Chapitre 13. Tout finit par se payer
Après une courte nuit agitée, j'émerge sur les coups des onze heures. Je me réveille et me redresse, m'étire doucement en analysant la situation. Pas de maux de tête ni de courbatures, c'est déjà un bon point. J'ai tout de même la bouche un peu pâteuse et les articulations rouillées. Mon corps me rappelle que je n'ai plus vingt ans, même si j'ai évité par je ne sais quel miracle la gueule de bois.
Je me lève et traîne des pieds jusqu'à la cuisine. En passant devant un miroir accroché dans le salon, j'aperçois ma trogne et laisse échapper un couinement tout en palpant mon visage. Mes yeux bouffis sont cerclés de cernes violacés et mes paupières aussi gonflées que si j'avais été attaquée par une horde de moustiques assoiffés de sang. Quelle horreur, on dirait un monstre !
C'est en entendant les ronflements d'Antoine à l'étage que je suis rattrapée par l'abominable vérité. Je me fige face à mon reflet.
Cocue ! Cocue !
Je. Suis. Cocue. Je l'ai vu, de mes yeux vu.
Et si je suis défigurée, c'est bien parce qu'à cause de ce jean-foutre, que je pensais être l'homme de ma vie, j'ai versé des tonnes de larmes hier soir et n'ai pas réussi à dormir. La voilà, la raison de mon état déplorable.
Mon estomac gargouille bruyamment et je gagne la cuisine pour me préparer un brunch. L'odeur alléchante de la nourriture me stimule et je commence à cogiter sur mon existence, qui a pris un tournant indéniable à mon insu. Après sept années passées avec Antoine, nous avons atteint le point de non-retour. Il a décidé de franchir une limite, de tirer un trait sur tout ce que nous avons partagé ensemble et nos efforts fournis pour surmonter les difficultés, de renoncer à notre couple.
Je croque dans ma tartine. Hum, c'est bon le pain grillé. Cette gelée de coing est un vrai délice.
Me reviennent en mémoire toutes les réflexions formulées par mes proches au cours de ces années. Qu'il s'agisse de ma famille ou de mes amis, ils ont toujours été très durs envers Antoine, pointant du doigt à de multiples reprises son égoïsme, son arrogance et sa manière d'être, si méprisante à mon égard. J'en ai avalé des couleuvres pendant sept ans. Sept longues années passées à tenter d'arrondir les angles, à lui trouver des excuses à chaque fois qu'il se comportait comme un vrai mufle. J'en ai fait des concessions, j'en ai accepté des critiques de toute part. Et pour quoi ? Découvrir que ce sagouin me trompe avec une petite arriviste concupiscente !
Et puis ces œufs brouillés au fromage, un régal !
En fait, le plus dur dans tout cela n'est pas tant que notre couple disparaisse. Je m'y étais plus ou moins préparée ces dernières semaines, guettant le moment où une discussion sérieuse viendrait sonner le glas de notre union. Mon intuition et le comportement d'Antoine m'avaient poussée à douter réellement. Toutefois, j'espérais que nous aurions pu tirer un trait sur notre vie commune proprement, comme des adultes responsables.
Mais Antoine a choisi de me tromper, préférant le mensonge à l'honnêteté. Et cela, je ne le digère pas. Des couples qui se séparent, il y en a pléthore de nos jours. Cela aurait été dur, bien entendu. Il n'est jamais évident de renoncer à celui que l'on a chéri. Or, devoir y renoncer dans ces circonstances attise ma colère. Babou me répétait souvent que ma gentillesse était autant une qualité qu'un défaut. Et elle avait raison. Ma gentillesse m'a conduite à me laisser malmener insidieusement par l'homme que j'aimais, me plongeant à de multiples reprises dans le chagrin. Des larmes, j'en ai versé. Beaucoup trop d'ailleurs. Il est désormais temps que toute cette mascarade cesse. Antoine a voulu se payer ma tronche ? Eh bien, il n'est pas au bout de ses surprises !
Je m'empare d'un couteau et coupe en deux une orange que j'entreprends de presser avec force. Je termine mon petit-déjeuner en me repaissant de son jus aussi sucré et doux que la revanche qui se profile dans mon esprit...
***
Midi. Pas de nouvelles d'Elias et Saskia, ce qui me laisse penser qu'ils sont peut-être encore en train de cuver à l'hôtel. Maintenant que je suis rassasiée, je décide de m'octroyer du temps pour moi. J'ai une sale mine et si je ne fais rien, ils vont prendre peur en voyant ma tête. Et la dernière des choses que je désire, c'est qu'ils me questionnent. Ils ont beau être mes amis, je refuse de leur révéler la vérité, pour le moment du moins. J'ai besoin de temps pour digérer et réfléchir à ma séparation.
Je me prépare un bain aux sels parfumés et verrouille la porte. Pendant que la baignoire se remplit, j'applique un masque à l'argile sur mon visage et mon cou, puis je lance ma playlist des plus grands tubes d'ABBA – qu'Antoine déteste, et je me glisse dans l'eau, bien décidée à profiter de ce moment rien que pour moi. Gimme ! Gimme ! Gimme ! A man after midnight...
— Bon sang, Ambre ! C'est quoi tout ce raffut ? grogne le traître en s'excitant sur la poignée.
Je pousse la chansonnette et monte légèrement le son.
— Ambre ? Pourquoi t'as verrouillé la porte ?
Pour ne pas voir ta tronche ?
— Qu'est-ce que tu dis ? je m'égosille tout en augmentant encore un peu le volume.
— Mais qu'est-ce que tu fous ? Éteins ta musique !
— Quoi ? Je n'entends pas ce que tu me racontes !
La porte de notre chambre claque violemment et je glousse en devinant qu'Antoine doit être agacé par ce réveil en fanfare. Bien fait pour toi, connard !
J'envoie un message à Saskia pour m'assurer qu'Elias et elle sont toujours en vie. Sa réponse ne tarde pas à arriver et elle me propose de nous retrouver en ville une heure après pour un après-midi shopping. J'accepte volontiers. Je n'ai plus mis les pieds dans les magasins depuis longtemps et comme elle doit repartir très tôt sur Paris demain, je tiens à profiter d'elle le plus possible.
Je me prélasse un moment dans mon bain et quand je quitte enfin la salle d'eau, je tombe sur Antoine, en caleçon et les paupières collées. À première vue, il n'a pas échappé à la gueule de bois et je m'en réjouis en mon for intérieur. Le karma a frappé.
— Ça va, ma puce ? demande-t-il en tentant de m'embrasser tandis que je l'esquive telle une anguille en filant jusqu'au dressing.
— Oui, et toi ? Bien dormi ?
J'enfile une petite robe légère et des sandales. Parfait pour un marathon shopping.
— Pas assez. Je suis désolé, je suis rentré très tard cette nuit. Les clients ont tenu à poursuivre la soirée après le dîner.
Les clients. C'est ça, ouais, prends-moi pour une buse.
— Ça arrive, je suppose.
— Tu as prévu des choses cet après-midi ?
— J'ai rendez-vous avec Saskia dans une demi-heure.
— Saskia est à Bordeaux ? En quel honneur ? s'étonne-t-il.
— Elias et elle m'avaient préparé une surprise hier soir. Tu te souviens quel jour on était, n'est-ce pas ? je réponds avec une pointe d'ironie dans la voix en serrant les poings.
— Oh merde ! J'ai complètement oublié ton anniversaire.
— Sans blague...
— Je suis désolé, ma puce. Ce soir, je t'emmène où tu veux, commence-t-il, en s'emparant de ma main.
Ce simple contact me répugne et je me libère pour vite quitter la maison. Si je n'avais pas découvert la vérité, j'aurais été capable de l'excuser, une fois de plus, en mettant cet oubli sur le compte de la charge de boulot. Personne n'est à l'abri de zapper une date.
— Inutile. Et de toute façon, je passe la journée avec Saskia avant qu'elle rentre à Paris, je réplique, cinglante, sans même un regard pour lui.
— Ambre. Attends, ne pars pas si vite. On pourrait peut-être...
Se dire adieu ?
— Une autre fois, là je n'ai pas le temps, je clame en descendant les escaliers.
J'attrape mon sac en passant et claque la porte d'entrée derrière moi. Une fois à l'extérieur, je respire un bon coup, contente d'avoir réussi à jouer la comédie. J'ai bien l'intention de prendre ma revanche et je vais devoir être forte pour cela. Quand j'en aurai fini avec lui, il comprendra ce que c'est que de passer pour un con.
***
— Ah ! Quand même ! On se demandait si tu n'allais pas nous faire faux-bond ce soir, s'exclame Saskia à l'attention d'Elias tandis qu'il surgit dans le bar.
— Eh oh, doucement. Je tiens toujours mes engagements, je te signale, réplique-t-il tout en nous faisant la bise.
— Bon, alors ? Tu as réussi à te remettre de cette nuit ? Pas simple, on n'a plus vingt ans, n'est-ce pas ? le raille-t-elle.
— Je te l'accorde. À vrai dire, je n'ai rien foutu de ma journée, hormis un coup de fil avec un client qui m'a bombardé d'appels, à peine je passais la porte de chez moi. Et vous ? Je vois que vous avez dévalisé les magasins, ajoute-t-il avec un sourire en jetant un œil aux sacs éparpillés près de nous.
— Oui, c'était très sympa. On s'est remémoré nos années étudiantes où l'on bavait devant les vitrines parce qu'on n'avait pas les moyens. Vous avez envie de quoi ce soir ? Resto ? Ou bien on reste là à boire des coups en s'empiffrant de tapas et en commérant comme des petites vieilles ? je propose à mes deux acolytes.
— Je vote pour les tapas, clame Saskia. Surtout qu'il y a quelques beaux spécimens mâles qui viennent d'entrer à l'instant.
Celle-ci alors ! Elle est incroyable. Je suis son regard pétillant ; force est de constater qu'elle a raison. La faune masculine présente dans l'établissement est pour le moins intéressante.
— Et au fait, le petit barman de cette nuit ? lui rappelle Elias.
— Mignon, mais trop jeune. J'ai besoin d'un homme, un vrai, ajoute-t-elle avec un rictus carnassier.
— Je te proposerais bien mes services, mais je crains de ne pas être au mieux de ma forme, se lamente-t-il, une main sur le cœur et un sourire charmeur aux lèvres.
— Sans façon, mon vieux.
— Vous voulez que je vous laisse peut-être ?
— Roh, mais non, bichette. Tu sais bien que je ne couche qu'avec des blonds en plus, s'esclaffe-t-elle.
— C'est vrai, maintenant que tu le dis... je concède en ayant l'air de réfléchir.
Nous éclatons de rire tous les trois. Si seulement, nous pouvions partager plus de moments comme celui-ci. Certes, Saskia est à Paris et nous nous voyons peu à cause de la distance, du boulot et des aléas de la vie, mais je pourrais passer plus de temps avec Elias. Jusque-là, j'évitais que cela n'arrive trop souvent, par égard pour Antoine. Mais à quoi bon désormais ? Si l'envie me prend de sortir avec mon ami, je ne me priverai plus, que cela lui plaise ou non. Je pourrais rencontrer du monde, m'extirper de mon train-train quotidien bien trop fade. Je n'ai que faire des états d'âme d'Antoine, sachant que je ne m'éterniserai pas avec lui encore bien longtemps. J'attends simplement le moment adéquat pour le quitter.
— Au fait, maintenant que tu as hérité de l'appartement de ta grand-mère, qu'est-ce que tu vas en faire ? m'interroge Saskia.
— Très bonne question. Antoine ne voudra jamais s'y installer et je ne compte pas m'en séparer. Peut-être le louer en Airbnb ? Vous en dites quoi ?
— Ça me paraît être une excellente idée. Il est idéalement situé, ça serait dommage de ne pas le garder, approuve Elias. En plus, la demande est forte dans ce quartier.
— C'est ce que je pense aussi. Par contre, je vais sûrement avoir quelques travaux à y faire et cela risque de m'occuper un moment.
— Tu ne peux pas embaucher des entreprises pour ça ? suggère Saskia.
— Si, pour certaines choses, je serai obligée, mais tu sais bien que j'aime me servir de mes dix doigts pour les activités manuelles.
— C'est vrai. En plus, tu as toujours été douée pour ça.
— Si tu as besoin, je connais des professionnels qui te feront du super boulot, ajoute Elias.
— Merci les amis. J'ai une chance inouïe de vous avoir tous les deux, je déclare, la gorge nouée et une petite larme au coin de l'œil.
Saskia m'enlace par l'épaule et je me ressaisis très vite pour ne pas flancher, puis nous commandons une bouteille de vin et des tapas.
Passer du temps avec eux chasse Antoine et sa trahison de mon esprit. Nous papotons tant du travail, que des à-côtés. La rénovation de l'appartement occupe notre conversation un moment et mes amis ne manquent pas d'idées à me suggérer pour le remettre au goût du jour. Je prends bien soin d'éviter de mentionner mon futur-ex et nous profitons ainsi d'une soirée agréable et riche de fous rires, qui participe activement à la hausse de mon moral. Saskia devant prendre le train avant huit heures le lendemain, nous la raccompagnons peu avant minuit jusqu'à son hôtel, puis Elias me dépose en voiture devant chez moi.
— Ah quand même ! s'exclame Antoine au moment où je passe la porte, les bras chargés de mes emplettes. Tu aurais pu me prévenir.
Quel culot !
— Dis donc, c'est l'hôpital qui se fout de la charité là, non ? Tu m'as prévenue toi peut-être, que tu ne rentrerais pas avant six heures du matin la nuit dernière ? je m'agace en le fusillant du regard.
— Pardon, excuse-moi. Je n'ai pas l'habitude que tu rentres si tard, je commençais à m'inquiéter.
— Eh bien, il faudra t'y faire, parce que j'ai décidé de changer mon mode de vie. J'en ai marre de rester à la maison à t'attendre, pendant que toi, tu sors avec tes clients.
— Mais enfin, ma puce, qu'est-ce qui t'arrive ? Pourquoi tu t'énerves ? réplique Antoine, abasourdi par mon nouveau côté rebelle.
— Je ne m'énerve pas, c'est juste un constat. Alors, à partir de maintenant, ne t'étonne pas si je profite de mon côté, moi aussi.
— Aucun problème. Je ne t'ai jamais empêché de faire quoi que ce soit.
Le pire, c'est qu'il a raison. La cage dorée, je m'y suis enfermée toute seule pour tenir le rôle de la compagne aimante et conciliante.
— Je suis fatiguée. Je vais me coucher, je lâche en soupirant.
— Je te rejoins dans quelques minutes.
Je m'assure que Tanit a de quoi manger, puis je monte à l'étage avec mes sacs. Je fais un détour par la salle de bain pour me démaquiller et enfiler un pyjama, avant de me glisser sous la couette.
Si je veux jouer la comédie à la perfection le temps de mettre un terme à notre histoire, il faudra que j'accepte de partager le lit conjugal, bien que ce ne soient pas les petites attentions ou le sexe qui nous aient le plus réunis ces derniers temps. Faire semblant ne devrait donc pas être bien compliqué.
J'éteins la lumière et m'installe confortablement en écoutant les ronronnements apaisants de Tanit, qui roupille dans le fauteuil près du chevet. Antoine me rejoint peu après et je fais mine de m'être endormie pour ne pas avoir à lui parler. Il vient se coller contre moi, m'enserre par la taille et cale son nez dans ma nuque.
— Bonne nuit, ma puce, je t'aime, me chuchote-t-il à l'oreille.
Dans l'obscurité, j'ouvre grand les yeux, stupéfaite de l'aplomb avec lequel il ose prononcer ces mots à mon égard alors qu'il me trompe. Je veille cependant à demeurer immobile et à respirer profondément pour ne pas éveiller ses soupçons, même si, intérieurement, je bous. Je meurs d'envie de lui balancer à la tête toute la haine et le dégoût qu'il suscite en moi. Patience, Ambre, tout finit par se payer un jour ou l'autre. Et en ce qui concerne Antoine, c'est pour bientôt.
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