
Chapitre 16. Nostalgie
Ambre
(mercredi 21 juin 2023)
Afin d'attaquer ma nouvelle vie dans les meilleures conditions possibles, j'ai repris le yoga depuis quelques jours et je consacre plus de temps à la salle de bains pour me chouchouter avec des séances de soin cocooning. À cela s'ajoute un petit tour chez la coiffeuse, et me voilà détendue, en totale harmonie avec mon corps. J'ai décidé de changer de look. Exit les cheveux longs qui cascadaient dans mon dos. Place à un carré flou qui met en valeur mes ondulations. Les compliments reçus de la part de mes proches et de mes collègues me confortent dans l'idée que j'ai bien fait. Même Antoine trouve que j'ai l'air plus épanouie, plus jeune. Et en jeunette il s'y connaît, le bougre ! Mon bien-être intérieur doit me rendre attirante, à en juger les regards flatteurs d'anonymes qui se posent sur moi dans l'espace public. Bon OK, il y a sûrement quelques tordus dans le tas, cependant cela fait toujours plaisir, tant qu'ils n'essaient pas de me tripoter en douce.
Ayant des heures à récupérer, j'ai pris mon après-midi afin de trier les affaires dans l'appartement de Babou. Il est temps de rebondir et d'avancer dans mon projet. J'établis une liste de ce que je désire garder ou non et je prends contact avec des associations qui revalorisent les meubles, vêtements et linge de maison dont on n'a plus l'utilité chez soi. Je plie et entrepose dans des sacs tout ce qui partira, excepté quelques cardigans et foulards que j'aimais bien chiper à Babou de temps en temps.
Je référence tout le mobilier que je souhaite évacuer et mets de côté tous les souvenirs précieux et documents témoignant de notre histoire familiale. Le moins que je puisse dire, c'est que Babou avait des goûts très éclectiques. Ou bien la flemme de se débarrasser des antiquités héritées des générations précédentes. En tous les cas, hormis l'électroménager, quelques bibelots, les meubles de cuisine, le bureau et le fauteuil Chesterfield de Papy Ernest ainsi que la vieille malle de voyage Vuitton qui a dû faire trois fois le tour du monde, je compte remeubler l'appartement de A à Z.
Dans mon ancienne chambre, je mets la main sur bon nombre d'objets datant de mes jeunes années. Je reste un moment, agenouillée devant l'armoire, à redécouvrir ces trésors que je pensais perdus à jamais et que Babou avait en réalité soigneusement gardés : mon doudou écorché et rafistolé à de multiples reprises, toute une collection de babioles dont la seule valeur est sentimentale, des photos de l'époque du lycée et de l'université, ainsi que mes fameux « T-shirts de révolutionnaires » achetés chez Goéland et mes antiques boots, pas si dézinguées que ça en fin de compte. Remettre la main sur tous ces souvenirs me plonge dans la nostalgie et je compose aussitôt le numéro de ma vieille amie devenue parisienne.
— Allô, Saskia ? je l'interpelle en démarrant un appel visio.
— Oh, ma chérie !
— Je te dérange ?
— Pas le moins du monde.
J'aperçois des gens qui parlent autour d'elle et il me semble qu'elle a revêtu sa robe noire. Je ne tombe pas au bon moment.
— Mais attends, tu es où là ?
— Au tribunal, je viens de plaider dans une affaire de meurtre, répond-elle avec détachement en s'allumant une cigarette. Alors quoi de neuf ?
— Tu préfères que je te rappelle plus tard ?
— Non, ne t'inquiète pas. Il y en a pour des heures avant que les vieux se prononcent.
— Tu ne changeras jamais. Zéro respect pour la magistrature !
— Que veux-tu ? Je suis comme ça, je n'y peux rien. Dis donc, tu as une mine radieuse. Et tu as fait couper tes cheveux ?
— Décidément, aucun détail ne t'échappe Sherlock. Tu me trouves comment ?
— Encore plus canon ! Je rêve ou tu es dans ta chambre d'adolescente ?
— Tu ne rêves pas. Et regarde ce que j'ai retrouvé soigneusement rangé par Babou. Ce n'est pas complètement dingue ? je m'extasie en filmant tous les souvenirs éparpillés autour de moi.
— Elle avait tout gardé ?
— Ouais. Tu as vu nos trognes sur ces photos ? Et figure-toi que je rentre encore dans ces fringues en plus.
— M'est d'avis que ça ne plaira pas à Antoine, ni à tes collaborateurs. Tu risques de détonner un peu par rapport à l'image de marque du très guindé cabinet Barlowski, pouffe-t-elle de rire en recrachant la fumée blanche.
— Eh bah, tu sais quoi ? Je m'en fous. On n'a qu'une vie et de toute façon, j'envisage de changer de cap.
— Quoi ? s'insurge-t-elle à l'autre bout du fil, les yeux ronds comme des soucoupes. C'est une blague ? Où est passée Ambre Jaeger, mon amie juriste si à cheval sur les convenances sociales ?
— Il se pourrait qu'elle disparaisse du paysage, ma poulette. J'en ai marre de toutes ces simagrées, de subir la pression de tous ces bourgeois arrogants obnubilés par l'argent. J'ai besoin de simplicité, de revenir aux choses essentielles.
— Hep minute, ma vieille ! C'est bien beau tout ça, néanmoins comment comptes-tu t'y prendre ? Et puis changer de boulot, OK, mais pour faire quoi après ? Je te rappelle qu'on ne vit pas au pays des Bisounours.
— J'ai envie d'être mon propre patron.
— Ambre, tu es sûre que ça va ? Je ne te reconnais pas. Enfin, si. Disons que je retrouve ma meilleure amie d'il y a quinze ans. Tu sais que tu peux tout me dire, hein ?
Saskia est trop forte. Elle a toujours pu lire en moi comme dans un livre et interpréter les messages entre les lignes. Je prends une profonde inspiration avant de lui balancer l'information capitale.
— Antoine me trompe. Je vais le quitter, je lâche d'un trait en vidant l'air de mes poumons.
Saskia échappe un cri aigu à l'autre bout du fil, la bouche grande ouverte comme si sa mâchoire s'était décrochée.
— T'es sérieuse ?
— Oui, je l'ai découvert le soir de mon anniversaire, lorsque nous étions en boîte de nuit. Il y était aussi avec sa pétasse.
— Malheur, demain je saute dans le train et je descends lui dégommer sa petite gueule de bobo ! J'ai toujours su que ce type ne valait rien, mais alors là, c'est le pompon ! Je te jure qu'il va ramasser pour toutes les blessures qu'il t'a infligées depuis des années.
— Calme-toi, tigresse. Je t'assure que ça va. Je gère la situation et crois-moi, il va le regretter pour le restant de ses jours.
— Permets-moi d'en douter. Tu es tellement gentille, tu ne ferais pas de mal à une mouche, grommelle-t-elle en grimaçant. Tu vis toujours avec lui pour le moment ?
— Oui, mais plus pour très longtemps. Dès que j'ai terminé les travaux, je le quitte et je reviens m'installer dans l'appartement.
— Pas de Airbnb, alors ?
— Et non, c'était une diversion. Écoute, je te demande juste une chose, garde ce secret pour toi. Personne d'autre n'est au courant.
— Pas même Elias ?
— Surtout pas Elias. Tu sais comment il est, j'ai peur que ça finisse par vraiment partir en cacahuète pour de bon entre Antoine et lui. Et je ne veux surtout pas lui causer du tort.
— Bon OK, je tiendrai ma langue, mais promets-moi à ton tour que tu vas prendre soin de toi, d'accord ?
— Bien sûr, ne t'en fais pas. Souviens-toi notre adage de jeunesse : t'inquiète paupiette...
— Je gère la fougère !
Nous éclatons de rire à l'énumération de cette vieille réplique qui nous transporte de nombreuses années en arrière et quelques larmes nous échappent à l'une comme à l'autre.
— Tu me manques, Saskia.
— Tu me manques aussi, Ambre. Je vais devoir te laisser, ma cliente me cherche de partout. Je t'embrasse ma chérie, on se rappelle très vite.
— Ça marche ! Prends soin de toi.
Nous raccrochons et je me sens encore mieux. Me confier à Saskia m'a libérée d'un poids. Je n'avais pas vraiment prévu de lui avouer la vérité avant de quitter Antoine, mais finalement, je ne regrette pas de l'avoir fait.
Je range mes fringues tout droit sorties d'une autre époque dans un sac, bien décidée à les porter à nouveau. Bon OK, peut-être pas au bureau, plus pour traîner à la maison ou en virée.
Il est déjà tard lorsque je termine ma besogne. J'ai passé quelques coups de fil et l'appartement sera quasiment vide d'ici fin de semaine. J'ai aussi pris contact avec un plombier et un électricien recommandés par Elias. Ils doivent venir sur place dès vendredi pour faire un diagnostic des travaux à réaliser.
Peu après, je rejoins Elias et nous sortons en ville pour profiter d'un moment entre amis des plus réjouissants. Du vin, des tapas, des conversations légères en compagnie de parfaits inconnus avec qui nous sympathisons, de la bonne musique, des danses endiablées. La recette idéale pour passer une soirée agréable. Sans surprise, quand je rentre au loft vers minuit, Antoine n'est pas là. Il n'a même pas pris la peine de me laisser un message pour m'informer qu'il dînait avec des clients, sous-entendu qu'il retrouvait sa maîtresse, mais peu m'importe. Il peut bien s'envoyer toutes les greluches du pays, désormais, ce ne sont plus mes affaires.
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