Chapitre 5. C'est reparti comme en quatorze
(vendredi 28 avril 2023)
Installée avec mon plateau-repas, je profite d'une accalmie dans mon esprit en chantier pour me changer les idées devant la télévision avant d'aller me mettre au lit. Les paroles d'Elias ont tourné en boucle dans ma tête toute la journée.
J'ai conscience que ma relation avec Antoine ne tient plus qu'à un fil. Au-delà du fait que nous ne faisons plus l'amour depuis des mois, nous n'avons plus de petites attentions l'un pour l'autre, de moments de tendresse et de complicité, ceux qui cimentent les unions. Pire, nous n'arrivons plus à communiquer et les discussions se terminent bien souvent par des engueulades. En somme, j'ai l'impression d'être en colocation avec tous les inconvénients de la vie de couple.
Jusque-là, personne dans mon entourage n'avait trop osé formuler de remarque à ce sujet, pour ne pas que je m'emporte et monte dans les tours, je suppose. Antoine n'a jamais fait l'unanimité auprès de tout le monde. Seule Babou m'avait glissé une fois qu'il ne lui inspirait pas confiance, aux prémices de notre histoire. J'ai argumenté pour lui démontrer qu'Antoine était pourtant formidable, sans réussir à la convaincre, et depuis, nous évitions le sujet toutes les deux, bien qu'elle n'en pensait pas moins.
Moi-même, je ne saurais m'expliquer pourquoi je persiste à rester avec lui, vu l'état pitoyable de notre relation. Les choses n'ont pas toujours été ainsi et nous avons vraiment été heureux ensemble pendant plusieurs années. Quelque part, au fond de moi, j'ai l'espoir que tout ne soit pas perdu et que nous puissions encore sauver notre couple, à condition de communiquer comme deux adultes responsables.
Je cogite un moment, installée en vrac dans le canapé. Déjà dix jours que Babou est décédée ; elle me manque terriblement. La fatigue accumulée ces derniers jours finit par avoir raison de moi et je tombe dans les bras de Morphée. C'est Antoine qui me réveille en rentrant, à je ne sais quelle heure.
— Tu devrais monter te coucher.
— Hum... je marmonne, à moitié dans le coaltar.
Contre toute attente, il me soulève et me porte jusqu'à notre chambre. Qu'est-ce qui lui prend ? Il n'a jamais fait ça en sept ans. Il m'installe dans notre lit et s'assied près de moi.
— Quelle heure est-il ? je demande, somnolente.
— Vingt-trois heures.
— Pourquoi rentres-tu si tard ?
— Je suis allé dîner avec mon dernier client. Écoute, il faut qu'on parle tous les deux, commence-t-il d'un ton solennel.
Je me fige, redoutant qu'il m'annonce une mauvaise nouvelle qui pourrait bien m'achever.
— Je suis désolé, ma puce, je n'ai pas assuré du tout. Tu as raison, je ne suis qu'un gros con, concède-t-il.
Des excuses se profilent. Voyant la tournure que prend notre conversation, mes muscles tendus se relâchent, mais je reste tout de même un peu stressée. L'heure est venue de nous expliquer.
— J'avais besoin de toi, Antoine. Tu m'as laissée au pire moment.
— Je sais, soupire-t-il. Je n'ai pas été à la hauteur. Je ne le suis plus depuis longtemps... Je te promets que je vais me rattraper.
Pincez-moi, j'hallucine ! Où est passé le Antoine qui pense d'abord à lui avant les autres ?
Il ôte sa veste et se couche à mes côtés. Ses lèvres trouvent les miennes et nous échangeons un baiser tendre, tandis qu'il me serre contre lui. Mon cœur bat à la chamade et les petits papillons dans mon ventre se réveillent après une éternité en stase. Je réfléchis un bref instant pour tenter de me souvenir depuis combien de temps cela n'était plus arrivé, tant nous nous sommes éloignés au fil des mois à cause de la vie quotidienne, du boulot, de nos caractères diamétralement opposés.
Il se recule légèrement et frôle ma joue du bout des doigts. Ses yeux bruns en amande et son sourire si doux me font chavirer. Si le chagrin persiste, la colère de ces derniers jours s'évanouit à mesure que je plonge dans son regard. J'ai l'impression de retrouver l'homme pour qui j'ai craqué quelques années auparavant. Pourtant je me sens idiote de céder si facilement, une fois de plus.
— Tu ne penses pas qu'on devrait réessayer d'avoir un enfant ?
Je demeure bouche bée quelques instants, le temps d'assimiler l'information, à mesure que les larmes me viennent.
— Tu n'en as plus envie ? me demande-t-il, l'air soudain inquiet, tandis que je reste muette.
Au début de notre histoire, je m'imaginais fonder une famille avec Antoine, mais nous étions encore jeunes et absorbés par le travail. C'était trop tôt pour envisager de nous multiplier. Et puis le temps s'est écoulé, l'étau de la pression sociale se resserrait de plus en plus sur nous, les années passant. Nous nous sommes enfin décidés l'année dernière. Nous avons essayé pendant plusieurs mois, jusqu'à ce que l'attente d'un heureux évènement qui n'arrivait pas finisse par nous éloigner petit à petit. Je pensais donc ce projet tombé aux oubliettes.
— Je... je ne sais pas. Tu tiens vraiment à avoir un enfant avec moi ?
— Oui, pourquoi ? Tu en doutes ?
— J'ai peur, Antoine, es-tu bien sûr de toi ? Est-ce que tu m'aimes toujours ?
— Bien sûr que je t'aime, Ambre. On traverse une mauvaise passe, j'en ai conscience, mais je désire plus que tout qu'on se retrouve, comme avant. On était si heureux. Tu es la femme de ma vie et je ne veux pas te perdre.
J'ai tant espéré entendre à nouveau ces mots doux sortir de sa bouche. Les confessions d'Antoine m'émeuvent et je me réfugie dans ses bras. Il me serre contre lui, me couvre de baisers d'une tendresse exquise. L'homme dont je suis tombée amoureuse serait-il de retour ?
J'ai envie d'y croire, de fournir tous les efforts pour raviver la passion entre nous. Après les hauts, et surtout les bas de ces derniers temps, ses mots me rassurent et apaisent mes craintes quant à notre avenir ensemble. Mon seul regret, toutefois, est que, si nous avons un enfant, il ne connaîtra pas la merveilleuse arrière-grand-mère qu'aurait été Babou, mais son souvenir sera présent et m'aidera chaque jour à lui offrir la meilleure vie possible comme elle a su le faire pour moi.
***
(Quelques jours plus tard)
Le temps œuvre et je prends doucement le chemin de l'acceptation. Des jours durant, j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps, jusqu'à ce que ma mère me mette un coup de pied aux fesses et m'enjoigne à me ressaisir. Elle a raison. J'ai profité de trente-six années de bonheur aux côtés de Babou et, désormais, il m'en reste encore des dizaines à vivre en cultivant le souvenir de cette petite femme qui n'était qu'amour, joie et bienveillance, le tout saupoudré d'un soupçon d'espièglerie.
Après notre discussion, les tensions dans mon couple se sont dissipées. Nous avons mis les choses à plat, pour que notre relation reparte sur des bases saines. Il a aussi fini par m'avouer qu'il n'est pas allergique aux poils de chat, plutôt qu'il ne voulait pas d'un animal pour ne pas avoir à s'en occuper. Je l'ai rassuré à ce sujet et, depuis, la cohabitation entre eux ne se déroule pas trop mal, bien qu'il ne risque pas de la câliner devant la télé.
Notre retrouvons peu à peu notre complicité d'avant et passons à nouveau du temps ensemble, que ce soit pour cuisiner, buller sur le canapé, sortir nous promener en ville... Toutes ces choses à première vue banales et qui, pourtant, m'avaient cruellement manqué.
Si en journée, je me plonge dans le travail, pour m'éviter de trop songer à Babou, les nuits, je suis assaillie par d'horribles cauchemars et je me réveille souvent en pleurs. Antoine me réconforte dans ces moments pénibles, me témoignant la tendresse et l'affection dont j'ai besoin.
Mes amis ne comprennent pas ce qui peut bien me retenir auprès de lui. Saskia, sûrement car elle prône la vie solo, sans enfant et sans engagement. Elias, parce que, pour une obscure raison, ils se détestent avec Antoine. Toutefois, si Saskia se réjouit que je me porte un peu mieux, Elias marronne. Antoine et lui sont comme deux coqs dans une basse-cour et j'ai renoncé à l'idée qu'ils puissent se réconcilier un jour. Néanmoins, j'ai décidé de ne plus me prendre la tête avec leur petite guerre dictée par leurs ego mal placés. L'un est mon compagnon, l'autre est mon ami. Ils devront apprendre à composer avec.
J'essaie d'épauler mon père et je m'inquiète de constater à quel point les choses ne sont pas simples pour lui. Louise n'a de cesse de le harceler à propos de la succession. Et Papa est gentil. Trop gentil. Un vrai Bisounours. Néanmoins, je ne perds pas espoir qu'un jour, il finisse par envoyer sur les roses cette grenouille de bénitier, obnubilée par l'argent, pour qu'enfin cette histoire se règle et qu'elle lui fiche la paix.
***
— Ma puce, ce soir, je t'emmène au cinéma. C'est l'une des dernières séances des trois mousquetaires : d'Artagnan, me propose Antoine en m'enlaçant alors que nous venons de rentrer à la maison.
— Oui, pourquoi pas ? Ça fait longtemps que nous n'y avons plus été ensemble.
— Je nous ai déjà réservé une table au restaurant juste avant, tu m'en diras des nouvelles. On décolle dans une heure, c'est bon pour toi ?
Il dépose une myriade de baisers dans mon cou, qui réveillent mes sens, et des frissons me parcourent de la tête aux pieds.
— Parfait, je lui souffle à l'oreille.
— Tu m'accompagnes sous la douche ? m'invite-t-il d'un air coquin en se détachant de moi.
Pris à la fois par l'envie et par le temps, notre coït sous l'eau chaude est aussi intense que rapide, me rappelant les débuts de notre histoire, à l'époque où, insatiables, nous nous aimions partout, même au bureau.
À notre décharge, nous n'étions pas les seuls à faire cela et c'est un secret de polichinelle de dire que les relations entre collaborateurs vont bon train. Tout le monde chuchote à ce sujet, mais personne n'ayant été surpris en flagrant délit, la pratique du sexe au cabinet perdure en toute discrétion. Nous en plaisantons d'ailleurs très souvent avec Elias, curieux de découvrir qui couche avec qui entre deux visioconférences.
Antoine a sorti le grand jeu et m'emmène dans un étoilé au cadre somptueux à proximité du Grand Théâtre. Alors que nous consultons le menu, il dépose sur la table une petite boîte carrée en velours bordeaux qu'il fait glisser dans ma direction. Je lève la tête vers lui et il m'adresse un sourire doux, à tomber. Il s'empare de ma main et la porte à sa bouche pour l'effleurer de ses lèvres sans me quitter des yeux. Je me croirais dans une comédie romantique en compagnie du prince charmant, stupéfaite par les efforts qu'il déploie pour me reconquérir et me satisfaire comme au temps des jours heureux.
— Antoine, mais... qu'est-ce que... ?
Submergée par l'émotion, je peine à trouver les mots et les larmes surgissent. Je m'empresse de saisir un mouchoir dans mon sac à main pour les essuyer avant qu'elles ne roulent sur mes joues en étalant mon mascara.
— Ne t'en fais pas ma puce, tu es toujours splendide.
J'ai l'impression de nous revoir à l'époque où Antoine faisait tout pour me séduire et j'aime l'idée qu'il tienne autant que moi à ce que nous retrouvions la félicité d'antan dans notre couple.
— Que fêtons-nous ce soir ? je demande avec un sourire.
— Nous, tout simplement, me souffle-t-il en caressant le dos de ma main avec légèreté.
Le cœur battant à vive allure, j'ouvre la petite boîte et découvre une fine bague en or blanc surmontée d'un solitaire. Antoine la passe à mon annulaire gauche et nous contemplons le bijou à mon doigt à la lumière des bougies disposées sur notre table. Il esquisse un sourire sexy et je peine à recouvrer mes esprits. Les sentiments que j'éprouve pour lui prennent tout mon corps d'assaut.
Nous dégustons un repas succulent en évoquant l'avenir, nos prochaines vacances en amoureux, notre anniversaire de PACS, l'envie d'un enfant... D'humeur coquine, je quitte mon escarpin et effleure nonchalamment sa jambe avec mon pied tout en minaudant comme une jouvencelle.
— Tu tiens vraiment à ce que nous allions au cinéma, mon chéri ? je susurre en glissant une cuillère de fondant au chocolat entre mes lèvres. D'Artagnan peut attendre, tu sais.
Antoine défait un bouton de sa chemise et, les paupières closes, soupire un grand coup.
— Plus tant que ça finalement. Que me proposes-tu ?
— Nous pourrions rentrer chez nous et... regarder un film dans notre canapé si confortable ? Ou même dans notre lit ?
— Pouvez-vous m'apporter l'addition, je vous prie ? demande-t-il à l'attention du serveur en salle.
— Tout de suite, monsieur.
Antoine plonge sa cuillère dans mon dessert et la porte à sa bouche avec un clin d'œil polisson. La nuit promet d'être inoubliable.
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