Chapitre 44. Comme le nez au milieu de la figure
Pendant que Charles fait le tour du cabinet avec Agathe pour lui présenter l'équipe et les locaux, j'en profite pour me préparer un café. J'ai un petit coup de barre et j'ai besoin d'être en pleine forme pour m'atteler à la passation. Une semaine ne sera pas de trop, au vu de la quantité de dossiers en cours.
En pleine rêverie, les yeux fixés sur le latte qui s'écoule dans mon mug XXL, je sursaute lorsque Antoine m'adresse la parole :
— Bonjour.
Je me retourne pour lui faire face et il me dévisage longuement de la tête aux pieds, le regard suspicieux.
— Salut.
— C'est quoi cette tenue ? Tu as déjà remisé tes jupes et tes talons pour sortir tes vieilleries du placard ?
Et une remarque désobligeante de plus... Je n'en attendais pas moins de sa part cela dit. Toutefois, je fais comme si je ne l'avais pas entendu. Je n'ai pas franchement envie de me prendre le bec avec lui une fois de plus. Quant à son avis sur ma tenue, je m'en tamponne l'oreille avec une babouche.
— Ça va, et toi ?
— Bien. Tu as rencontré Agathe, je suppose ?
Sa façon de parler d'elle me laisse penser qu'il doit la connaître lui aussi. Méfiance, Ambre...
— En effet. Elle m'a paru plutôt sympathique.
Enfin, avec du recul, vite fait, toutefois je ne risque pas de l'avouer à Antoine.
— Et elle va faire du très bon boulot. C'est vraiment une chance inouïe pour le cabinet qu'elle ait décidé de nous rejoindre.
Je l'ai connu plus avare sur les compliments... essaierait-il de me piquer ?
— Aucun doute là-dessus, sinon Charles ne l'aurait pas recrutée. Tu m'excuses, j'ai du travail qui m'attend.
Antoine avance de quelques pas dans ma direction, réduisant la distance entre nous et me fixe, les yeux plissés et un rictus aux lèvres. J'ai l'impression qu'il me sonde, cela me fait froid dans le dos.
— Quelque chose a changé chez toi... Tu es encore plus belle qu'avant, me souffle-t-il en écartant une mèche de cheveux de mon visage. Et tu sens toujours aussi bon...
De quel droit se permet-il ce genre de gestes ? Ce type est vraiment flippant... ou suicidaire. Je ne sais pas ce qu'il a en tête, d'ailleurs, je ne compte pas m'éterniser pour le découvrir. D'un revers de la main, j'éloigne ses doigts de ma joue et l'avertit avec fermeté :
— Ne me touche pas, Antoine.
— Tu ne disais pas ça, quelques mois en arrière. Rappelle-toi, ces moments de plaisir. Tous les deux. Tu aimais ça pourtant... poursuit-il d'une voix profonde.
Il fut un temps où cette voix me donnait des palpitations. Mais là, j'ai surtout envie de botter les fesses de ce prédateur à tendance pervers narcissique. Je n'ai pas peur de lui, toutefois sa manière de me reluquer et de ressasser nos souvenirs intimes est vraiment malsaine.
Fort heureusement, la sonnerie de mon portable met fin à la tentative pathétique d'Antoine de me déstabiliser. Je m'écarte de lui et décroche.
— Allô, Axel ?
— Salut, Ambre ! Je ne te dérange pas ?
— Pas du tout. Ça va ?
— Ouais. Dis, j'ai une question. Je dois faire un stage au second semestre pour une UE optionnelle. Tu penses que la proposition de Maître Barlowski tient toujours ? Tu te rappelles, lorsque tu me l'avais présenté en août...
— Écoute, je lui en touche deux mots dès que je peux. Prépare ton courrier.
— Oh, merci, c'est trop sympa de ta part ! Ce soir, je t'invite au resto.
— Garde tes sous, tu vas en avoir besoin pour acheter des meubles. Je suis plutôt partante pour une pizza devant une série, ça te tente ?
— Vendu ! À ce soir. Bisou !
Je raccroche et relève la tête, tombant sur le regard incendiaire d'Antoine.
— Eh bien, vous êtes devenus inséparables avec ton voisin, remarque-t-il avec sarcasme.
Il a l'air de penser que nous sommes en couple. Je ne résiste pas à l'envie de le titiller en allant dans son sens, pour le plaisir de le piquer.
— À tel point qu'il emménage chez moi dans quelques jours.
Antoine frappe du poing le plan de travail près de la cafetière, faisant tinter la pile de tasses propres juste à côté. Ses narines dilatées et sa respiration bruyante me laissent deviner qu'il est dans une rage folle, pour autant, il semble incapable de répliquer à ma petite pique. Je le gratifie d'un large rictus pour enfoncer le clou et file jusqu'à mon bureau, satisfaite de l'avoir réduit au silence.
***
Le restant de la journée se déroule sans encombre. Agathe et moi avons fait plus ample connaissance, et j'ai commencé à lui donner les informations sur les affaires en cours. Comme le sous-entendait Antoine, nul doute qu'avec elle, les dossiers suivront leur cours à la perfection. Elle est très intéressée et me pose bon nombre de questions, réfléchit à l'organisation de l'espace de travail...
J'ai profité de la présence de Charles au cabinet, toute la journée, pour lui parler de la demande de stage d'Axel et il m'a proposé de le recevoir en entretien vendredi après-midi. J'ose espérer que l'issue sera favorable. Nous en avons suffisamment discuté tous les deux pour que je sache qu'Axel est aussi enthousiaste que je l'étais il y a huit ans, d'intégrer le cabinet, même si ce n'est que pour un stage.
Charles m'a informée qu'un cocktail dînatoire est prévu le vendredi soir pour fêter mon départ. J'ai eu beau l'assurer que cela n'était pas indispensable – loin de là d'ailleurs, je ne pourrais pas y échapper étant donné que tout a déjà été commandé. Je redoute ce moment de mise en lumière.
Axel me rejoint à l'appartement vers vingt heures avec deux pizzas fumantes et nous nous installons sur la table basse dans le salon pour manger devant la télé.
— J'ai une bonne nouvelle pour toi.
— Ah ouais ?
— Tu as rendez-vous avec maître Barlowski vendredi après-midi à seize heures.
— Si tôt ? Avoue, tu me fais marcher ?
— Pas le moins du monde. J'espère pour toi que tu as potassé ta lettre de motivation et ton CV.
— Oh bordel, c'est trop génial ! Tu es un ange, ma parole !
— Minute papillon ! À toi de réussir l'épreuve de l'entretien. Charles Barlowski est quelqu'un de très exigeant.
— Je donnerai tout ! Merci, merci, merci ! s'exclame-t-il en bondissant sur place.
— Si ça peut t'aider, tant mieux. Tu en es où dans ton boulot ? Ça avance ?
— Ouais, ça bosse dur. Tu sais, depuis que tu m'as proposé de venir vivre chez toi, je suis plus tranquille, me confesse-t-il. Je te promets que je me ferai tout petit et que je mettrai la main à la pâte pour les corvées.
— J'y compte bien. Avec l'arrivée de bébé et la création de ma boîte, je ne te cache pas qu'un peu d'aide sera appréciable pour éviter que cet appartement ne devienne un véritable capharnaüm.
— D'ailleurs, j'ai commencé à regarder pour acheter des meubles. À ton avis, je peux demander la livraison à partir de quand ?
— Samedi, si tu veux. De toute façon, il ne faudra pas traîner à déménager tes affaires. On n'a plus que trois semaines pour vider les lieux et faire le ménage. Tu penseras à régler ton dernier mois de loyer.
— C'est programmé déjà. Clément m'a filé le reste de sa part et j'ai reçu un virement de mon père.
— Tu t'es décidé à l'appeler ?
— Ouais. J'ai pris sur moi, car, bien entendu, je n'ai pas échappé aux sempiternelles remarques. Je lui ai expliqué toute la situation et il m'a envoyé de l'argent pour que je puisse payer le loyer et acheter des meubles. J'ai horreur de devoir lui demander de l'aide, mais je n'avais pas d'autre solution.
— Tout s'arrange. Tu vas pouvoir te concentrer sur tes études, c'est chouette.
— Ouais, c'est chouette, concède-t-il tristement en haussant les épaules.
— Bah qu'est-ce qui t'arrive ?
— Rien.
— Ne dis pas rien. Si tu voyais ta tête, crois-moi qu'il y a de quoi s'interroger.
— J'ai juste un peu les boules. Heureusement que tu es là, Ambre. Parce que si je ne devais compter que sur le soutien de mes parents, ça ferait belle lurette que j'aurais lâché l'affaire, m'avoue-t-il d'une voix chevrotante, en baissant la tête vers le sol.
C'est qu'il en a gros sur la patate, le petit !
Je le saisis sous le menton pour relever sa tête et pose mes yeux sur lui.
— Ça va aller, ne t'en fais pas. Tu vas bientôt finir tes études et devenir un brillant avocat. Et ta réussite, tu ne la devras qu'à toi.
Son visage se fend d'un sourire, j'ébouriffe ses cheveux longs et bouclés en laissant échapper un rire léger. J'ai l'intime conviction que cette colocation avec Axel nous promet de chouettes moments de complicité.
— Tu es un amour, Ambre Jaeger !
— Oh, tiens d'ailleurs. En parlant d'amour, j'ai quelque chose à t'avouer.
— Ne me dis pas que tu as succombé à mon charme de... c'était quoi, déjà ? Poète-surfeur ?
Les mirettes levées vers le ciel, il tapote sur sa joue en faisant mine de réfléchir.
— Alors, non. Toujours pas. Tu as beau être mignon à croquer, tu es définitivement bien trop jeune pour moi. Par contre, d'autres doivent penser le contraire...
— Comment ça ?
— Quand tu m'as appelée ce matin, figure-toi que j'étais avec Antoine et il se pourrait que je lui aie laissé sous-entendre, pour le plaisir de l'emmerder évidemment, que nous emménageons ensemble, car nous sommes devenus inséparables...
— Il est au courant que tu es enceinte ?
— Non. Pour l'instant, personne ne le sait au cabinet, excepté Charles. J'arrivais encore à le cacher, mais cela est de plus en plus compliqué.
— Tu m'étonnes. Avec tes boobs qui ont triplé de volume, c'est même curieux que personne ne s'en soit pas déjà rendu compte... remarque-t-il en baissant les yeux vers ma poitrine.
— Dis donc, jeune homme ! C'est quoi ces manières ?
Je le rabroue en plaisantant, parce qu'en réalité, il me fait trop rire.
— Désolé, mauvaise habitude masculine, s'excuse-t-il en souriant. Mais, du coup, dois-je comprendre qu'il me faudra jouer l'amoureux transi quelque temps ?
— Pas le moins du monde. Je tenais juste à te prévenir, étant donné que tu vas sûrement croiser Antoine vendredi et qu'il a tendance à s'imaginer tout un tas de trucs tordus avec son esprit pervers.
— Ouf, ça me rassure, parce que je ne voudrais pas causer des problèmes entre Elias et toi.
— Aucun risque. Nous sommes au clair tous les deux.
— En es-tu bien certaine ?
— Oui, pourquoi ?
— Parce que tu es folle de lui, Ambre. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure.
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