Chapitre 17. Petit à petit, l'oiseau change de nid
(vendredi 30 juin 2023)
Ah les vacances, enfin ! Je les ai attendues comme le messie et elles sont arrivées, pour ma plus grande joie. Les deux semaines écoulées n'ont pas été de tout repos. Entre le boulot, les travaux de l'appartement, et ma virée dans le Lot le week-end dernier pour rendre visite à ma mère, j'en ai bavé. Je suis sur les rotules. Jouer la comédie, ça va cinq minutes, mais à la longue, c'est éreintant. D'autant plus qu'Antoine s'est mis martel en tête de me reconquérir une fois de plus. Il est sans arrêt après moi, à me complimenter et à me proposer des sorties ou des activités « en amoureux ». Je t'en foutrais de l'amour, enfoiré ! Il doit surtout sentir que le vent tourne. Et il n'est pas au bout de ses peines, la tempête approche.
J'ai tâché de le croiser le moins possible ces derniers temps, exception faite des nuits. Si pendant quelques jours, j'ai pu me cacher derrière l'excuse de la canicule pour déserter le lit conjugal, lundi j'ai eu la surprise de découvrir qu'Antoine a fait installer une climatisation à l'étage du loft. C'est donc en freinant des quatre fers que j'ai réintégré notre chambre et les bras de mon futur ex, plus collant qu'un tube de glu. J'arrive à esquiver ses tentatives désespérées d'obtenir mes faveurs, prétextant de la fatigue ou tout simplement ne pas en avoir envie. Il n'a qu'à solliciter sa maîtresse pour les parties de jambes en l'air, Bobone n'est pas d'humeur à écarter les cuisses.
Malheureusement, plus j'essaie de m'éloigner de lui et plus il se rapproche de moi. Se doute-t-il que je suis au courant de son adultère et que j'ai l'intention de le quitter ? Ou bien s'imagine-t-il simplement qu'il peut me garder sous sa coupe en étant mielleux et attentionné ? J'aurais tendance à opter pour la deuxième explication. Je le connais à force. Il a toujours eu une haute estime de sa personne, il lui est donc inconcevable que je puisse le larguer.
Curieusement, il est de moins en moins retenu après le travail ces derniers temps. Y aurait-il de l'eau dans le gaz avec sa maîtresse ? Ni une, ni deux, j'ouvre Instagram pour jeter un œil aux nouvelles sur le profil de Victoire. Et là, je découvre pour mon plus grand plaisir les publications déchirantes et niaises au possible de cette âme démunie qui visiblement s'est fait plaquer quelques heures plus tôt dans la journée. Zut alors, la pauvre... Quel goujat, cet Antoine ! Il aurait au moins pu attendre qu'elle ait terminé son stage au cabinet...
— J'ai envie d'un resto ce soir, ma puce. Ça te tente ? me propose Antoine en franchissant le seuil du loft, un bouquet de roses rouges à la main.
Il ne manquait plus que ça. Comme si ma journée n'avait pas été assez merdique après m'être embrouillée sévèrement avec un de nos plus gros clients, voilà qu'Antoine est sujet à une poussée de romantisme.
— J'ai déjà mangé. Je m'apprêtais à prendre une douche et à aller au lit. Je vais avoir pas mal de boulot les jours prochains.
— Quoi ? Mais tu n'es pas en congé ?
— Si, cependant, j'ai de quoi faire à l'appartement. J'attaque les peintures.
— Pourquoi tu n'embauches pas une entreprise ? On pourrait en profiter pour partir tous les deux.
Zut, c'est vrai qu'il a posé des congés lui aussi. Oh l'angoisse ! Je vais l'avoir sur le dos toute la semaine.
— J'ai déjà dû faire venir un plombier et un électricien pour contrôler et remettre aux normes les installations. Ça m'a coûté un petit billet et je n'ai pas envie de cramer toutes mes économies non plus, alors que je peux terminer les travaux moi-même.
— OK, dans ce cas, je vais t'aider.
Pincez-moi, je rêve ! Il va neiger en juillet cette année.
— Ne le prends pas mal, mais je t'imagine difficilement avec une ponceuse ou un rouleau de peinture à la main, je pouffe de rire. Il vaut mieux que tu t'en tiennes à faire ce pour quoi tu es bon.
C'est à dire pas grand-chose...
— Tu n'es pas obligée d'être désagréable, riposte-t-il, vexé. Je fais mon possible pour qu'on passe du temps ensemble, alors que toi, tu me fuis par tous les moyens.
Bien observé. Il n'est peut-être pas si con que ça finalement. J'ai intérêt à être vigilante si je ne veux pas qu'il découvre mes plans.
— Mais non, qu'est-ce que tu vas t'imaginer encore ? Je préfère me débrouiller seule, il n'y a pas de mal à ça ? Et puis, tu n'avais pas prévu une sortie voilier avec ton père ?
— Si, mais j'aurais aimé que tu viennes avec moi.
Roh, bordel, il va finir par me lâcher la grappe ? Ma jauge de diplomatie est bientôt épuisée...
— Impossible, tu sais bien que j'ai le mal de mer. Il te reste des lasagnes dans le frigo, si tu veux.
Je coupe court à la conversation en éteignant mon ordinateur et récupère mon téléphone, avant de monter à l'étage. J'entends Antoine rouméguer dans le salon et je ris intérieurement. Il est loin de se douter de ce qui l'attend.
***
Sept heures du matin. Réveil en fanfare. Enfin pas pour moi. À vrai dire, je suis éveillée depuis un moment, cependant, la perspective de saboter la nuit de sommeil d'Antoine était trop belle. J'ai ainsi choisi de laisser sonner mon téléphone alors qu'au fond, j'aurais pu m'en passer.
— Mmmhhh... ma puce. Éteins ce truc, marronne Antoine, la tête dans l'oreiller.
Je bascule sur le côté et saisis mon portable pour couper le réveil, le sourire aux lèvres, ravie de l'avoir ennuyé une fois de plus.
— Pourquoi tu te lèves si tôt ? C'est les vacances en plus. Reste un peu au lit avec moi, ajoute-t-il en m'attirant contre lui.
Beurk, jamais de la vie ! Ce n'est pas parce qu'il a plaqué sa pouffe qu'il peut s'imaginer que la vie va reprendre son cours comme avant. Son téléphone a vibré toute la nuit. Je suis certaine que Victoire a dû le harceler de messages.
— Non, lâche-moi. J'ai plein de choses à faire, je n'ai pas le temps pour un câlin.
Et surtout pas l'envie.
J'ai deux semaines de congés que j'entends bien mettre à profit pour achever tous mes travaux, ou du moins le plus gros, et ainsi pouvoir quitter Antoine et ce loft que je ne supporte plus.
Je passe sous la douche en vitesse et avale un petit-déjeuner copieux, puis je rejoins mon père, avec lequel j'ai prévu d'aller acheter du matériel et de la peinture.
Étant donné la superficie de l'appartement, j'ai décidé de refaire en priorité la cuisine, le séjour, le salon, ainsi que le dressing et une des trois chambres. La salle d'eau et les WC sont dans un bon état. Je n'aurais qu'à y mettre un coup de propre. Pour le moment, les autres pièces resteront vides avec des murs blancs. Autant dire que deux semaines à plein régime ne seront pas de trop pour venir à bout de tout ce chantier.
Neuf heures pétantes. Je trépigne devant l'entrée du magasin, guettant l'ouverture. À ma décharge, je ne suis pas la seule étant donné que nous sommes en période de soldes. Entre le matériel pour poncer et nettoyer les murs, la peinture, la paroi de douche vitrée pour la salle d'eau, les produits pour laver et nourrir les planchers massifs, sans oublier tous les petits trucs à côté que je n'ai pas notés, mais dont la nécessité de les acquérir me paraîtra évidente dès que je les verrais, je ne suis pas certaine que le camion de location sera suffisamment grand pour tout y entasser.
Heureusement pour moi, j'ai le père le plus formidable qui soit, de très bon conseil et surtout doté d'une patience incommensurable. Il est plus de treize heures, lorsque nous quittons le magasin, l'utilitaire plein à craquer. Bien entendu, je n'ai pas pu résister à l'envie d'acheter des tringles à rideaux, des voilages en gaze de coton, des tapis, de nouveaux luminaires...
— Franchement, chérie, avais-tu vraiment besoin de dépenser autant pour de la déco ? Ce n'est même pas toi qui vas en profiter, se plaint mon père alors que nous terminons enfin de tout ramener dans l'appartement. Sans compter que pour l'instant, il n'y a pas les meubles.
Oups, comment te dire Papa...
— Je sais, c'est une petite folie. Je souhaite que mes futurs locataires se sentent ici comme chez eux.
— Mouais, tu es bien la fille à ton père, commente Elias en toquant à la porte pour annoncer son arrivée.
— Oh, tu as pu venir finalement ! Je suis trop contente de te voir !
Je lui saute au cou et le serre dans mes bras. Étonné par mon brusque élan d'affection, Elias me rattrape au vol et m'accueille contre lui.
— Je vais vous laisser les jeunes. J'ai rempli ma part du contrat, vous avez du boulot qui vous attend.
— Encore merci pour ton aide, Papa. Grâce à toi, j'ai tout ce qu'il me faut.
— Eh bien, bon courage ! À bientôt, ma chérie.
J'embrasse mon père, tandis qu'il serre la main à Elias, puis il nous quitte, visiblement ravi de ne pas avoir à se lancer dans les travaux après avoir passé quatre heures avec moi dans le magasin.
— Alors, prête à retrousser tes manches ?
— Vise un peu la tenue.
Je me dandine devant Elias en grimaçant.
— Mazette ! Ce petit short te va comme un gant ! Et je ne sais pas où tu as trouvé ce T-shirt, mais je veux le même. J'adore ce groupe en plus.
— Quoi ? Elias de Warren écoute Déportivo ?
— Bien sûr, qu'est-ce que tu crois ?
À vrai dire, rien. Je me rends compte que je ne connais pas tant de choses que ça de son enfance, ni même de sa famille.
— Bon, on s'y met ? Je vois que tu as troqué ton habituel costume pour une tenue bien plus décontractée.
Je le détaille des pieds à la tête. Bermuda en lin, polo et baskets. Ça change de d'habitude.
— Hep ! Arrête un peu de me reluquer comme ça, si tu ne veux pas que je te saute dessus, plaisante-t-il avec un sourire à faire se pâmer un troupeau de jouvencelles.
Je rougis comme une débutante et baisse les yeux, prise une fois de plus au dépourvu par Elias, qui ne manque jamais une occasion de balancer des coquineries.
Nous réalisons le tour de l'appartement ensemble et alors que nous sommes dans ma future chambre, son téléphone sonne. Je quitte la pièce pour ne pas le déranger et regagne la cuisine quand j'entends toquer à la porte d'entrée.
— Il y a quelqu'un ?
— Bonjour madame Legrand. Vous allez bien ? Je suis désolée de ne pas avoir pris le temps de venir vous saluer. Je suis overbookée en ce moment.
— Ne t'inquiète pas, Ambre. Et appelle-moi Alice, je te prie. Ça me fait plaisir de te revoir. J'ai appris par ton père que tu comptais réaliser des travaux pour mettre en location ?
— Oui, c'est bien ça. J'espère que les artisans n'ont pas été trop bruyants la semaine passée.
— Pas le moins du monde. Monsieur Fayol, le propriétaire du premier étage ne m'a fait aucun retour quant à des nuisances quelconque.
Elias nous rejoint et salue poliment Alice.
— Je vous présente mon ami Elias. Je ne sais pas si vous aviez déjà eu l'occasion de le rencontrer. Il est venu quelques fois avec moi rendre visite à Babou. Elias, voici Alice Legrand, la gardienne de l'immeuble.
Elle le détaille un moment et fronce légèrement les sourcils, visiblement en pleine réflexion.
— Je me souviens l'avoir vu en effet. Mais, c'est curieux, il me semblait que vous aviez les yeux bruns, non ?
Oups, elle le prend pour Antoine. Ce n'est pourtant pas pour le peu de fois qu'elle a dû le croiser...
— Ah non, il y a méprise. Elias est simplement un ami, vous le confondez sûrement avec Antoine, mon conjoint.
— Juste ciel ! Je suis désolée, déclare Alice, horrifiée par sa bourde.
— Ne vous en faites pas, il n'y a pas de mal, prétend Elias en arborant un sourire en coin qui la fait glousser.
— Je t'ai préparé du café et des petits biscuits, bredouille Alice, ravie de changer de sujet. J'ai pensé que tu en aurais besoin pour te donner du courage. Tu es bien vaillante de te lancer dans les travaux.
— Je suis en congé pour deux semaines, je vais avoir le temps. Et puis il n'y a pas tant de choses que cela à faire. Babou était très à cheval sur l'entretien.
— C'est vrai, oui. Pourvu qu'il en soit de même avec les futurs locataires du troisième étage, songe-t-elle à haute voix. De nos jours, avec les jeunes, il vaut mieux être vigilant.
— Ne vous inquiétez pas, je suis certaine que tout se passera bien. Il ne faut pas tous les mettre dans le même panier, il y en a beaucoup qui sont très bien.
— Espérons-le, oui. Trois étudiants en colocation, on ne peut jamais savoir ce que ça va donner.
Ah, les préjugés...
— Je leur ferai des rappels de la loi, si nécessaire. N'est-ce pas, Elias ? j'ajoute avec un clin d'œil à l'attention de mon ami qui se retient de rire.
— Bien entendu. Ambre peut se montrer particulièrement effrayante quand elle le désire, commente-t-il d'un air moqueur.
— Bon, je vais vous laisser à vos travaux. Cela m'a fait plaisir de te revoir. N'hésite pas si tu as besoin de quelque chose.
— Je vous remercie, Alice. À bientôt.
Je referme la porte d'entrée et nous échangeons un regard lourd de sous-entendus avec Elias.
— C'est bien la première fois de ma vie que l'on me confond avec l'autre con. Ne me dis pas que je lui ressemble ?
J'éclate de rire et, pour une fois, je ne reprends pas Elias alors qu'il critique Antoine. Au lieu de ça, je nous sers du café dans les tasses en porcelaine qu'Alice a pensé à nous amener.
— Pouah ! C'est quoi ce truc immonde que tu me fais boire ? peste Elias en recrachant dans l'évier.
— Roh, tu exagères. Tu dis ça parce que tu es vexé qu'elle t'ait confondu avec Antoine, c'est tout.
Mais alors que j'en avale une gorgée, je grimace d'écœurement et recrache à mon tour.
— C'est moi qui exagère, n'est-ce pas ? se moque-t-il en tapotant sur le plan de travail.
— Un petit tour au café d'en face ?
— En avant, je te suis.
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