Chapitre 42. Sainte Ambre
— Bonjour, Charles. Je peux vous déranger une minute, je vous prie ? dis-je en passant la tête par la porte entrebâillée de son bureau.
— Bien sûr. Qu'est-ce qu'il t'arrive ?
— À vrai dire, je m'inquiète un peu. Je termine la semaine prochaine et pour le moment, je n'ai pas encore rencontré celui ou celle qui me remplacera.
— Justement, je voulais t'en parler. Durant tes congés, j'ai reçu quelqu'un en entretien et cette personne vient d'accepter la proposition que je lui ai faite.
— Oh, c'est une bonne nouvelle. Et quand doit-elle commencer ? J'aurais le temps de l'informer sur tous mes dossiers en cours ?
— Elle prend son poste lundi prochain.
— Dans ce cas, je vais mettre de l'ordre et tout préparer pour la passation.
— Tu t'en sors avec ton projet de reconversion ?
— Oui, très bien merci. La formation était complète, néanmoins, j'ai encore pas mal de chemin à parcourir. Je suis dans la création de ma micro-entreprise et en recherche d'un local pour m'installer.
— Eh bien, je suis content de voir que tu avances bien. Non pas que j'en doutais, mais se lancer à son compte n'est pas de tout repos.
J'aimerais bien pouvoir lui confier qu'être enceinte par-dessus le marché ne rend pas la tâche plus aisée, mais je préfère m'abstenir pour le moment.
— Je vous le confirme. Merci, Charles. Je retourne à mes dossiers. Bonne journée.
— Merci, à toi aussi.
Je referme la porte et descends jusqu'à l'espace détente pour faire une pause.
— Salut, Ambre, m'interpelle Sofia en entrant dans la pièce, suivie de Victoire.
Une vraie paire de couilles, ces deux-là. Jamais l'une sans l'autre...
— Tu vas bien ? poursuit-elle.
Elle est sérieuse ? Elle s'imagine que je vais discuter avec elles deux après leur trahison ?
— C'est gentil de t'en soucier, mais vois-tu, je n'ai pas spécialement envie de tailler le bout de gras avec vous deux. Alors, bonne journée.
Je les plante là et quitte la pièce avec ma tasse.
— Non, attendez, Ambre, m'appelle Victoire.
Je pivote sur mes talons et braque mon regard sur elle. Je suis curieuse d'entendre ce qu'elle a à me raconter.
— Écoutez, je suis désolée pour tout le mal que je vous ai causé.
— C'est peut-être un peu tard pour avoir des remords, non ?
— Ce que j'ai fait est inexcusable et je ne n'espère pas que vous me pardonniez. J'ai fichu en l'air votre relation, en pensant qu'il m'aimait sincèrement, mais la vérité, c'est qu'Antoine est vraiment le pire des salauds.
Cette pauvre Victoire a fini par déchanter. Non pas que je la plaigne, faut pas déconner. J'ai presque pitié pour elle. Se faire rouler de la sorte doit être difficile à encaisser.
— Je n'ai pas l'intention d'oublier. Toutefois, je devrais presque te remercier, parce que, grâce à toi, j'ai enfin ouvert les yeux sur ce type et l'ai quitté sans regret. Si j'ai un conseil à te donner, méfie-toi des beaux parleurs dans son genre, ils ne t'apporteront que des ennuis.
— Merci, Ambre, dit-elle d'une petite voix, un sourire contrit aux lèvres.
N'étant pas une peau de vache – du moins je l'espère, je daigne lui sourire en retour avant de partir.
***
Libérée, délivrééééééééeeeeeeeeeeeeeeeee...
Il est près de dix-neuf heures quand je sors de chez le notaire, le sourire jusqu'aux oreilles. Je compose le numéro d'Elias pour lui annoncer la nouvelle tandis que je traverse la place Pey-Berland pour regagner la maison.
— Ouais, Maya. Je te manque déjà ?
— Terriblement... dis-je en prenant une voix de velours.
— J'adore quand tu me dis des trucs comme ça.
— Plus sérieusement, je ne te dérange pas ?
— Non, du tout. Je suis en train de boire un verre avec un confrère.
— Oh, Maître de Warren serait-il en chasse en vue d'une distraction nocturne ?
— Hum... possible. Mais souviens-toi : chacun son jardin secret. Alors ce n'est pas la peine d'essayer de me cuisiner. Je te vois venir avec tes gros sabots.
— Roh, je plaisante. Tu fais bien ce qui te chante, on n'est pas mariés. Bref, tout ça pour te dire que j'ai enfin signé chez le notaire avec Antoine.
— Ah quand même ! Presque six mois pour vous séparer définitivement, il était temps, me raille-t-il.
— Tu ne peux pas juste te réjouir pour moi, au lieu d'appuyer là où ça fait mal ? je m'offusque en déverrouillant l'entrée de mon immeuble et d'entamer la montée des marches.
— C'est vrai, tu as raison. Je suis sincèrement content pour toi, tu vas enfin pouvoir tirer un trait pour de bon sur cette histoire.
— Merci, c'est gentil.
— Tu es en train de courir un marathon ou quoi ? Tu es certaine que ça va ?
— Mais oui, ne t'en fais pas. Je suis simplement dans les escaliers. Arrête de penser que je vais mal dès que je suis légèrement essoufflée, s'il te plaît.
— Il est normal que je m'inquiète de ton état de santé, non ?
— Cesse de te tracasser sans arrêt, tu m'angoisses.
— À vos ordres, colonel Maya ! plaisante-t-il à l'autre bout du fil.
Arrivée au deuxième, j'aperçois Axel qui se tient le crâne, assis sur les marches menant au dernier étage.
— Je te rappelle, Elias. Une urgence, dis-je en raccrochant. Axel ? Qu'est-ce qui se passe ?
Il lève la tête vers moi. Ses yeux rougis n'augurent rien de bon. Je rêve ou il a pleuré ?
— Je suis dans la merde, Ambre.
— Comment ça ?
— Eliott s'est barré sans laisser d'adresse depuis plusieurs jours. Il est injoignable. On lui a envoyé des tonnes de messages avec Clem, mais il ne nous rappelle pas.
— Quoi ? Il est parti du jour au lendemain ?
— Ouais. On s'est encore embrouillés lundi et quand je suis rentré des cours, il avait pris toutes ses affaires. Il a laissé trois cents balles sur la table et un mot dans lequel il disait que finalement il en avait plein le cul de ses études et qu'il voulait voir du pays.
— Sympa le pote, je maugrée. Et Clément, il en pense quoi ?
— Clem, il est amoureux, dit-il d'un ton sarcastique. Il paie sa part du loyer, mais il n'a plus foutu les pieds ici depuis un mois. Il vit chez sa copine. Putain, je sais pas comment je vais faire, mon père va me tuer. En plus, c'est bientôt les partiels, j'ai encore rien branlé, je vais rater mon semestre, c'est sûr.
J'ai de la peine de le voir dans cet état, c'est si peu coutumier chez lui. Je ne peux clairement pas le laisser en galère.
— Viens avec moi. On va se préparer un truc à manger et on va trouver une solution.
Je meurs de faim, je suppose que lui aussi. Je fouille dans les placards en quête d'une idée de repas. Tanit nous rejoint dans la cuisine en miaulant et se frotte dans les jambes d'Axel.
— Tu peux lui donner à manger, s'il te plaît ?
— Je m'en occupe.
— Pâtes à la bolognaise, ça te va ?
— De la sauce bolognaise ? Le rêve. Je bouffe des coquillettes au beurre depuis trois jours, j'en peux plus.
La situation semble vraiment inquiétante, en effet.
— Axel, tu as des problèmes d'argent, c'est ça ? je lui demande en le fixant droit dans les yeux.
Il baisse le menton vers le sol, honteux.
— Pourquoi tu ne m'as rien dit ? Tu sais bien que je peux t'aider.
— Tu es gentille, mais je n'ai pas envie de t'être redevable.
— Tu plaisantes ou quoi ? C'est ton avenir qui est en jeu. Tu ne vas quand même pas prendre le risque de te retrouver à la rue avec des huissiers au cul, par fierté ?
Axel s'adosse au frigo en soupirant, la mine déconfite. J'y suis peut-être allée un peu fort. Je me doute qu'il n'a pas besoin d'une engueulade en plus de ses problèmes.
— Pardon, excuse-moi, je ne voulais pas te blesser. C'est juste que je m'inquiète pour toi, j'ajoute en lui frottant l'épaule pour le consoler. Bon, reprenons depuis le début. Le bail. Qui l'a signé ?
— Moi.
— Que toi ? Je croyais que vous étiez en colocation.
— Ouais, mais en fait on s'est dit que ça serait plus simple s'il n'y en avait qu'un seul qui apparaissait dessus. Du coup, c'est moi qui l'ai signé. Clem et Eliott me faisaient un virement chaque mois pour leur part et je payais la totalité.
— Hum, je vois. Un arrangement à la con, votre truc. Et vous êtes à jour ?
— Pour ce mois-ci, c'est tout réglé. Mais pour le prochain, je ne sais pas comment je vais faire.
— C'est un meublé ?
— Je crois bien, oui. Je n'ai plus le détail en tête de ce qui est noté dans le bail.
— Va le récupérer, qu'on y jette un œil.
Axel file jusque chez lui chercher le document et j'en profite pour consulter mon téléphone.
[Elias : Qu'est-ce qui se passe ? Rien de grave, j'espère ?]
[Ambre :Axel a des problèmes.]
[Elias : C'est-à-dire ?]
[Ambre : Une grosse galère avec ses colocataires, mais je vais lui trouver une solution.]
[Elias : Je n'en doute pas une seconde. Appelle-moi si besoin.]
[Ambre : Ne t'en fais pas, je gère.]
Axel revient avec son bail et je jette un œil aux différents articles. Logement meublé, un mois de préavis. Au moins, une bonne nouvelle.
— On va manger et ensuite on rédige la lettre de dédite pour ton propriétaire.
— OK, mais je vais faire quoi après ? Les résidences universitaires sont pleines et je ne suis pas sûr de retrouver un studio d'ici à ce que je doive déménager.
— Bah, c'est simple. Tu vas t'installer chez moi.
— Tu déconnes ? Je te rappelle que tu vas avoir un bébé dans quelques mois.
— J'ai deux pièces inoccupées. Une chambre pour le bébé et une pour toi.
— Tu es adorable, mais je ne peux pas accepter. Crois-moi, tu n'auras pas besoin d'avoir un étudiant dans les pattes quand mini-toi arrivera.
— Ne jamais contrarier une femme enceinte, jeune homme !
— Pardon, Maman, dit-il avec un sourire.
— Ah, j'aime mieux ça !
Nous préparons ensemble le dîner et après manger, nous nous attelons à la rédaction du courrier. Axel envoie un message à Clem pour l'informer qu'il va rendre l'appartement.
— Mes parents vont péter un câble, soupire-t-il.
— Mais non, tout va bien se passer.
— Ils ne sont pas aussi cool que les tiens, tu sais. Depuis qu'ils ont divorcé, ils font leur vie sans trop se soucier de moi. Ma mère est hôtesse de l'air sur les vols long-courriers. Elle n'est presque jamais en France. Mon père, c'est l'investisseur dans toute sa splendeur. Il ne pense qu'à faire fructifier ses comptes bancaires. Depuis qu'il s'est installé du côté de Lyon, je ne le vois que quelques fois dans l'année, ce qui est déjà bien suffisant. De toute façon, il n'est bon qu'à m'engueuler et me dicter ma conduite... Il me file mille balles par mois pour payer mon loyer et mes études, et pour le reste, je me débrouille seul.
Pauvre Axel. Je n'aurais jamais pensé qu'il ait une telle famille. Je comprends mieux pourquoi il est si discret à ce sujet. Je savais que ses parents n'étaient pas très présents dans sa vie, sans pour autant en connaître les raisons. En voyant sa mine triste, j'ai un besoin pressant de le consoler, de le protéger. Il a beau avoir la vingtaine, pour moi, c'est quand même un gamin. À croire que mon instinct maternel est déjà au taquet. Je le serre contre moi et il se met à pleurer en enroulant ses bras autour de ma taille, comme un petit avec son doudou.
— Ne t'inquiète pas, ça va s'arranger. Concentre-toi sur tes études, en priorité. Pour le reste, je m'en occupe.
— Ton bébé a une chance inouïe. Tu seras une maman formidable.
***
Le lendemain, au cours d'une pause café entre deux rendez-vous, je confie à Elias la décision que j'ai prise la veille.
— Tu es vraiment sûre de toi, Maya ?
— Certaine. Il est hors de question que je laisse Axel dans la galère. Et puis c'est l'affaire de quelques mois.
— Tout de même, ton père ne pourrait pas lui trouver un studio ?
— J'y ai bien pensé, mais pour le moment, il s'installe chez moi. Il a besoin de calme pour réviser et ce n'est pas en passant son temps à courir partout pour chercher un logement qu'il y parviendra.
— Et tu vas faire comment pour la chambre ? Tu te souviens que la pièce est vide, n'est-ce pas ?
— Bah, on va acheter des meubles, tiens. Il ne va pas dormir par terre !
— Évidemment, suis-je bête ? s'esclaffe Elias. Tu n'es pas croyable ! Pire qu'une sainte. J'espère au moins que tu as fixé des règles par écrit...
— C'est lui qui y a pensé, figure-toi. Tout est déjà arrangé entre nous et je n'ai aucun doute à avoir sur sa bonne foi.
— Hum, si tu le dis... me répond Elias, perplexe.
— J'ai l'impression que tu ne me fais pas confiance.
— Ce n'est pas ça. Seulement, tu es tellement gentille, tu ne vois le mal nulle part. OK, il est sympa ce gamin, mais j'espère juste qu'il ne te la mettra pas à l'envers, c'est tout.
— Écoute, depuis que je le connais, je n'ai jamais eu aucune raison de douter de lui. Il a les clés de chez moi, il s'est occupé de Tanit à chaque fois que je le lui ai demandé, il m'a aidé à déménager et il m'a toujours soutenu dans les moments difficiles. Et j'en ai vécu pas mal ces derniers mois...
Elias soupire longuement en courbant l'échine. Je redoute de l'avoir peiné en lui rappelant ces moments sombres de notre relation.
— Je sais que je n'ai pas été tendre avec toi, Ambre...
— N'en parlons plus, s'il te plaît. Nous avons chacun notre part de responsabilité. Nous avons pris une décision, alors oublions les disputes et avançons ensemble.
Elias m'attire dans ses bras et je me blottis volontiers contre lui. Je ferme les yeux et inspire une grosse bouffée d'air chargé de son parfum tandis qu'il me caresse les cheveux. Je profite de cet instant de douceur en songeant à la chance que j'ai d'avoir cet homme dans ma vie.
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