Après notre dispute à l'appartement, Antoine a enchaîné avec un deuxième round, une fois rentrés au loft. Pendant près d'une heure, il m'a baratinée, me reprochant de ne faire aucun effort pour sauver notre couple, contrairement à lui, qui, soi-disant, tiendrait profondément à moi, à notre amour et à tout ce que nous avons déjà construit ensemble. Que du blabla, tout ça ! Hypocrite ! Mytho ! Connard !
J'ai dû faire preuve d'un sang-froid à toute épreuve pour ne pas lui balancer à la tronche que j'étais au courant de son infidélité et, quand il a osé m'en remettre une couche avec son envie d'enfant, j'ai bien cru que j'allais vriller.
J'ai tenu bon, j'ai encaissé sans broncher en vaquant à mes petites occupations. Agacé de parler à un mur, il a fini par me lâcher la grappe et s'est absenté plusieurs heures durant, probablement pour rejoindre sa blonde. Cela m'affecte-t-il ? Aucunement. Néanmoins, j'étais si contrariée par ses simagrées que je n'ai pas fermé l'œil. Je l'ai entendu rentrer vers deux heures et s'installer pour dormir dans son bureau.
***
Samedi midi. Je suis au bout de ma vie, épuisée après ces quinze jours de travaux. Tout est terminé. Les peintures sont sèches, le plancher est ciré, les vitres sont propres. Les livreurs viennent tout juste de repartir. Depuis huit heures, je suis sur le qui-vive, présente pour réceptionner les nombreux cartons qu'ils ont trimbalés non sans peine jusqu'à mon appartement, au deuxième étage et sans ascenseur. Je n'étais déjà pas de très bonne humeur après ma nuit blanche, et ajoutée à cela la pluie de réflexions que j'ai dû essuyer toute la matinée, me voilà seule au milieu du séjour, à craquer et à pleurer comme une madeleine.
Je devrais me réjouir, je vais bientôt pouvoir mettre un terme à ma relation avec Antoine et avancer dans la vie. Pourtant, cet échec me mine le moral. Je m'en veux d'avoir été si crédule, si gentille. De m'être laissée aveugler et de ne pas avoir su écouter les alertes de mes proches. Plus jeune, je me voyais faire une belle carrière dans le droit, vivre une histoire d'amour passionnée et avoir un enfant avec l'homme de ma vie. Mais la réalité, c'est que j'ai trente-sept ans, un boulot qui me gonfle et que j'ai perdu sept ans de mon existence avec un con qui m'a prise pour une buse. On est loin de l'héroïne épanouie de conte de fées moderne.
— Eh bien, ça en fait des meubles à monter, s'étonne Axel en glissant la tête par la porte d'entrée entrebâillée. Salut, Ambre.
— Oh ! Salut Axel. La forme ? je m'empresse de lui répondre en essuyant mes larmes d'un revers de la main.
Il me fixe et je devine l'inquiétude sur son visage. Je n'ose imaginer à quoi je ressemble, probablement un zombie.
— Hey, qu'est-ce qui t'arrive ? Quelque chose ne va pas ?
— Si si, ne t'en fais pas. Simplement un petit coup de mou, mais rien de grave.
Il vient s'asseoir sur un carton en face de moi et esquisse un sourire timide.
— Je me mêle peut-être de ce qui ne me regarde pas, mais tu n'as pas l'air en forme du tout. Tu veux qu'on en discute ?
— Non, je te remercie. Je vais faire une pause, ça ira mieux ensuite. Je manque juste de sommeil et avec tout ce chantier, je craque un peu, mais ça va passer. Je n'en ai plus pour très longtemps.
— J'allais sortir manger, tu viens avec moi ?
— Bonne idée. J'ai faim en plus.
Je récupère mon sac et nous voilà partis tous les deux. Nous jetons notre dévolu sur une sandwicherie située dans une ruelle calme et ombragée, à deux pas de notre immeuble. Nous papotons un moment en nous remplissant l'estomac. Derrière le jeune homme de prime abord timide, se cache en réalité une personnalité attachante et plutôt drôle. Étudiant en droit – le monde est décidément petit, je le questionne, curieuse d'en apprendre un peu plus. Axel me confie qu'il s'apprête à entrer en deuxième année de master et souhaite devenir avocat.
— N'hésite pas si tu as besoin d'un coup de main, je t'aiderai avec plaisir. Je suis passée par là moi aussi.
— C'est cool, merci. Tu fais quoi dans la vie ?
— Je suis juriste, je travaille pour le cabinet Barlowski et Associés.
— Ouuaaaahhh !
Son émerveillement m'arrache un sourire. Je me revois des années plus tôt avec le même entrain qu'Axel, à rêver d'intégrer ce cabinet un jour. Il m'écoute attentivement lui narrer mon parcours et la vie au sein du cabinet Barlowski, sans trop entrer dans les détails toutefois, histoire de ne pas le dégoûter du métier.
— Les deux hommes qu'on a rencontrés hier, tu travailles avec eux ?
J'acquiesce en hochant la tête et Axel semble plonger dans ses réflexions durant quelques secondes avant d'ouvrir grands les yeux et la bouche, l'air éberlué.
— Attends, ne me dis pas que j'ai fait, sans le savoir, la connaissance d'Elias de Warren ? Mais quelle buse ! Comment j'ai pu ne pas le reconnaître ?
Je m'enfonce dans mon fauteuil et croise les bras sur ma poitrine en lui souriant.
— Lui-même.
— Et celui que tu as présenté comme ton compagnon, c'est...
— Antoine Barlowski.
Axel se laisse tomber à la renverse, scotché par cette révélation.
— Oh non, non, non. Et dire qu'Eliott les a traités de pingouins en costards. La honte ! clame-t-il, horrifié en secouant la tête.
— Détends-toi, ils ne lui en voudront pas le moins du monde. Elias est très sympa et a un grand sens de l'humour, tu sais.
— Il a surtout une carrière incroyable. C'est un vrai modèle de réussite.
— En effet. Il est aussi très apprécié de l'ensemble de ses collaborateurs. Ah ! Tiens, quand on parle du loup, dis-je en saisissant mon portable qui sonne sur la table. Allô ?
— Tu n'as pas l'impression de m'avoir posé un lapin par hasard ? Tu m'as donné rendez-vous à quatorze heures chez toi et quand j'arrive, il n'y a personne.
— Oups ! Je suis sortie manger avec mon voisin. Je n'ai pas vu le temps passé. Je suis là dans cinq minutes.
Je raccroche et fourre le téléphone dans mon sac.
— Je suis désolée, Axel. Je vais devoir y aller.
— Oh ! Euh, pas de souci, ne t'en fais pas. C'était cool.
Et si je lui demandais un coup de main ? Cela serait l'occasion qu'il fasse connaissance avec Elias.
— Tu as des choses de prévues cet après-midi ?
— Non, pas du tout.
— Tu es disponible pour nous aider ? J'ai pas mal de meubles à monter et je ne te cache pas que des bras en plus seraient les bienvenus.
— Sans problème.
— Eh bien, en avant.
J'achète des cafés en cours de route et nous regagnons l'appartement.
— Ah quand même, je commençais à me dire que c'était une blague, m'interpelle Elias.
— Mais non, jamais je n'oserais te faire un coup pareil, très cher. Tiens, je t'ai pris un cappuccino.
— Hum, tu es un amour, Maya.
Je lui tends le gobelet et nous échangeons une bise, tandis qu'il pose son regard sur Axel.
— Elias, tu te souviens d'Axel ?
— Oui, ton nouveau voisin, c'est bien ça ?
— Exact. Figure-toi qu'il se destine à une carrière d'avocat lui aussi et qu'il est très impressionné par ton parcours.
Axel a beau être grand, j'ai le sentiment qu'il essaie de se cacher derrière moi. Le pauvre, je ne voulais pas le mettre dans l'embarras. J'adresse un regard à mon ami qui saisit le message et le détend aussitôt :
— Salut, Axel.
Elias lui tend la main et Axel la serre à peine, visiblement ému par cette rencontre. On dirait un petit garçon devant son super héros préféré en chair et en os.
— Bonjour, monsieur De Warren, bredouille-t-il.
— Simplement Elias. Pas de chichis entre nous. Et pas de vouvoiement non plus. J'ai horreur des mondanités, ça me rappelle le boulot.
Du Elias tout craché.
— Très bien, comme vous... euh, tu veux.
Elias lui tape gentiment sur l'épaule avec un sourire jovial et Axel se détend un peu.
— Je te l'avais bien dit qu'il est cool, je lui glisse discrètement.
— Bon, par quoi on commence ? Le lit ou la table ?
— Le lit.
— OK, c'est parti. Viens me donner un coup de main, s'il te plaît, Axel.
— Ça marche.
Des heures durant, nous assemblons les meubles en nous chahutant comme des gosses. L'aide inopinée d'Axel nous est précieuse, si bien qu'en fin de journée, tout le mobilier reçu ce jour est monté et installé. L'appartement est encore bien vide, mais au moins il y a le lit, la table et les chaises dans le séjour, le bureau de Papy Ernest et son fauteuil ainsi que le canapé, la bibliothèque. J'ai prévu d'ajouter quelques plantes vertes pour apporter une touche de nature. La cuisine est fonctionnelle, l'électroménager est nickel et en marche. J'ai investi dans un robot aspirateur pour m'épargner une corvée de nettoyage. Elias et Axel ont aussi changé la paroi vitrée de la douche. Pendant ce temps-là, j'ai réorganisé le dressing, prêt à accueillir tout mon bazar vestimentaire, installé les rideaux et les quelques bibelots. Il ne reste plus qu'à mettre un coup de propre, puis je pourrais déménager avec Tanit.
— Eh bah, quel boulot ! Un grand merci à vous deux, vous m'avez sauvée. Sans vous, je n'aurais jamais pu terminer si vite.
— Tes futurs locataires vont être bien. Saskia avait raison, tu es vraiment douée pour les travaux manuels. J'ai presque envie de venir m'installer ici. Tu me ferais un bail à combien ? demande Elias.
— Hum, très bonne question. Je n'ai pas encore réfléchi à ce détail. Ça vous tente un resto ce soir ?
— Sans moi, désolé. J'ai rendez-vous avec Sandra à vingt-et-une heures.
— Une nouvelle conquête ?
— La sœur d'un de mes anciens clients.
— Hum... Tâche de ne pas te comporter comme un goujat, cette fois-ci.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, je suis un gentleman. Si tu m'avais choisi il y a sept ans, tu le saurais, affirme-t-il en totale décontraction.
Celle-ci, je ne l'ai pas volé ! Ça m'apprendra à vouloir le troller. Je pique un fard, rouge de honte qu'il évoque ce sujet avec tant de légèreté devant Axel.
Succomber à Elias n'aurait sûrement pas été des plus raisonnable, connaissant l'animal. Je sais pertinemment que cette pauvre Sandra le distraira le temps d'une soirée et qu'il s'empressera de l'oublier dès demain.
Sa petite taquinerie gentillette me provoque un pincement au cœur. Certes, on fait tous des erreurs, toutefois l'échec de ma vie amoureuse reste cuisant.
— Roh, fais pas cette tête, je plaisante, dit-il en m'embrassant sur la joue.
— Moui, je sais.
Je grommelle dans mon coin, tandis qu'Elias salue Axel et nous quitte. Le téléphone de ce dernier sonne.
— Ouais, Clem ? [...] Une soirée ? Chez qui ? [...] Je vous rejoins sur place. Je suis vraiment désolé, Ambre, ajoute-t-il en raccrochant. Je ne vais pas être disponible ce soir.
— Ne t'en fais pas, je comprends.
— Tu es certaine que tu ne m'en veux pas ?
— Bien sûr que non. Encore merci pour le coup de main, grâce à ton aide, tout est en ordre, c'est top.
— Avec plaisir. C'était cool. À plus tard.
— Amuse-toi bien et bonne soirée.
Je referme les volets tout en laissant les fenêtres ouvertes pour aérer l'appartement durant la nuit et je regagne le loft. Je ne sais pas si Antoine sera là ou non, et à vrai dire je m'en moque. Dans quelques jours, je déménagerai ici, et tirerai pour de bon un trait sur notre relation.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro