Chapitre 24. Conjointe ou unilatérale ?
Sept heures du matin. Le réveil sonne. Je l'éteins et m'étire doucement dans mon grand lit. Près de moi, Tanit en fait de même avant de venir frotter sa tête contre la mienne pour réclamer un câlin. Il n'y a pas un bruit dans l'appartement, les premiers rayons du soleil percent à travers les persiennes. Après ce week-end réconfortant avec Saskia, je me sens reboostée, prête à affronter les futurs emmerdements.
Je suis tout de même un peu anxieuse en franchissant le seuil du cabinet, redoutant que les ragots circulent déjà. Toutefois, à première vue, il semble que cela ne soit pas le cas. Comme chaque matin, j'ai besoin de ma dose de caféine pour être opérationnelle et je me dirige donc vers l'espace détente.
C'est avec plaisir que j'y retrouve Elias, en pleine conversation avec Charles.
— Bonjour.
— Bonjour, Ambre, me salue Charles.
— Salut toi ! s'exclame Elias.
Je m'approche d'eux, tout sourire pour leur faire la bise.
— Vous allez bien ?
— Très bien, merci. Je relatais à Elias la victoire obtenue par Xavier et Antoine à Carcassonne, la semaine dernière.
— Ah oui ? Les clients devaient être ravis.
— Antoine ne t'a pas raconté ? s'étonne Charles.
Oups ! Vite, Ambre, réagis !
— Euh non, à vrai dire on s'est à peine croisés, j'étais à Paris tout le week-end.
Je rougis un peu, pas très à l'aise de lui mentir. Enfin, mentir. C'est un bien grand mot. Disons que je lui dissimule la vérité avec plus ou moins d'habileté, ce qu'il ne semble pas remarquer d'ailleurs, tandis qu'Elias affiche une moue énigmatique. Comme si je n'étais pas déjà suffisamment embarrassée, Antoine surgit dans la pièce.
— Ah tiens, bonjour, ma puce. Je n'ai pas osé te réveiller ce matin, tu dormais profondément.
Il passe une main dans mon dos et m'embrasse sur la joue. OK, donc il a décidé de faire comme si de rien n'était ? Je souris malgré moi, feignant d'être contente de voir mon ex.
— Je vous laisse, mon rendez-vous ne va pas tarder à arriver.
Charles quitte la pièce et je me retrouve seule avec Elias et Antoine qui se regardent en chiens de faïence. L'ambiance se tend aussitôt, tandis que je m'écarte d'Antoine.
— Ambre, tu me dois des explications.
— Arrête. Ce n'est ni le lieu ni le moment.
Il tressaille, la mâchoire crispée et les poings serrés. Ignorant la présence d'Elias, Antoine poursuit :
— Je te préviens, tant que nous sommes pacsés, tu restes ma femme.
Elias écarquille les yeux de stupeur, mais demeure silencieux. J'apprécie qu'il ne fasse pas de commentaires, nous épargnant un possible pétage de plomb d'Antoine.
— Tu es ridicule. Tu sais aussi bien que moi que ce n'est qu'une question de temps avant que tous découvrent que nous avons rompu.
— Que tu as rompu, me rectifie-t-il. Je n'ai rien demandé ni rien signé en ce sens.
Bon sang, quelle bourrique ! Son attitude m'exaspère et je préfère quitter la pièce, pour ne pas m'énerver de bon matin. Antoine a décidé de m'emmerder jusqu'au bout ? Et bien, c'est ce qu'on verra !
***
La sonnerie du combiné téléphonique retentit ; il s'agit d'un appel en interne d'Elias.
— Allô ?
— Tu as cinq minutes pour éclairer ma lanterne ?
— Oui, tu peux venir. J'ai besoin d'une pause.
Comme si le petit numéro d'Antoine n'avait pas suffi à pourrir ma journée, il a fallu que je me replonge dans l'affaire Schneider, sauf que je suis incapable de bosser sereinement. Résultat, ce n'est pas demain que je pourrai classer ce dossier merdique.
Quelques brefs coups retentissent contre la porte. Je lève les yeux vers Elias qui entre et la referme derrière lui. Puis il vient s'asseoir en face de moi.
— J'ai raté quelque chose ?
Calée au fond de mon fauteuil, je commence à me dandiner et à tournoyer de droite à gauche nerveusement, tandis qu'a contrario, Elias demeure immobile, l'oreille tendue, les doigts croisés, prêt à écouter mes explications.
— J'ai quitté Antoine jeudi dernier et j'ai déménagé aussitôt dans mon appartement. Comme tu as pu le constater, il n'accepte pas ma décision.
Elias frotte son menton barbu du bout des doigts et ses iris verts me scrutent avec intensité. J'ai l'impression d'être face à un enquêteur. Un enquêteur sexy, d'ailleurs.
— C'est le moins que l'on puisse dire en effet. Et c'est définitif ?
— Oui, pourquoi ? Tu en doutes ?
— Disons plutôt que je me demande quelle mouche t'a piquée. Tu avais l'air si déterminée à tout mettre en œuvre pour sauver votre couple il y a encore peu de temps, remarque-t-il en plissant les yeux.
Je détourne le regard vers la pile de dossiers en instance sur ma droite, tandis que la peau de mon visage et de mon cou picote sous l'effet d'un brusque rougissement. Je sais qu'Elias m'observe, analyse mes réactions. Il a toujours été fort pour décrypter les émotions de ses interlocuteurs.
— J'ai fini par ouvrir les yeux sur son comportement. Je ne le supporte plus. J'ai voulu croire qu'il pourrait changer, mais je me suis rendue à l'évidence que ça ne serait jamais le cas. Alors je l'ai quitté.
J'évite volontairement de lui parler de la liaison d'Antoine et Victoire. Pour le moment, c'est inutile.
— Alléluia ! se réjouit-il en levant les mains au ciel. Enfin, tu nous as écoutés. Depuis le temps que, Saskia et moi, nous te répétions d'ouvrir les yeux. Sans parler de ta famille.
— Je sais. Ça a pris le temps nécessaire, mais j'arrive à une période de ma vie où j'ai besoin de changements pour m'épanouir.
Je soupire et un voile d'inquiétude recouvre aussitôt le visage d'Elias.
— Qu'est-ce qui ne va pas, Ambre ? J'ai l'impression qu'il n'est pas question que de l'autre.
J'inspire un grand coup avant de poursuivre, consciente que je m'apprête à lâcher une deuxième bombe.
— Je m'étais imaginé autre chose en exerçant ce métier... Plus le temps passe et moins je supporte mon travail.
Le silence s'installe tandis que nous nous dévisageons durant de longues secondes. D'un coup, je me sens blêmir, comme vidée de mon énergie. Les coudes en appui sur le bureau, je masse mes tempes en fermant les yeux.
— Eh bien. Que de changements dans ta vie ! Tu nous fais une crise de la quarantaine en avance ? commente-t-il en riant après quelques secondes.
Sa réaction ne m'étonne même pas. Elias a le chic pour dédramatiser les choses. Je relève la tête vers ses prunelles espiègles et j'esquisse un sourire.
— Appelle ça comme tu veux. J'ai tout simplement envie d'autre chose. Pas toi ?
— Hum, pas vraiment. Ma vie me plaît telle qu'elle est.
— Tu n'as jamais eu l'impression de jouer un rôle ? De ne pas être réellement toi-même ?
— Ouh là ! Tu es en train de tout remettre en question ou je me trompe ?
— Depuis que Babou est décédée, je ne cesse de réfléchir. Je me suis rendu compte que j'ai beaucoup changé ces dix dernières années. Je n'aime pas ce que je suis devenue. Avant, j'avais le contact facile, je sortais beaucoup, j'échangeais avec les autres. Et puis au fil des années, je me suis perdue, je me suis enfermée dans ma tour d'ivoire, consacrant la majeure partie de mon temps à mon travail et à une relation qui n'était en réalité qu'une illusion du bonheur. J'ai voulu croire que j'étais heureuse.
J'expire longuement, soulagée de me livrer, mais aussi bouleversée par la réalité de ce qu'est devenue ma vie. Je sens poindre les larmes et saisis mon sac pour récupérer un mouchoir. Que c'est pénible de pleurer pour un rien, bon Dieu ! Elias se lève et contourne le bureau pour me rejoindre.
— Viens par là, ma petite abeille.
Je me niche dans ses bras et pose ma joue contre son torse.
— Il n'est jamais trop tard pour changer de cap. Si tu n'es pas heureuse, fais en sorte de le devenir. Et si tu dois changer de boulot pour ça, dans ce cas, fonce.
— Merci, Elias. Merci pour tout.
— De rien, Maya. Par contre, évite de pourrir ma chemise s'il te plaît, la journée est loin d'être finie et je n'en ai pas d'autres sous la main, plaisante-t-il.
Oups ! À contrecœur, je quitte ses bras en me reculant et fais mine d'épousseter son costume et de remettre sa cravate en place.
— Aucun sinistre à déplorer, tu es parfait comme toujours.
***
Le restant de la semaine, les jours passent et se ressemblent. Antoine joue la comédie de l'amour à la perfection devant témoins, et ne rate pas une occasion de m'asticoter en privé ou bien de tenter de m'amadouer pour que je revienne vers lui. Il va finir par me rendre chèvre à souffler le chaud et le froid.
La nouvelle de notre séparation n'est, semble-t-il, pas encore arrivée aux oreilles de Sofia, et donc de nos collaborateurs. Je fais preuve d'une grande patience pour ne pas laver notre linge sale en public, même si ce n'est pourtant pas l'envie qui me manque. J'éprouve toutes les difficultés du monde à rester calme, néanmoins je refuse de rentrer dans le jeu malsain d'Antoine. J'ai décidé d'agir en adulte responsable. Le mépris est donc la meilleure réponse dans ce cas-là.
Il semblerait que Victoire ne soit plus du tout en odeur de sainteté. J'ai presque eu de la peine pour elle, tant il la snobe. Sûrement parce que j'ai toujours été une femme empathique. Et puis, je me suis souvenue que cette pouffiasse n'a eu aucun scrupule à me voler mon mec, enfin mon ex, et cela en toute connaissance de cause. Alors la sororité, elle peut se la fourrer où je pense.
J'ai tenté en vain d'engager une conversation posée avec Antoine, afin que nous discutions des modalités de notre séparation, mais il refuse catégoriquement d'en parler. Il est persuadé qu'il ne s'agit que d'une lubie passagère et que notre relation reviendra très vite à la normale. Sa capacité à faire l'autruche m'épate. Néanmoins, nous devons décider quoi faire de ce maudit loft que nous avons acquis ensemble. En ce qui me concerne, je me fiche de le vendre, je n'ai jamais aimé cet endroit, cependant, je présume qu'Antoine ne voudra pas s'en séparer. Il faudra pourtant bien trouver une solution, car le prêt immobilier court toujours. Le plus simple serait qu'il me rachète ma part, mais vu l'état catastrophique de nos relations, je doute qu'il accepte. Déjà qu'il refuse de compléter les documents pour procéder à une dissolution conjointe de notre PACS...
***
Après cette semaine interminable, c'est donc avec soulagement que je quitte le bureau vendredi soir, contente d'être enfin en week-end. Je compte bien m'enfermer ces deux jours dans mon appartement pour me reposer et continuer de réfléchir à mon projet de reconversion professionnelle. Depuis quelque temps, une idée mûrit dans mon esprit. Cela fait plusieurs années maintenant que je me suis tournée vers des solutions plus naturelles pour ma routine quotidienne. Les cosmétiques que j'utilise, je les fabrique moi-même pour la plupart, ce qui m'apporte une certaine satisfaction, en plus de limiter mon impact sur l'environnement. Je me suis souvent attrapée avec Antoine qui ne comprenait pas pourquoi, selon lui, je perdais mon temps à jouer au petit chimiste dans notre cuisine pendant des heures, alors que Bordeaux regorge de magasins pour en acheter. C'est vrai que des boutiques et des parfumeries où trouver tout un tas de cosmétiques testés sur les animaux et bourrés de merdes, ce n'est pas ce qui manque. Shampoings miracles, savons supra-hydratants, masques et crèmes en tout genre, et j'en passe. On nous vend du rêve, en nous faisant miroiter la jeunesse éternelle, bien qu'en réalité les grosses compagnies ne recherchent que le profit. Faut pas croire, les peaux de vieilles et les cheveux blancs, c'est leur fond de commerce. Pourquoi claquer des fortunes dans des produits daubés alors qu'il existe des alternatives bien plus respectueuses de l'environnement et moins nocives pour notre santé ?
Alors oui, je réfléchis depuis quelque temps. Il n'est jamais trop tard pour entreprendre et avec ce nouveau départ dans ma vie, je me dis que l'heure est peut-être venue pour moi de me lancer dans la savonnerie artisanale. Un sacré virage professionnel, c'est certain. Rien à voir avec mon job actuel. Ainsi, je serai mon propre patron, je pourrais créer de mes mains. J'ai conscience qu'il ne s'agira plus seulement de mélanger des corps gras et de la soude dans ma cuisine, et qu'il faudra que je m'investisse à fond pour réussir, mais j'ai besoin d'autre chose pour être comblée. Je me sens forte et j'ai confiance en moi. Je sais que je pourrai y arriver.
Je me prépare un dîner léger et m'installe en pyjama pour manger devant la télé, tout en farfouillant sur internet depuis mon ordinateur portable en quête d'informations à propos de ma future activité.
Dring... Dring... Tiens, qui cela peut-il être ? Je n'attends personne. Pourvu que ce ne soit pas Antoine. Il est capable de se pointer chez moi à l'improviste.
J'engloutis la dernière cuillère de mon fondant au chocolat et je me lève de mon pouf pour aller ouvrir.
— Salut, Ambre. Ça va ? me demande Axel en me faisant la bise. Tu as une petite mine.
— La semaine a été longue, mais ça va, je te remercie. Et toi ?
— Ça va. Demain soir, on organise notre crémaillère, si ça te tente de venir. C'est à partir de dix-huit heures.
— Vous avez prévenu les voisins ?
— Oui oui, ne t'en fais pas.
— Vous attendez du monde ?
— Hum, à vrai dire, je ne sais pas trop. Clem et Eliott ont passé le message à pas mal de gens. Je dirais une trentaine de personnes.
— Ah, quand même ! Ça promet d'être une grosse fête.
— Oh oui ! Tu viendras, hein ? Ça nous ferait trop plaisir.
Certes, je risque de me sentir un peu perdue au milieu de tous ces petits jeunes, mais en même temps, il serait dommage de rater une soirée sympa pour une simple question d'âge. Et puis, je ne suis pas obligée d'y rester durant des heures, non plus. Le temps de boire un verre ou deux et je m'éclipse.
— Oui, bien sûr. Vous avez besoin d'un coup de main pour préparer quelque chose ? Faire des courses ?
— Oh, euh... On verra demain.
Sa réponse me laisse quelque peu perplexe, ce qui doit se deviner à ma tête.
— Ne te tracasse pas, on va gérer, me rassure-t-il.
— Je n'en doute pas.
— Nickel ! À demain, alors ?
— Sans faute.
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