Chapitre 15. L'inventaire de ma vie
Les larmes essuyées, je regagne le loft, le cœur léger et plus motivée que jamais à mettre de l'ordre dans ma vie. Je compte bien dès ce week-end m'atteler aux travaux pour transformer l'appartement de mon enfance afin de m'y établir. Lorsque je passe la porte d'entrée, je saisis Tanit dans mes bras et nous valsons toutes les deux dans le salon.
— Sois un peu patiente, minette, on va bientôt rentrer à la maison toutes les deux. Laisse-moi juste le temps de régler quelques affaires avant.
Tanit ronronne contre moi tandis que mon cœur bat à vive allure alors que je suis en proie à l'euphorie. Mon ventre gargouille et je percute qu'il n'est pas loin de vingt-et-une heures. Normal que j'ai faim.
J'engloutis une salade de crudités avant de prendre une douche, puis je m'installe sur la table du salon avec mon ordinateur portable afin d'énumérer les choses que je compte garder ou bien me débarrasser dans ma nouvelle vie.
Pour commencer, j'établis une liste de tous les cadeaux qu'Antoine m'a offerts, notamment les bijoux. Au vu de la pile non négligeable de colliers, bagues et boucles d'oreilles que j'ai amassés grâce à lui, nul doute que je vais pouvoir récupérer un bon paquet de billets. Car parmi tous les défauts d'Antoine, il y a celui de s'imaginer qu'un homme peut acheter la paix et l'amour avec des présents luxueux. Et franchement, c'est mal me connaître.
Il est vrai que je les ai portés au début, pour lui faire plaisir, puis ils ont tous terminé entassés dans une boîte, dans un tiroir de la salle de bain, y compris le solitaire qu'il m'a offert quelques semaines auparavant. Le seul bijou qui ne me quitte jamais, c'est le bracelet en argent que m'a offert Babou, il y a des années de cela. Quant à mes bijoux fantaisie que j'aimais tant plus jeune, ils ont été remisés eux aussi, Antoine jugeant que cela faisait trop « beatnik ». Il est certain que s'il m'avait connue encore étudiante, il ne m'aurait même pas calculé. J'avais à l'époque un style bien différent qui n'aurait pas été en adéquation avec l'image de marque du cabinet. Les escarpins et les tenues habillées ont chassé mes jeans larges, mes « T-shirts de révolutionnaires », comme les nommait Papy Ernest, et mes boots dézinguées, avec lesquelles j'ai arpenté les rues bordelaises, lorsque je suis entrée dans le monde du travail.
J'entreprends aussi de faire l'inventaire de tout le mobilier du loft. Encore que... je réalise rapidement qu'en fin de compte, rien ne me plaît vraiment ou n'a de valeur à mes yeux. Et je préfère de loin tout laisser à Antoine plutôt que de m'encombrer d'objets me rappelant l'erreur commise d'avoir partagé un bout de ma vie avec lui. Hormis le contenu de mon dressing et quelques bibelots, je n'aurais donc pas grand-chose à embarquer. Les valises seront vite faites, le moment venu.
— Oh, tu n'es pas encore couchée, ma puce ? constate Antoine en me découvrant debout à près de vingt-trois heures.
— Comme tu peux le voir, non. Ton rendez-vous s'est bien passé ?
Autrement dit, tu l'as bien tirée, ta petite garce ?
— Oui, très bien, merci. Pfiou, cette chaleur est suffocante, se plaint-il en quittant ses chaussures. Je vais aller prendre une douche.
C'est ça, ouais. Va vite effacer les traces de ton infidélité.
Il embrasse le sommet de mon crâne en passant et file à la salle de bain. J'en frissonne de dégoût. Il ne va pas falloir que cette situation dure trop longtemps quand même, ça va devenir compliqué de faire semblant.
La chaleur qui règne sur la ville et dans notre loft depuis deux jours est prétexte à ce que je déserte la chambre pour m'installer dans le canapé, m'épargnant ainsi une nuit avec Antoine. Je récupère mon oreiller et un drap à l'étage puis reviens me coucher dans le salon.
— Bah, tu ne dors pas avec moi ? s'étonne-t-il.
— Non, il fait trop chaud.
— Ça ne t'a pourtant pas posé problème jusque-là.
— Peut-être bien, mais j'ai besoin de me reposer, alors je préfère dormir seule. Bonne nuit.
J'éteins la lumière et m'installe dans le canapé avec Tanit.
— Le chat, lui par contre... raille-t-il du haut de l'escalier.
— Bonne nuit ! je répète plus sèchement pour lui intimer de me lâcher la grappe.
Je l'entends soupirer, puis la porte de la chambre se referme. C'est quand même un comble qu'il ose ronchonner parce que je déserte le lit conjugal alors qu'il était encore avec sa maîtresse une heure plus tôt.
Le lendemain matin, je me réveille en pleine forme, prête à affronter ma dernière journée de la semaine. Je me suis un peu déridée par rapport à hier et je décide même d'être gentille avec Antoine en lui préparant le petit-déjeuner. Non plus par amour, par intérêt seulement. Cela le met dans de bonnes dispositions et il me fiche la paix. Sans compter que si je tire la tronche en permanence, cela pourrait éveiller ses soupçons.
Nous arrivons tout sourire au bureau. Antoine s'arrête pour discuter à l'accueil avec Sofia et Victoire et s'informer des nouvelles. Je prétexte avoir une tonne de boulot pour m'échapper en prenant soin d'embrasser mon futur ex sous le nez de sa maîtresse. Quitte à jouer la comédie, autant y aller jusqu'au bout. Et là, je jubile en voyant la grimace de Victoire et la gêne d'Antoine. Ah que c'est jouissif de les faire chier !
Avant d'entamer la journée, rien de mieux qu'un bon café. Je file donc jusqu'à l'espace détente.
— Mais qui apparaît sous mes yeux ébahis ? Ne serait-ce pas mon abeille préférée ?
Je sursaute, surprise par l'arrivée d'Elias, qui rit dans sa barbe, appuyé contre le chambranle de la porte, et je lui adresse un grand sourire.
— Ah, quand même ! Je me demandais s'ils ne t'avaient pas séquestré au bureau de Toulouse.
— Jamais de la vie. Simplement, notre réputation nous précède et je ne compte plus le nombre de coups de téléphone que je reçois chaque jour de la part de nouveaux clients qui veulent se payer nos services. Ce boulot m'épuise, se plaint-il en levant les yeux en l'air.
— Ce n'est pas moi qui te contredirais, très cher. J'ai à peine terminé un dossier que deux autres m'attendent. Je commence à saturer.
— Je te l'ai déjà dit Ambre, tu bosses beaucoup trop. Freine un peu, sinon tu vas finir en burn-out.
— Je sais, malheureusement, je pense qu'il est trop tard. Je me languis des vacances, tu n'as pas idée. Je te fais un café ?
— Volontiers. On mange ensemble ce midi ?
— Avec plaisir !
J'allume la machine et lance la préparation de deux espresso.
— Bon, sinon ? Tu as avancé sur tes projets de travaux dans ton nouvel appartement ?
— Oui, j'y suis passée hier soir. Ça m'a fait bizarre, je soupire d'un air las.
Elias s'approche pour me serrer contre lui.
— Je me doute, mais la vie continue, me rassure-t-il en caressant mes épaules. Ne t'inquiète pas, tu vas gérer et en faire le Airbnb le plus coté de Bordeaux.
J'aimerais pouvoir lui avouer la vérité, cependant il est trop tôt. Pour l'instant, je ne préfère rien révéler de mes plans à quiconque. D'autant plus que la dernière chose dont j'ai besoin, c'est d'entendre mes proches me dire que j'aurais dû les écouter.
— Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? me questionne Antoine en surgissant à son tour dans la salle.
Soudain, l'ambiance devient électrique. Elias s'écarte de moi et ils se fusillent du regard avec Antoine.
— Rien, on en parlera ce soir à la maison, je lâche en quittant la pièce avec mon café.
Antoine ne l'entend pas de cette oreille et me suit jusqu'à mon bureau. Nous entrons et il claque la porte derrière nous. Je m'installe tranquillement, feignant l'indifférence, tandis qu'il me fixe, les bras croisés sur le torse et le visage fermé.
— Tu m'expliques ?
— Quoi donc ?
Je devine à sa mâchoire serrée que mon ton détaché l'agace encore plus.
— Ce dont tu discutais avec l'autre ! Tu as acheté un appartement sans me concerter ?
— Acheter n'est pas vraiment le terme adéquat. Disons plutôt que j'en ai hérité.
— Comment ça ?
— À ton avis ? À quel moment hérite-t-on d'un bien ? je poursuis avec sarcasme.
Réalisant la teneur de sa bêtise, il se radoucit et s'approche de moi.
— Pardon, ma puce. L'appartement de ta grand-mère, je suppose ?
— Oui. J'ai rendez-vous chez le notaire dans un mois avec mon père pour la donation.
— Tu comptes le garder ? On a déjà le loft, pourtant.
Bon Dieu qu'il m'énerve ! Il est toujours à côté de la plaque.
— Évidemment que je compte bien le garder. J'ai grandi dans cet appartement. Je vais y faire quelques travaux et je le mettrai en location sur Airbnb, je le mouche d'un ton sec.
Antoine ouvre la bouche pour répliquer. Je lui coupe l'herbe sous le pied.
— Ne t'inquiète pas pour ton précieux patrimoine, je n'ai pas l'intention de taper dans le compte commun ou de te demander de l'argent. J'ai bien assez d'économies pour m'autofinancer sans problème.
— Mais pourquoi t'énerves-tu comme ça ? Je m'étonne simplement que tu ne m'aies pas parlé de tout ça avant, c'est tout.
— Peut-être que si tu te souciais davantage de ce qui se passe autour de toi, nous aurions eu cette conversation plus tôt, tu ne penses pas ? je réplique sur la défensive.
— Je suis désolé. Tu as raison, une fois de plus, je te néglige, dit-il en m'enlaçant.
— À force, je m'y suis faite, je grogne en le repoussant. Tu m'excuses, j'ai du boulot qui m'attend.
Je lui désigne du doigt la pile de dossiers entassés sur mon bureau pour qu'il comprenne que j'ai d'autres choses à faire que de palabrer avec lui.
— On se retrouve ce midi ?
— Non, je mange dehors avec Elias.
— Pff...
— Quoi, encore ? J'ai bien le droit de déjeuner avec un ami, n'est-ce pas ?
Antoine me fixe en silence.
— C'est quoi alors ton problème ? Tu passes bien tes soirées avec tes clients et je ne dis rien.
— Qu'est-ce qu'il t'arrive, bon sang ? Je ne te reconnais plus depuis quelque temps, s'emporte-t-il à son tour.
— Rien. J'ai simplement décidé de revoir mes priorités dans la vie, c'est tout. À plus tard.
Piqué au vif, Antoine quitte mon bureau sans rien ajouter de plus, en claquant à nouveau la porte. Je tombe dans mon fauteuil en soupirant. Il n'est même pas dix heures et j'ai déjà mal au crâne. Encore une journée sympa en perspective...
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