ! Ce clapier à lapin ne vaut pas quatre cent mille euros. Je veux bien qu'on soit aux Quinconces, mais quand même...
— Roh, tu as fini de râler, un peu ? soupire Saskia en levant les yeux au ciel. Rassure-moi, tu n'es pas chiante comme ça tous les jours ?
— Je ne suis pas chiante, je suis exigeante. Et pour ton bien ! Ton agent immo, il est nul à chier !
— Écoute, ma vieille ! Je suis pressée par le temps, j'ai signé un compromis de vente pour mon appart parisien. Je suis censée avoir déménagé dans huit semaines. S'il le faut, je prendrais le premier truc qui passe !
— Mais pourquoi tu ne me l'as pas dit plutôt ?
— Je suis débordée en ce moment. Entre mon départ, mes affaires à boucler et David, je ne sais plus où donner de la tête !
— Tiens, tiens... Je croyais qu'il n'était question que d'amusement avec lui... je fais remarquer avec espièglerie à mon amie.
En réalité, je me doute bien du contraire. Saskia est devenue bien moins loquace au sujet de ses conquêtes depuis quelque temps et sa trogne mi-apeurée, mi-agacée à l'écran ne fait que confirmer ma théorie d'une possible relation suivie entre eux.
— Je ne sais pas où l'on va tous les deux... mais on y va. En vrai, je panique à fond. Je n'ai toujours eu que des amants dans ma vie.
— Et ?
— J'ai l'impression de ressentir quelque chose pour David, mais tu me connais... L'amour, l'engagement, ça me terrifie. Comment tu gères ça, toi ?
Très bonne question. Couci-couça ?
Je suis folle d'Elias, mais je n'arrive pas à savoir ce qu'il en est de son côté. J'ai conscience qu'il n'est pas du genre à s'épancher sur ses sentiments, pourtant je rêverais qu'il se livre à moi et qu'un « je t'aime » franchisse la barrière de ses lèvres.
— Profite des instants avec lui, vis ta relation au jour le jour.
— Qu'est-ce que je ferais sans toi, Guapita ?
— Des conneries ? Comme acheter un appartement pourri à presque un demi-million ? je me moque gentiment.
— Bon, OK. Tu as raison. On laisse tomber pour celui-ci, mais je te rappelle que j'ai une fucking dead-line.
— Je ne comprends pas pourquoi tu n'as pas contacté mon père...
— Je te l'ai dit, je suis dans la lune en ce moment, se justifie-t-elle en montant dans les aigus.
— Eh ! Ne panique pas, on va trouver une solution ! Quelles sont tes exigences ?
— Tant que ce n'est pas insalubre, ça me va.
— Saskia ! Je te parle sérieusement. Je vais passer voir mon père, je suis sûre qu'il a quelque chose sous la main. Ça bouge pas mal l'immobilier ces temps-ci.
— Quelque chose dans le même style que mon appartement actuel. Pas plus de soixante mètres carrés. Cinquante, c'est bien. Et surtout, pas loin du cabinet. J'en ai plein le cul des transports en commun, je vais tuer quelqu'un à force ! Maximum quatre cent vingt mille euros.
— C'est noté. Compte sur moi pour te dénicher un cocon douillet, ma poulette.
— Tu es sûre d'avoir le temps de t'occuper de ça ?
— Bah oui, pourquoi ?
— Avec l'arrivée de la petite et ta reconversion pro... Elias va me taper sur les doigts si je t'en rajoute.
— Que dalle ! La petite est bien au chaud et question boulot, ça avance. Tout est sous contrôle, alors, no stress.
Enfin, ça avance moyen, mais je tiens à aider Saskia. Si ça peut la détendre un peu, ça ne sera pas plus mal...
— Bon, ça marche. Je te fais entièrement confiance. Je dois te laisser, ma cliente vient d'arriver.
Nous raccrochons et je file aussitôt jusqu'à l'agence de mon père, motivée pour mener à bien ma mission. Le timing est super serré, va pas falloir traîner.
Une fois sur place, je le briefe sur les critères de mon amie et ses yeux s'illuminent. Je l'observe avec attention fouiller dans ses dossiers, à la recherche du plan idéal.
— Alors, j'ai quelque chose qui pourrait lui convenir, mais ce n'est pas à proximité immédiate des Quinconces.
— C'est-à-dire ?
— Fondaudège.
— Oh, ça va encore. Le tram n'est pas loin.
— Cinquante-deux mètres carrés, une chambre et une terrasse. C'est plutôt cosy et lumineux. Par contre, c'est au troisième étage sans ascenseur. Et il faut compter deux cent quatre-vingt-dix-huit mille euros.
— Niveau tarif, ça passe large et pour le reste, ça devrait le faire. Papa, tu es un génie ! J'étais certaine que tu aurais quelque chose d'intéressant !
— Attends, ne mets pas la charrue avant les bœufs, ma chérie. Elle doit le visiter et me dire ce qu'elle en pense d'abord.
— C'est un peu compliqué en ce moment, son emploi du temps est très chargé. Est-ce qu'on ne pourrait pas y aller ensemble ? J'en profiterai pour lui faire des photos et un rapport détaillé ?
— Si tu veux, mais tu es certaine que ce sera suffisant pour juger si ça lui plaît ?
— Ne t'inquiète pas. Saskia me fait entièrement confiance. On fera comme si je cherchais pour moi.
— Bon, d'accord. Par contre, j'ai des visites toute la journée, je ne suis pas libre avant dix-huit heures.
— Pas de problème, j'ai des courses à faire de toute façon. On se rejoint sur place ce soir ?
— Parfait !
***
Le soir même, Saskia est aux anges, conquise par le bien proposé par mon père. Nous avons fait la visite en visio et je lui ai aussi envoyé un maximum de photos pour qu'elle puisse se rendre compte de tout. Un petit logement dans une résidence sécurisée et récente, avec une terrasse sans vis-à-vis, proche des commodités et de son futur job. Je n'ai aucun doute à me faire : elle y sera bien. Bientôt de retour à Bordeaux, nous pourrons à nouveau partager des tas de moments ensemble, comme avant. Enfin, presque.
Je regagne mon appartement, la banane jusqu'aux oreilles. Je m'apprête à y entrer quand des éclats de voix me parviennent de l'autre côté de la porte. Elias est déjà là, en pleine conversation téléphonique et vu le ton, j'ai l'impression que ça ne se passe pas très bien.
— On en a assez parlé, il n'y a rien de plus à ajouter !
Son interlocuteur semble l'irriter profondément. J'espère qu'il n'est pas en train de se prendre le bec avec Antoine à propos d'un dossier. Les relations entre eux sont toujours tendues, mais pas plus qu'elles ne l'étaient avant que la vérité au sujet de ma grossesse n'éclate au grand jour. Au moins, ils font preuve de discernement pour ne pas s'écharper au boulot.
— Arrête de ressasser le passé [...] Toi et moi, c'est terminé, t'entends ? [...] Ouais, c'est ça ! [...] Va te faire foutre, emmerdeuse !
Gné ?
On n'est pas sur une conversation professionnelle là... Qui est cette nana ? Qu'a-t-elle bien pu lui balancer pour qu'il perde son sang-froid ? Elias n'est pas du genre à dégainer les insultes aussi rapidement.
Les pensées se bousculent dans ma tête ; à mesure que j'essaie d'analyser la situation, une montée d'adrénaline me secoue. Mon pouls s'accélère, ma respiration devient erratique. J'ai l'impression que je pourrais m'écrouler à tout moment. J'ai soudain peur de revivre la même chose qu'avec Antoine. Si cela devait être le cas, je ne m'en relèverais pas.
Elias n'est pas Antoine, j'ai confiance en lui.
Je me répète ce mantra en boucle pour me protéger, ne pas céder à la panique et nourrir le spectre de la tromperie qui patiente en coulisse pour me hanter.
Cette nana est sûrement une ex-conquête qui tente de remettre le grappin sur lui. Je sais bien qu'Elias a connu bon nombre de femmes, il ne s'en est jamais caché, mais il vient clairement de réduire ses espoirs à néant.
C'est bien la preuve que je suis sans doute en train de me faire un film pour rien. Elias est un homme bien. Parfait pour moi, je l'aime comme il est. Mon ours, avec ses défauts et ses blessures, ainsi que ses qualités remarquables. L'honnêteté est l'une d'entre elles. Il sait à quel point j'ai souffert et m'a si souvent confié qu'il tient à moi que je refuse de croire qu'il soit capable de me trahir lui aussi.
Allez, Ambre ! Rentre vite chez toi retrouver l'homme de ta vie.
J'inspire profondément et franchis le seuil de l'appartement. J'ai la gorge sèche. Je file à la cuisine me servir un verre d'eau que j'avale d'un trait. Appuyée sur le plan de travail, je me concentre sur ma respiration.
Elias surgit dans la pièce.
— Ah ! Tu es là, je commençais à m'inquiéter.
Je reste silencieuse, souffle un bon coup. Mon pouls s'apaise enfin. Elias me questionne avec anxiété :
— Qu'est-ce qui se passe ? Je t'emmène aux urgences ?
— Non, ce n'est rien.
— Tu es sûre ? Comment tu te sens ?
Mieux qu'il y a quelques minutes, mais je ne veux pas l'alerter. Ce n'était rien qu'un peu de stress. Pour rien en plus.
— Bébé m'a mis un coup de pied costaud. Elle gigote pas mal ces temps-ci.
— C'est plutôt bon signe, non ?
— Oui oui. Elle est vive, elle nous en fera voir de toutes les couleurs.
Je lui souris légèrement pour masquer mon trouble. Il m'étreint tendrement, m'enveloppe de sa chaleur et caresse mon dos en embrassant mes cheveux. Je ferme les yeux et me laisse aller, bercée par les battements de son cœur. Ma raison l'emporte, je me détends enfin.
Mon ours. Je l'aime et j'ai confiance en lui.
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