Chapitre 26. Amnésie, bonjour !
La sonnette retentit à plusieurs reprises dans l'appartement. J'ai du mal à relancer mon activité cérébrale. J'émerge de sous la couette, me demandant qui peut bien venir m'emmerder un dimanche matin. Qui que soit cette personne, elle m'irrite sérieusement à s'exciter sur le bouton. À moins qu'il s'agisse du pic vert qui a élu domicile dans mon crâne durant la nuit.
— Roh, ça va, j'arrive !
Je hurle depuis ma chambre et rampe hors de mon lit. Je pose les pieds au sol et me lève, les mirettes pas en face des trous. Je trébuche sur une bassine et me rattrape en catastrophe à la poignée de la porte en pestant. Qu'est-ce que ça fout là ça, bordel ? Des voix masculines me parviennent à l'autre bout de l'appartement.
— Où est passée ma femme ? rugit Antoine.
Oh bon Dieu ! Il ne manquait plus que lui !
— Vous n'avez rien à faire ici, alors partez.
— Tu sais à qui tu parles, espèce de petit con ?
Je sors de ma chambre et tombe sur Axel et Antoine qui se fixent avec animosité au beau milieu de mon séjour. Je cligne des paupières et me frotte les yeux. Je suis en train d'halluciner là, non ?
— Tu les prends au berceau, maintenant ? maugrée Antoine.
— Quoi ? Mais qu'est-ce que tu me racontes ?
— Ne fais pas l'innocente, Ambre ! Je te trouve à moitié à poil avec un gamin et tu veux me faire croire qu'il ne s'est rien passé ?
J'échappe un « Oh, putain ! » en constatant que je ne suis en effet vêtue que d'une culotte et d'un T-shirt.
— Non, mais regarde-toi un peu. T'es pathétique ! Et dire que je pensais que les choses s'arrangeaient entre nous alors qu'en réalité tu préparais ton départ, crache-t-il avec dégoût en scrutant l'appartement. Tu t'es bien foutue de moi !
— Ça suffit, maintenant tu dégages !
Je m'approche de lui, tremblante de rage. C'est à se demander comment j'arrive à ne pas le gifler. J'en ai assez de ses réflexions, de ses crises de colère. De lui. Je ne peux plus le voir en peinture. Il faut que ça se termine, sinon je vais péter un câble pour de bon.
D'un signe de la main, j'ordonne à Axel de rester à l'écart et pousse Antoine vers la sortie. Il me jette un dernier regard haineux avant de partir d'un pas nerveux. Je claque la porte d'entrée et m'effondre au sol, vidée du peu d'énergie dont je disposais, à fleur de peau après ce réveil en fanfare. La chaleur qui règne dans l'appartement est assommante et je me retrouve à moitié dans les vapes. En plus d'avoir mal au crâne, j'ai la bouche pâteuse et la sensation d'être crasseuse. Je lève les yeux vers Axel qui me dévisage, l'air inquiet. Je n'ai que de vagues souvenirs de la soirée d'hier, mais une chose est sûre : j'ai peur d'avoir fait une sacrée connerie. La panique s'empare de moi, ma vue se brouille et ma tête heurte la commode dans l'entrée.
— Ambre ? Reste avec moi.
La voix d'Axel me parvient de loin tandis qu'il tapote ma joue. J'ouvre les yeux, complètement dans les choux. Il me redresse et m'adosse contre la porte.
— Ambre ? Youhou ! Dis quelque chose, s'il te plaît.
— Merde !
Je porte mes mains à ma bouche, les mirettes grandes ouvertes et braquées sur Axel, en caleçon devant moi. OK, il fait une chaleur à crever, imagine qu'il est en maillot de bain. Et puis je songe à ce que vient de me balancer Antoine. Malheur, qu'ai-je fait ? Mes tripes se nouent et j'ai une soudaine envie de vomir. Ma vie a pris des allures de scénario catastrophe. À quel moment est-ce parti en sucette dans ma tête au point de commettre une bêtise pareille ? J'ai tellement honte. C'est fini, à partir d'aujourd'hui, j'arrête l'alcool !
Axel se lève et file en courant jusqu'à la cuisine, d'où il revient quelques instants après avec un verre d'eau.
— Tiens, bois un coup, ça va te faire du bien.
Je m'exécute tandis qu'il ne me quitte pas des yeux, redoutant probablement que j'aie de nouveau un malaise.
— Enfin, tu retrouves un peu des couleurs. Ça t'arrive souvent ?
— Euh... non.
— Tu devrais consulter ton médecin. Ce n'est peut-être pas grand-chose, mais avec tout ce que tu traverses en ce moment...
— Merci. Je... euh...
Je peine à trouver mes mots et me sentant un peu mieux, je me relève, non sans peine. Axel m'aide et alors que nous nous faisons face, il me sourit et je pique un fard. Dans mon malheur, je n'ai pas jeté mon dévolu sur le plus moche, loin de là, mais tout de même ! Mon voisin. Mon voisin de quatorze ans mon cadet. Qu'est-ce que je vais faire maintenant ? Je ne vais quand même pas l'ignorer ? Quelle gourde !
Je recule afin de rétablir une certaine distance avec lui et bute dans la porte d'entrée. Je dois mettre les choses au clair tout de suite pour dissiper tout malentendu. Les mots se bousculent dans ma tête sans parvenir à franchir la barrière de ma bouche. L'angoisse doit se lire sur ma tronche.
— Ambre, qu'est-ce qui t'arrive ? Tu me fais peur, là. C'est moi. Axel. Ton voisin.
Je le dévisage, le cœur palpitant à vive allure.
— Euh. Oui, oui, je sais. C'est juste que... que...
— Que quoi ? me demande-t-il, dubitatif.
Je déglutis et trouve enfin la force de me lancer.
— Qu'est-ce qui s'est passé cette nuit ? Je ne me rappelle plus de rien.
J'ai débité cela tellement vite que je ne suis pas certaine qu'il ait pipé grand-chose. Il me fixe quelques instants, l'air de réfléchir, puis, contre toute attente, il explose de rire. Sa réaction me déconcerte complètement et je prends la mouche.
— Je viens de te dire que je n'ai plus de souvenirs de ce que j'ai fait les douze dernières heures et toi, tu trouves ça drôle ?
— Si tu voyais ta tête, ma pauvre...
— Quoi ? Qu'est-ce qu'elle a ma tête ?
— Wow, doucement. Je plaisante, Ambre. Pas la peine de t'énerver.
Je soupire et pars en direction de la cuisine. Peut-être qu'avec un double espresso bien noir, la mémoire me reviendra ? Axel m'y rejoint quelques instants après et s'appuie contre le plan de travail à côté de moi.
— Ambre ?
Je n'ose pas tourner la tête vers lui, à la fois honteuse et agacée par sa désinvolture.
— Ambre, regarde-moi, s'il te plaît.
Je n'en fais rien et continue de bouder, concentrée sur ma cafetière, tout en trépignant sur place.
— Je ne pensais pas que tu pouvais avoir si mauvais caractère. Tu caches bien ton jeu, remarque-t-il en riant.
— Il n'y a rien de drôle, Axel ! Je n'aurais pas dû venir hier soir. Au fond de moi, je me doutais que j'allais le regretter.
— Roh, arrête de cogiter comme ça. Il n'y a pas de mal à se prendre une cuite de temps en temps. Ça t'a permis de relâcher un peu la pression.
— Super ! J'ai pas loin de quarante ans, tu penses vraiment que c'est encore de mon âge de bringuer avec des étudiants ? J'aurais dû nous éviter de...
— Nous éviter de quoi ? me coupe-t-il, les bras croisés sur le torse.
Je note qu'il a eu l'amabilité d'enfiler son T-shirt. Je n'en reste pas moins gênée pour autant.
— Bah de... de... euh.
Axel me dévisage, l'air plus sérieux que jamais.
— De ?
Mais ce n'est pas possible ! Il le fait exprès pour m'énerver !
— Ne fais pas l'innocent ! Tu sais très bien de quoi je parle, Axel ! Je me réveille à moitié à poil et je te trouve chez moi, en train de te prendre le bec avec mon ex.
— Désolé, mais non. Je ne vois pas où tu veux en venir.
Il se fout de ma gueule ? Passablement agacée, je le scrute, les mains vissées sur les hanches tandis qu'il semble réfléchir à la situation en se grattant le menton.
— Attends, ne me dis pas que tu penses à ce que je pense ? lâche-t-il en explosant de rire à nouveau.
Je rougis derechef, morte de honte. Oh bon sang, je vais l'étriper ! Il m'énerve à se foutre de moi comme ça.
— Arrête de te moquer de moi, c'est déjà suffisamment embarrassant, je réplique, mordante.
— Tu ne te souviens vraiment de rien ?
— Non et c'est franchement flippant.
— Alors, écoute. Je vais te rafraîchir la mémoire, mais rassure-toi, il n'y a rien de grave. Et pour ta gouverne, sache qu'il ne s'est absolument rien passé de sexuel entre nous. Ne te vexe pas, tu es une belle femme, mais je ne nous imagine pas une seule seconde en train de coucher ensemble. Tu me rappelles ma mère par certains côtés. On est d'accord que ce serait très malsain, n'est-ce pas ?
J'opine du chef. Un peu que ce serait malsain !
— Et puis je ne fais pas dans la nécrophilie. Déjà que j'ai dû te traîner jusqu'à ton lit...
Oh le salopiaud ! Il rit aux éclats, content de sa blague pourrie, et je lui flanque une petite tape sur le bras en poussant un très long soupir de soulagement. Je me sens soudain bien plus légère. Bon, OK, j'ai pris une cuite. Une très grosse cuite. Mais il semblerait que le scénario catastrophe que j'avais imaginé n'ait finalement pas eu lieu.
— Dis donc, jeune homme ! Un peu de respect envers les aînés, s'il te plaît !
— Je t'assure, tu n'étais pas du tout en état de coucher avec moi ni avec personne d'autre ! Et à l'avenir, tu devrais éviter le beer pong...
— Sans blague... Bon, tu peux me donner un peu de plus de détails, puisque tu as échappé aux trous de mémoire ?
— Disons que, tant que tu tournais au punch et à la pizza, ça allait, on se marrait bien. D'ailleurs à ce propos, les potes t'ont trouvée très cool.
— Super, tu m'en vois ravie ! j'ironise en montant dans les aigus. Tu t'apprêtes à me révéler que j'ai été la bête de foire de la soirée, c'est ça ?
Axel s'offusque en silence. Le pauvre, je suis vraiment une harpie. Il ne mérite pas que je lui parle de la sorte, juste parce que je suis mal lunée.
— Excuse-moi, je suis désolée. Je suis à cran d'avoir vu l'autre con et de ne pas me souvenir de ce qui s'est passé cette nuit. Je t'aboie dessus alors que je ferais mieux de te remercier une fois de plus de m'avoir sauvée d'une situation merdique.
— Ce n'est pas grave. Donc, comme je m'apprêtais à te l'expliquer, reprend-il avec un sourire, tu as encouragé les autres pendant un long moment jusqu'à ce que finalement, tu te décides à jouer. Et on peut dire que le mélange bière et punch ne t'a pas franchement réussi. Néanmoins, tu n'étais pas la seule dans ce cas, si ça peut te rassurer. Du coup, vers deux heures du matin, j'ai préféré te raccompagner chez toi, pour t'éviter le coma éthylique.
— C'est toi qui as mis une bassine près de mon lit ?
— Oui.
— Et toi ? Tu veux me faire croire que tu n'étais pas bourré peut-être ?
— Alors si, un peu, mais pas au même point que toi. Clem et Eliott étaient complètement saouls, il fallait bien que l'un de nous trois survive pour gérer.
— Mais pourquoi étais-tu là ce matin ?
— À vrai dire, j'ai préféré rester pas très loin de toi, par peur que tu t'étouffes dans ton vomi.
— Oh putain, la honte. Mais la honte. Et Clem et Eliott, alors ? Eux aussi, ils auraient pu être malades ?
— Ah oui, mais non. Eux, ils ont vomi avant d'aller au lit. Une fois qu'ils étaient couchés, c'était sans risque. Du coup, j'ai dormi sur ton canapé avec Tanit, en croisant les doigts que tu ne dégobilles pas de partout.
Je me lamente à voix haute, secouant ma tête que j'agrippe entre mes mains. Pourquoi ai-je autant picolé ? Je le sais en plus que je ne tiens pas l'alcool !
— T'en fais pas, tu n'as rien fait de bien vilain ou de répréhensible, si ce n'est beugler sur tes adversaires quand tu perdais.
— C'est gentil de ta part d'avoir veillé sur moi. Encore merci.
— Rassurée ?
— Oui. Je suis vraiment couillonne de m'être fait des films. Je n'ai pas réfléchi et avec les accusations d'Antoine qui s'imagine qu'on a couché ensemble, j'ai paniqué.
— Il n'y a pas de mal. J'ai peut-être fait une connerie en lui ouvrant ce matin. Il risque de t'emmerder encore plus, non ?
— Ça lui fera les pieds ! Tu veux déjeuner ?
— Ouep, merci. Je ne te cache pas que la nuit a été courte, je vais avoir besoin d'une sacrée dose de caféine pour mettre de l'ordre dans l'appartement avant d'aller me pieuter pour une bonne sieste. Surtout que les deux loustics ne vont pas se précipiter pour faire du rangement avec tout ce qu'ils ont picolé hier soir.
Je sors une brioche du placard et lui tends une tasse de café fumant. Nous échangeons un sourire et je me sens bien mieux maintenant que le malaise est dissipé entre nous.
— Je vais t'aider. Je te dois bien ça.
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