
Chapitre 35. Radio Barlo, j'écoute !
Ambre
(vendredi 18 août 2023)
Les jours passent et, à défaut d'avoir trouvé une solution, j'attends toujours qu'un miracle tombe du ciel. Ce que je redoutais est arrivé. Mes interactions avec Elias sont au point mort. Nous ne nous adressons la parole qu'au cabinet, parce qu'il le faut, mais sinon, c'est silence radio. Je souffre beaucoup de cette situation et mon sommeil en pâtit. J'ai beau faire du yoga, prendre de la mélatonine, manger sainement et boire des litres de pisse-mémé censés m'apaiser, Morphée me snobe. Je ne dors plus.
Par contre, je pleure énormément. Une vraie pisseuse. Le soir, dans l'intimité de mon appartement, en pyjama dans mon canapé avec un bol de bouillon, à regarder en boucle les épisodes de Faites entrer l'accusé. Une routine, ô combien désespérante, qui me laisse penser que je finirai comme la vieille de l'immeuble d'en face, célibataire sans descendance, à épier tout ce qui se passe derrière mes rideaux, jusqu'au jour où l'on retrouvera ma dépouille, gisant au beau milieu de mes animaux de compagnie taxidermisés. Morte des suites d'une overdose d'antidépresseurs et de tisane « bien-être ». Quelle triste fin !
Je me sens plus esseulée que jamais. Axel est parti en vacances avec ses potes du côté de Saint-Jean-de-Luz pour surfer. Sa bonhomie me manque. Et aussi sa manière de se moquer de moi en m'appelant Maman dès que je le rabroue. J'ai renoncé à téléphoner à Saskia pour lui raconter mes malheurs. Elle croule sous le boulot et je n'ai pas vraiment envie de l'ennuyer une fois de plus avec mes problèmes ni de l'écouter me servir son discours sur les bienfaits du célibat et des coucheries sans lendemain. Elle a plutôt tendance à envisager les choses comme Elias, néanmoins, en ce qui me concerne, ce n'est pas parce que j'ai perdu presque huit de mes plus belles années avec ce con d'Antoine que je suis prête à tourner le dos à l'amour. Je veux croire que je peux encore plaire et que je rencontrerai un homme avec lequel partager ma vie.
Ma quête de la paix intérieure est donc un fiasco total. Je suis constamment sur les nerfs, désagréable au possible. Je ne me reconnais pas. Tous mes collaborateurs ramassent, excepté Charles, car dans mon malheur, j'arrive à faire preuve d'un chouia de discernement. Le fait que la nouvelle de ma séparation soit parvenue aux oreilles de Sofia n'y est pas pour rien. Ça y est, je me suis hissée en première place du top trois de « Radio Barlo ». Et l'attitude d'Antoine n'arrange en rien les choses. Il passe son temps à me houspiller, encore plus depuis que j'ai eu l'affront de missionner un huissier de justice au cabinet pour lui signifier mon intention de dissoudre notre PACS, il y a deux jours. Il était fumant de rage. S'il avait accepté une démarche conjointe comme je lui avais proposé au départ, tout aurait été beaucoup plus simple et il se serait épargné une humiliation en public. Rien n'a échappé aux yeux de Victoire qui a dû mouiller sa culotte de joie en apprenant que son cher Antoine serait officiellement célibataire dans les jours à venir. Nul doute qu'elle saura lui remettre le grappin dessus pour le consoler.
En ce vendredi matin, je reviens des archives avec une tonne de dossiers sous le bras quand je suis interpellée par Sofia au beau milieu du couloir.
— Ambre, il y a quelqu'un pour toi dans le hall, clame-t-elle comme si j'étais sourde.
– Impossible. Je n'ai pas de rendez-vous et je n'attends personne.
— Pourtant cette personne te réclame.
Pff ! Qui peut bien venir m'emmerder encore aujourd'hui ?
— Dis-lui que j'arrive dans quelques minutes, s'il te plaît.
— Entendu.
Je dépose les dossiers sur un coin de mon bureau et descends au rez-de-chaussée en rouméguant. Une fois dans le hall, j'aperçois Axel qui trottine vers moi. Immédiatement, mon moral remonte. Il a pris des couleurs pendant son séjour, si bien que son teint hâlé fait ressortir ses yeux bleu océan et ses dents blanches. Ses cheveux longs et bouclés sont dorés comme les blés, je suis presque jalouse. Les miens ne sont pas aussi beaux.
— Salut toi ! Je ne te dérange pas ?
— Pas le moins du monde, mais qu'est-ce qui t'amène ici ? Je pensais que tu ne rentrerais que dans le week-end.
— Non, c'était prévu comme ça depuis le départ. Et puis, j'étais dans le coin, j'en ai profité pour passer te faire coucou.
Je sens le regard de Sofia sur nous. Cette fouine doit être en train de s'imaginer Dieu sait quoi encore.
— Tu ne nous présentes pas ? m'apostrophe-t-elle.
Axel et moi, nous pivotons dans sa direction et elle lui adresse un rictus carnassier de croqueuse d'hommes qui ne laisse aucun doute quant à ses intentions.
— Sofia, je te présente Axel, mon voisin. Axel, voici Sofia, notre secrétaire administrative.
— Bonjour, madame, lui dit-il avec un sourire poli.
— Enchantée, Axel.
Sofia plisse ses yeux de fouine. Je n'aime pas trop sa façon de nous dévisager. Je devine sans peine que ça carbure sec dans sa tête. Elle est probablement déjà en train de se faire des scénarios alambiqués qui seront à l'origine des prochains ragots à mon sujet.
— Ça te tente, un petit kawa dans mon bureau ? je propose à Axel.
— Volontiers.
Nous faisons étape à l'espace détente où je récupère deux cafés. J'en profite pour lui faire découvrir brièvement les locaux.
— Bonjour, Ambre, me salue Charles dans le couloir. Jeune homme, ajoute-t-il à l'attention de mon visiteur avec un sourire chaleureux.
— Bonjour, Charles. Je vous présente Axel, mon voisin et étudiant en droit. Figurez-vous qu'il se destine à une carrière d'avocat. Axel, voici Maître Charles Barlowski, mon patron.
Soudain très nerveux, il déglutit et se dandine à mes côtés. Charles lui tend une main qu'il s'empresse de serrer comme s'il avait affaire à une célébrité.
— Ravi de vous rencontrer, Axel.
— Moi aussi, bredouille-t-il. Vos locaux sont splendides.
Son brusque élan de timidité vis-à-vis de Charles me ramène quelques années en arrière.
— Merci. Où en êtes-vous dans votre cursus ?
— Je débute ma deuxième année de master en septembre.
— Oh, bientôt l'école d'avocats, donc ?
— Je l'espère, oui.
— Je vous souhaite bonne chance pour la suite de vos études. N'hésitez pas à nous faire parvenir votre CV si vous recherchez un stage.
Le visage d'Axel s'éclaire et se fend d'un large sourire.
— Je n'y manquerai pas. Merci, Maître.
Charles poursuit sa route et Axel se retourne vers moi.
— Ton bureau est encore loin ? me chuchote-t-il.
— Juste derrière toi, pourquoi ?
— Parce que je vais faire un malaise, je crois.
— À ce point-là ? Je ne te pensais pas si émotif.
Je glousse et lui tends nos cafés pour ouvrir la porte.
— Je peux te les confier deux minutes sans que tu les échappes ?
— Oh, bah quand même !
— Je préfère te demander, tu sembles si perturbé. Tu as des étoiles plein les yeux.
— Dis donc ! T'as fini de te moquer de moi ?
— C'est gentillet, je t'assure. C'est parce que je suis contente de te voir.
— Moi aussi.
Je l'invite à s'installer dans le siège juste derrière nous et je m'assieds sur le bord de mon bureau.
— Alors ces vacances ? Bien passées ?
— Au top ! Les vagues étaient super, on s'est éclatés. On était de bringue presque tous les soirs. C'était chouette.
— Ah oui ? Tu as fait des rencontres intéressantes ?
— On peut dire ça ainsi...
Il laisse volontairement planer le doute, attisant ma curiosité.
— Allez, raconte-moi tout.
— Oh rien de bien sérieux, tu sais.
— Sûr ?
— Juste de l'amusement, le temps des vacances. Cette année, je joue gros. J'ai mon master à finir et je compte bien enchaîner avec le concours d'entrée du CRFPA à l'automne deux-mil-vingt-quatre.
— Une année chargée en perspective. Je suis persuadée que tu vas t'en sortir haut la main. Et puis tu sais que si tu as besoin d'un coup de main, tu peux me demander.
— Merci, c'est cool, mais je ne veux pas t'embêter.
— Je ne te le proposerais pas si c'était le cas. Il faut bien aider nos petits jeunes, j'ajoute d'un ton moqueur.
— C'est vrai que tu es vieille toi. Bientôt la retraite, c'est ça ?
Je ne l'ai pas volée celle-ci ! Un point pour Axel.
Je lui tire la langue comme une gosse et nous éclatons de rire tous les deux. Je me détends un peu en sa compagnie, oubliant le temps d'une pause, mes soucis relationnels. Du moins jusqu'à ce que la porte s'ouvre à la volée sur Antoine.
— Décidément, vous ne vous quittez plus tous les deux. Il vient même te voir au bureau, maintenant ! De mieux en mieux ! lâche-t-il rageusement.
— Je ne t'ai pas autorisé à entrer. Si tu veux que l'on parle d'un dossier, repasse plus tard, je lui réponds calmement.
— Hors de question. Tu oublies que je suis un associé de ce cabinet. Je n'ai pas d'ordre à recevoir de ta part.
C'est une blague ? Il croit vraiment m'intimider ? Je pose ma tasse de café sur le bureau en avalant une grosse bouffée d'oxygène et me redresse pour m'avancer vers lui. Axel se lève aussi et vient se poster derrière moi, comme s'il pressentait que la situation pourrait dégénérer.
— Pardon ? je questionne calmement Antoine.
— Ne joue pas à celle qui n'a rien compris. Tu cherches à me rendre dingue, c'est ça ? crache-t-il avec dédain.
Je ne sais pas ce qu'il a en tête, mais là, c'en est trop pour moi. Je monte instamment dans les tours. Le moment est venu de vider mon sac une bonne fois pour toutes. Et il ne va pas être déçu du voyage. Je m'avance un peu plus vers lui et pointe mon index sur son torse. Mon rythme cardiaque augmente, le sang pulse dans mes veines. Pour autant, j'arrive encore à me contenir, néanmoins, je ne sais pour combien de temps. Régler mes comptes avec lui au travail n'était pas vraiment dans mes plans, mais j'en ai plus que marre de son comportement et de ses réflexions.
— Tu souhaites toujours connaître la raison pour laquelle je t'ai quitté, Antoine ? dis-je en étirant les lèvres en un rictus.
— Il me semble que j'ai le droit à une explication, en effet, rétorque-t-il avec sarcasme.
— J'ai découvert ton petit secret. Vois-tu où je veux en venir ?
— Absolument pas.
Il ose me mentir en me regardant droit dans les yeux. Quelle raclure, ce type ! Le secret en personne traverse justement le couloir en jetant un œil par l'embrasure de la porte. M'est d'avis qu'elle ne passe pas là par hasard. La curiosité est un vilain défaut...
— Victoire, tu peux te joindre à nous, s'il te plaît ? je l'interpelle d'un ton à la fois mielleux et menaçant.
Antoine me fixe, médusé. Victoire entre dans mon bureau et se poste à ses côtés.
— Et là, tu ne vois toujours pas, je présume ?
Antoine blêmit, tandis que Victoire pique un fard. Il ne lui aura pas fallu longtemps pour réaliser qu'elle venait de se tirer une balle dans le pied.
— Et bah voilà, on y est. Vous êtes vraiment bien assortis... je commente d'un ton sarcastique. Vous pensiez peut-être que je ne me rendrais compte de rien ?
— Je... je crois que je vais y aller, bredouille Victoire.
— Sûrement pas !
Je les contourne et claque la porte avec tant de force que la cloison tremble. Axel s'appuie sur le rebord de mon bureau, là où j'étais quelques minutes plus tôt, et observe, impassible, la scène qui se joue sous ses yeux.
— Ambre, laisse-moi t'expliquer, commence Antoine, d'une voix doucereuse.
— M'expliquer quoi ? Que tu as préféré aller voir ailleurs plutôt qu'essayer de résoudre nos problèmes ? Que tu m'as trompée avec cette traînée avant même qu'elle foute les pieds dans ce cabinet ?
— Arrête tout de suite, tu racontes n'importe quoi.
— Moi, je raconte n'importe quoi ? Je l'ai entendue confier à Sofia qu'elle est amoureuse de toi depuis l'année dernière. J'ai donc mené ma petite enquête. Et l'avantage avec les jeunes écervelées, c'est qu'on peut trouver plein d'informations sur elles via les réseaux sociaux. Je te pensais plus intelligente que ça, Victoire.
— Je vous assure que ce n'est pas ce que vous croyez... larmoie-t-elle.
— Tu la boucles !
Antoine s'avance vers moi, d'un air menaçant. Espère-t-il vraiment me faire peur ?
— Ambre, ça suffit maintenant. Tu divagues complet, siffle-t-il entre ses dents.
— Je vous ai vus ensemble, putain ! Je t'ai vu fourrer ta langue dans sa bouche dans cette boîte de nuit ! Je t'ai vu partir avec elle dans la rue après que tu m'aies envoyé un SMS de merde en prétextant que tu avais un rendez-vous d'affaires ! J'ai senti son parfum partout sur tes fringues ! Alors, arrête de me prendre pour une conne ! je hurle à présent en gesticulant comme une furie.
Et là, au lieu de faire son mea culpa, Antoine explose à son tour.
— Tu étais devenue distante avec moi, on ne partageait plus rien ! Tu ne voulais plus que je te touche, tu n'as même jamais vraiment envisagé qu'on ait un enfant alors que je ne rêvais que de ça !
— Mytho, tu ne penses à rien d'autre qu'à ta gueule ! Alors, élever un gosse... Quel modèle il aurait eu, hein ? Tu me traitais comme de la merde ! Ah, ça, pour m'humilier en public, tu as toujours été bon !
— N'importe quoi, tu délires, ma pauvre ! Je ne t'ai jamais manqué de respect !
— Tu vois, c'est ça ton putain de problème ! Tu n'es qu'un connard arrogant, méprisant et incapable de te remettre en question ! Pendant des années, j'ai tout accepté, je t'ai tout pardonné ! Absolument tout ! Tout le monde m'a alertée, mais moi je t'aimais...
Après avoir hurlé comme une furie, ma voix se brise et une violente douleur me déchire la poitrine. La vérité est dure à admettre. J'ai tellement souffert à cause de lui.
— Qui ça, tout le monde ? Ta grand-mère qui n'a jamais pu me blairer ou ta soi-disant meilleure amie mi-pute mi-alcoolique ? me rit-il au nez.
Alors là, trop, c'est trop !
— Je t'interdis de parler comme ça de mes proches ! je vocifère en lui collant une énorme baffe.
Surpris par mon geste, il recule légèrement, les yeux écarquillés, et porte une main à sa joue, sur laquelle le contour de mes doigts ne tarde pas à apparaître. Il continue néanmoins de me cracher son fiel au visage pour me blesser.
— J'en parle comme je veux ! Tu crois peut-être que je ne me doutais pas de ce qu'ils racontaient tous derrière mon dos ? À moins que ça ne soit l'autre con qui t'ait bourré le mou ? Depuis des années qu'il te tourne autour !
L'évocation d'Elias renforce encore davantage la profonde rage qui me secoue. Je contracte la mâchoire si fort que j'ai peur de me péter les dents. Mon sang pulse jusque dans mes tempes, mon rythme cardiaque flirte avec la ligne rouge.
— Tu n'as jamais supporté que nous soyons amis tous les deux ! T'es pathétique, mon pauvre Antoine !
— C'est toi qui es pathétique ! Mais, je te préviens, on n'en restera pas là toi et moi !
La porte s'ouvre sur Charles, qui arbore une expression sévère. Je l'ai rarement vu ainsi.
— Ça suffit, maintenant ! Non, mais vous vous rendez compte de la situation ? Tout le cabinet vous entend vous écharper ! Vos problèmes de couple n'ont en aucun cas à impacter votre travail. Notre sérieux est la clé de notre réussite commune et de la renommée de ce cabinet. Alors, réglez vos soucis personnels ailleurs qu'ici ! Suis-je bien clair ? tempête-t-il en nous fusillant du regard.
Honteuse, je secoue la tête de bas en haut pour acquiescer. Antoine expire bruyamment, visiblement vexé d'avoir été réprimandé de la sorte et quitte le bureau en trombe. Charles toise Victoire quelques secondes avec froideur, sans formuler le moindre mot. Cette dernière s'effondre en larmes et s'enfuit de la pièce en toute hâte.
— Pardon, Charles. Je suis désolée. Je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai perdu les pédales, je m'excuse auprès de mon patron, la lèvre tremblante.
Il soupire longuement et me fixe quelques instants, une expression énigmatique sur le visage, puis sort à son tour. Je suis à la fois soulagée d'avoir dit ses quatre vérités à Antoine et au plus mal. Charles est profondément déçu, j'en suis convaincue. Je l'avais assuré que rien de tout cela ne se produirait, qu'Antoine et moi nous comporterions comme des adultes responsables. Au lieu de quoi, nous avons réglé nos comptes comme des gosses dans une cour de récréation.
Axel s'approche de moi et m'attire contre lui pour me réconforter. Je pleure de longues minutes pour évacuer toute ma colère, secouée par des spasmes incontrôlables. C'est comme si tout le stress accumulé ces dernières semaines venait de disparaître d'un coup.
— Doucement, c'est fini. Calme-toi.
— J'ai tellement honte, si tu savais. Je n'aurais jamais dû m'emporter de la sorte. Je ne vais pas pouvoir continuer à bosser ici, c'est trop dur, dis-je en reniflant.
— Mais non. Ne dis pas ça, tu es encore sous le coup des émotions. Ce soir, c'est le week-end. Tu vas rester tranquille chez toi avec Tanit et te reposer. Si tu es sage, je te ferai des crêpes.
Je lève mes yeux pleins d'espoir vers Axel.
— Avec de la confiture de framboise ?
Son visage se fend d'un large sourire.
— Plein de confiture de framboise, de la glace et même de la chantilly.
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