Chapitre 40. Relation particulière
(lundi 16 octobre 2023)
Ce week-end entre amies m'a été salutaire sur bien des points. Le bulldozer Saskia a retourné toutes mes craintes et grâce à elle, j'appréhende la situation plus sereinement. Bien que nous n'ayons pas le même point de vue sur la question de la maternité, je sais que je pourrais compter sur son soutien inconditionnel.
Il y aura des moments difficiles, c'est certain. Or, je me dois d'être forte et d'avancer, maintenant que j'ai pris ma décision. J'aurais ce bébé, quoi qu'en pense Elias. Et je l'assumerai seule.
Sans nouvelle suite à notre dispute, je n'ai pas l'intention de lui courir après, bien que je sois profondément triste à l'idée de le perdre. À coup sûr, mon choix sonnera le glas de notre relation. Je ne peux toutefois pas me résoudre à renoncer à cet enfant, au motif que son géniteur n'en veut pas.
Je sais que son emploi du temps est bien rempli cette semaine entre ses déplacements et ses audiences au tribunal. J'aurais aimé pouvoir l'informer de ma décision de vive voix, mais cela devra attendre.
J'arrive tôt au cabinet et me mets au travail rapidement. Je profite d'être tranquille pour passer un coup de fil à ma gynécologue. Nous fixons un nouveau rendez-vous pour le mercredi vingt-cinq octobre et elle me rappelle qu'il est impératif de déclarer ma grossesse pour la prise en charge de mes frais médicaux. Je m'empresse donc de faire le nécessaire auprès des administrations concernées.
Dans l'après-midi, je reçois sur ma boîte mail une convocation du notaire pour le trois novembre concernant le rachat de ma part du loft par Antoine. J'attrape mon agenda et... mince ! En plein pendant ma formation. Je ne pourrais pas m'y rendre. J'envoie aussitôt une réponse pour savoir s'il est possible de le reporter.
Je me replonge dans mon dossier en cours avec l'envie de m'arracher les cheveux. Changer de boulot est probablement l'une des meilleures décisions que j'ai prises, bien que le timing soit devenu un peu foireux au vu de la récente découverte. Je n'en reste pas moins heureuse à l'idée de ne bientôt plus avoir à supporter les clients pénibles et leurs exigences.
— Tu peux m'expliquer pourquoi tu as demandé le report du rendez-vous chez le notaire ? s'insurge Antoine en entrant dans mon bureau sans frapper.
— Je ne suis pas disponible ce jour-là, je lui réponds sur la défensive.
— Bah fais en sorte de l'être !
Oh bordel, qu'il m'énerve !
— Je ne serai pas sur Bordeaux. Impossible donc !
— Tu m'emmerdes, Ambre ! Tout ça pour me faire payer un moment d'égarement. Tu n'es vraiment qu'une garce.
— T'appelles ça un moment d'égarement ? Pauvre con !
— Fais attention à ce que tu dis, je peux encore changer d'avis... me menace-t-il avec un sourire arrogant.
— Eh bah, vas-y ! Si tu t'imagines qu'en me mettant la pression, je reviendrai vers toi, sache que tu peux toujours rêver ! Il serait temps que tu sortes du déni. Dès que je quitterai le cabinet, je serai enfin débarrassée de toi et je m'en réjouis ! je lui ricane au nez.
Antoine me fixe en grognant, puis il disparaît de la pièce en claquant la porte. Je soupire et bascule contre le dossier de mon fauteuil. Comment ai-je pu rester sept ans avec ce mec ? Encore heureux que je n'aie pas pris part à l'enrichissement de son arbre généalogique...
***
C'est le grand jour. J'ai rendez-vous avec la gynécologue à dix-sept heures et je suis impatiente à l'idée de pouvoir, je l'espère, entendre le cœur de mon bébé. J'ai beaucoup réfléchi ces derniers jours, pleuré aussi. Elias ne quitte jamais mes pensées.
Je l'ai croisé plusieurs fois au bureau, sans jamais trouver le courage d'aller vers lui. En même temps, est-ce vraiment à moi de le faire ? C'est lui qui m'a rejeté le fardeau de la décision sur les épaules. Il a choisi de me laisser seule face à cette responsabilité, alors pourquoi devrais-je faire le premier pas ? Je lui en veux terriblement, mais plus encore, il me manque.
Malgré cela, je dors mieux, maintenant que je sais où je vais dans ma vie. J'ai assimilé l'idée d'être enceinte et mon corps a commencé à changer. Mon ventre plat s'est légèrement arrondi, ma poitrine désormais généreuse menace de faire sauter les boutons de mes chemisiers. Heureusement, à cette saison, j'arrive à cacher mes formes sous mes vêtements.
— Salut, Ambre. Tu es rayonnante aujourd'hui, me complimente Sofia.
Faux-cul !
— Oh, merci. Je suis désolée, je ne m'attarde pas, j'ai plein de boulot, je lui réponds précipitamment pour éviter la discussion.
Je gravis les escaliers et tombe nez à nez avec Elias au bout du couloir à l'étage. Nous nous observons en silence quelques secondes sans sourciller. Ni l'un ni l'autre n'étant capable d'engager la conversation, je décide de poursuivre ma route.
— Attends, dit-il en m'agrippant le poignet. J'ai besoin de te parler.
— Pas ici.
Nous gagnons mon bureau en quelques pas et Elias verrouille la serrure derrière nous. Je dépose mon sac près de mon siège, quitte ma veste et mes escarpins pour me mettre plus à l'aise. Je m'assieds sur le bord du bureau, les bras croisés sur ma poitrine, les mirettes braquées sur Elias. Il s'approche de moi et déglutit en desserrant son nœud de cravate.
— Je suis désolé, Ambre. Pour ma réaction de l'autre soir. Sur le moment, je n'ai pensé qu'à moi. Cette annonce m'a complètement secoué, j'étais en colère. Je n'ai pas réalisé que pour toi aussi, la situation est difficile.
Alléluia ! Il semble qu'il ait pas mal cogité de son côté.
— Tu m'as blessée comme jamais, Elias. À t'écouter, j'étais la seule responsable.
— Pardonne-moi, dit-il en s'approchant encore davantage. Je suis tout autant responsable de ce qui nous arrive. Je n'arrête pas d'y penser.
Il saisit mes mains entre les siennes, je plonge dans son regard. J'ai conscience qu'en lui avouant les choses, je le perdrai. Il préférerait sûrement que j'avorte. Je ne peux pas lui cacher la vérité plus longtemps. J'inspire profondément pour me donner du courage.
— Comme tu me l'as demandé, j'ai pris une décision.
Il se fige et retient son souffle.
— Je vais garder ce bébé, Elias. Je sais que tu ne veux pas d'enfant, aussi, je n'exigerai rien de toi. Tu n'auras aucune obligation envers lui et moi. Il est arrivé là par surprise et je l'assumerai seule.
Ma voix se brise. Je soupire en détournant le regard, les yeux remplis de larmes. J'ai trouvé le courage de lui avouer les choses et j'en suis ébranlée. Ce choix nous éloignera irrémédiablement l'un de l'autre. D'un coup, je me sens fébrile, j'ai besoin d'air. Je m'écarte de lui pour ouvrir la fenêtre.
— Non, reste là, murmure-t-il en m'attirant contre lui.
Il plaque ma tête contre son torse et les battements rapides de son cœur me parviennent. Nul doute que ma décision l'a secoué. Je profite une dernière fois de ses bras, de sa chaleur, de son odeur. J'aimerais pouvoir demeurer des heures durant, nichée contre lui. Je pleure en silence, n'osant pas formuler le moindre mot qui mettrait fin à ce moment de douceur. Je veux pouvoir le graver dans ma mémoire.
— Je serai là. Pour vous deux.
Je lève brusquement les yeux vers lui. Il me sourit avec tendresse.
— Elias, ne te sens pas obligé...
Il pose un doigt sur ma bouche pour m'intimer de me taire.
— Ce bébé, on l'a fait ensemble, on l'assumera ensemble.
Juste ciel ! Il vient vraiment de me confier qu'il est prêt à s'engager dans la paternité ? Mon cœur s'affole. Le poids qui pesait si lourd sur mes épaules se dissipe aussitôt pour laisser place à une sensation de légèreté. Mes jambes se dérobent, Elias me maintient contre lui.
— Quelque chose ne va pas ? s'inquiète-t-il.
— Non, au contraire. Je suis... soulagée. J'avais peur de te perdre, Elias. Peur que tu ne veuilles plus entendre parler de moi, peur que tu nous rejettes.
— J'ai envisagé des tas de scénarios ces dix derniers jours et il faut que tu saches que je ne serai pas le père idéal pour cet enfant, mais je ne peux me résoudre à l'écarter de ma vie. Je refuse qu'il souffre de mon absence.
Ses mots me bouleversent et font écho à sa propre souffrance. Celle du petit garçon rejeté par sa mère et forcé de grandir sans son amour. Je me dresse sur la pointe des pieds et saisis son visage entre mes mains.
— Tu seras un père formidable, Elias. Fais-moi confiance. Ça ne sera pas facile tous les jours, mais on y arrivera. Ensemble.
Il m'embrasse sur le front, puis me serre à nouveau contre lui. J'enfouis mon nez dans son cou et respire doucement, les yeux fermés, l'esprit apaisé, jusqu'à ce que son téléphone se mette à sonner.
— Tu devrais décrocher, c'est peut-être important.
Il jette un œil à son portable et le laisse tomber sur le bureau.
— Je rappellerai plus tard.
— Tu es sûr ?
— Certain. Aujourd'hui, rien n'est plus important que la décision que nous venons de prendre, ajoute-t-il en déposant un baiser sur le sommet de mon crâne. Je t'ai déjà dit que j'adore l'odeur de tes cheveux, Maya ?
— Hum, non. Je crois bien que c'est la première fois.
— C'est une de tes recettes maison ?
— Exactement. Shampoing au miel et à la rose.
Elias passe ses doigts dans mes cheveux et commence à me masser le crâne.
— Je te déconseille de faire ça...
— Bah pourquoi ? Tu n'aimes pas ?
— Oh si, bien au contraire. Et si tu continues, je vais très probablement m'endormir, ce qui risque de nuire à mon activité professionnelle.
Il jette un œil à sa montre et pousse un long soupir.
— Pff, je vais devoir te laisser, mon client ne devrait plus tarder.
— Allez, au boulot, Maître ! Au fait, tu es pris à dix-sept heures aujourd'hui ?
— Oui, j'ai un rendez-vous, pourquoi ?
— Je retourne chez la gynécologue.
— Je vais me libérer.
— Tu es sûr ? Sinon, je te ferai un rapport détaillé. Je ne veux surtout pas te brusqu...
— Je serai là, me coupe-t-il. Ne t'en fais pas.
— Merci. Et euh... concernant la situation, je pense qu'on devrait rester discrets, non ?
— Je le pense aussi, enfin du moins tant que c'est possible. À un moment, ça deviendra difficile à cacher, pouffe-t-il en ouvrant la porte. À tout à l'heure, Maya.
Je m'assieds dans mon fauteuil en riant, portée par une sensation de bien-être qui se diffuse dans tout mon corps. Je vais pouvoir avancer dans ma grossesse avec sagesse et placidité, rassurée à l'idée qu'Elias sera à mes côtés.
***
Assis près de moi, Elias a les yeux rivés sur l'écran de l'échographe.
— On distingue parfaitement chacun de ses membres, le rassure la gynécologue. Le compte y est. Deux bras, deux jambes. Et il est plutôt actif, vous voyez comme il remue ?
Ça, pour remuer, il remue d'après les images. À croire qu'il est en plein pogo dans mon ventre.
— Je ne sens rien pourtant, c'est curieux.
— À ce stade, c'est normal, il est encore petit. À peine plus gros qu'une tomate.
Je croise le regard d'Elias et nous nous sourions avec complicité. Quinze jours plus tôt, je ne nous aurais jamais imaginé tous les deux ici, à contempler notre progéniture.
La gynécologue réalise une manipulation sur son appareil et repose la sonde sur mon ventre. Et soudain, nous entendons des battements cardiaques. Bien distincts, rapides. Le cœur de notre bébé qui ne cesse de gigoter à l'écran, comme s'il se doutait que nous l'observons. J'en reste sans voix et ne peux contenir mes larmes plus longtemps. Elias s'empare de ma main et la porte à ses lèvres.
— C'est son cœur à lui ? s'étrangle-t-il.
Il semble autant sous le coup de l'émotion que moi.
— Oui.
— C'est normal qu'il batte si vite ? s'inquiète-t-il en fronçant les sourcils.
— Le rythme cardiaque d'un fœtus est en moyenne de cent-cinquante battements par minute. Tout est donc normal, votre bébé se développe bien. Pas trop fatiguée, madame Jaeger ?
— Si, encore un peu. Bien que cela aille mieux depuis quelque temps.
— Les variations hormonales du premier trimestre sont souvent épuisantes. Les choses vont se stabiliser, vous devriez très bientôt retrouver la forme.
— Tant mieux, parce que les mois à venir ne vont pas être de tout repos, je plaisante en songeant à ma reconversion professionnelle.
Nous quittons le cabinet quelques minutes plus tard, le cœur léger. Nous avons fait connaissance avec notre bébé et nous n'arrêtons pas d'échanger des sourires béats en marchant l'un près de l'autre dans la rue. Perchés sur un petit nuage, nous nous installons en terrasse couverte d'une brasserie pour prendre un verre.
— Je n'en reviens pas. On va être parents, Maya !
— J'ai encore un peu de mal à y croire moi aussi.
— Tu penses que ce sera une fille ou un garçon ?
— Aucune idée. Je n'y avais pas trop songé jusque-là, j'ai tellement de trucs en tête ces temps-ci. La semaine prochaine, je pars à Forcalquier pour ma formation.
— Tu es sûre que tu veux continuer ton projet de création d'entreprise maintenant ?
Je me redresse sur mon siège et lève haut les sourcils, quelque peu surprise par cette question.
— Comment ça ?
— Disons que les choses ont un peu changé depuis que tu as décidé de te lancer dans ce projet... hésite-t-il. Tu sais comme moi que cela va te prendre du temps et de l'énergie.
— Stop ! Je t'arrête tout de suite ! Je suis enceinte, pas malade. Alors oui, les choses ont évolué depuis, mais je ne vais pas tout mettre en pause parce que j'attends un bébé. Dans un mois, je n'aurais plus de boulot et je ne compte pas rester à buller sur mon canapé. Surtout avec une bouche à nourrir et des responsabilités en plus, dis-je en pointant l'index sur mon ventre.
— Doucement, calme-toi. Je ne voulais pas te contrarier, me répond-il en levant les mains pour s'excuser. Seulement, je serais là pour l'assumer moi aussi et je te signale que préparer l'arrivée d'un bébé requiert une certaine logistique.
— Oui, je suis au courant, merci. D'ailleurs, vu la situation, il va falloir qu'on s'organise.
— Comment ça ?
Je soupire de lassitude et me laisse retomber contre le dossier du siège.
— Elias, tu te rends compte de ce qui se passe, n'est-ce pas ?
— Oui, nous allons avoir un enfant. Et ?
— Il n'y a rien qui te choque ? As-tu seulement conscience que la relation qui nous lie est un peu particulière ? j'ajoute en mimant des guillemets avec mes doigts.
— C'est le moins que l'on puisse dire en effet. Deux amis qui dérapent une fois et se retrouvent à attendre un bébé, c'est pour le moins... original, commente-t-il avec détachement.
— On ne va pas s'installer en colocation.
— Et pourquoi pas ? C'est bien assez grand pour trois chez moi. Enfin trois et demi avec Tanit.
— Hors de question que j'emménage dans ta garçonnière ! Je n'ai pas envie de croiser tes conquêtes en pleine nuit entre deux biberons ! Ce serait particulièrement malaisant, il me semble.
— Oui, c'est vrai. Cela dit, je ne les ramène pas toujours chez moi, tu sais...
— Épargne-moi le récit de tes frasques nocturnes, je te prie. On parle sérieux là, Elias !
— Mais je suis sérieux, plaisante-t-il avec un sourire coquin qui sous-entend tout le contraire.
Je m'attarde quelques secondes sur ses lèvres tentatrices et... Stop Ambre ! Ne déconne pas !
— Tu m'énerves, on ne peut pas discuter cinq minutes sans que ça dévie, je me renfrogne, sourcils froncés et bras croisés sur ma poitrine.
— Dis celle qui boude comme une petite fille à la moindre contrariété...
— Bon, ce n'est pas la peine de poursuivre cette conversation aujourd'hui, on n'y arrivera pas !
— Arrête de couiner, Maya, dit-il avec légèreté en m'attirant contre lui. On n'est pas bien là ? À se chamailler comme des ados en sirotant du jus de chaussette ? Tu es d'accord avec moi, ce café est tout bonnement dégueulasse, non ?
Comme souvent, il hume mes cheveux et embrasse mon crâne. Je ne saurais dire pourquoi, mais j'adore quand il fait ça. Une fois de plus, sa désinvolture fait mouche et j'éclate de rire dans ses bras.
— Eh bah voilà, c'est mieux. Ne t'inquiète pas, on s'en sortira comme des chefs.
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