3- Don't play with my emotions.
Ne joue pas avec mes émotions.
Ma vie craint comme pas possible. Durant tout le week-end, j'ai sérieusement fait la gueule à mon père et le mutisme de Jacques sur cette estrade m'a foutu dans un état morose. Il n'avait même pas daigné se justifier et s'était contenté de me regarder avec son air de chien abattu ! Personne, vraiment personne, ne se souciait de moi dans cette famille. Pas même ma mère qui n'avait plus donné de ses nouvelles depuis une semaine.
Et vous savez quoi ? J'ai fais une grève de la faim ce week-end, et je l'ai regretté aussitôt parce que mon père ne m'a même pas accordé une seconde d'attention. Si Juliette n'était pas venue dimanche soir dans la chambre pour me forcer à manger, je serai certainement déjà dans l'au-delà. Casher aussi, étonnement, s'était inquiété pour moi. Ce petit garnement pouvait se montrer très mignon quand il ne faisait pas de caprices !
Sinon, voilà que ce matin, mon père s'était envolé une fois de plus pour aller signer un énième contrat, juste avant que je ne me décide à lever le campement. C'est donc avec une heure de cours manquée que je franchis les portes du lycée St. Joseph, la tête haute. Pile poile au moment de l'inter-cours. Je marche avec assurance, mes cheveux blond voltigeant dans le vide, et mes Dr.Martens entrechoquant le sol tels des taillons aiguilles.
Tous les regards sont dirigés vers moi mais honnêtement ? I don't give a fuck. Ce n'était pas quelques minutes de honte qui allait me déstabiliser, sérieusement. Ils n'ont qu'à me surnommer, après la scène VIP que je leur ai offerte vendredi, « B. la fille qui fait pitié ».
Le groupe de Barry s'interpose soudainement sur mon chemin, tous croisant les bras sur leur poitrine ou les enfonçant dans les poches de leurs jeans délabrés. Barry White, c'était le capitaine de l'équipe de football américain du lycée. Un vrai merdeux — parfois cool.
Il m'avoue en même temps qu'une lueur machiavélique traverse son regard poivré :
— Je savais pas que tu pouvais être si sexy sur scène, encore moins quand tu fais une sortie spectaculaire, Brook.
Ses acolytes se marrent tandis que moi je roule des yeux, déjà agacée par cette matinée.
— Barry, j'ai pas vraiment le temps là, j'ai déjà raté une heure de cours... Celui de M. Carmidès en plus, grogné-je dans ma barbe.
M. Carmidès m'a dans le viseur en ce moment. C'était une folie d'avoir manqué la première heure de son cours et je n'avais pas d'excuse valable. Quel bon merdier.
— On se voit à la cafète ? dit-il en me contournant non sans me lancer un bye bye du menton.
J'affiche tout de suite mon désenchantement vis-à-vis de sa proposition et Barry le note sans tarder.
— Allez quoi, Brooklyn. Fais-nous l'honneur de manger avec nous pour une fois !
➰➰➰
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Je ne sais pas si j'ai réellement l'envie d'assister à ce cours, le chapitre étant sur Shakespeare, et sans parler de la mauvaise position dans laquelle je suis. Je sais que c'est complément puéril de ma part étant donné que l'œuvre étudiée n'est plus Roméo & Juliette mais, rien que le fait d'évoquer le nom de l'auteur de cette œuvre me mettait en rogne. Je donne trois petits coups sur la porte, avant de presser la serrure et de l'ouvrir minutieusement. Je me confonds en excuse devant M. Carmidès qui n'hésite pas à me clouer sur place.
— Ce n'est pas la peine de gaspiller votre salive, mademoiselle Lutson. Allez vous asseoir, dit-il sans m'accorder plus d'attention.
M. Carmidès était vraiment un Gentil, vraiment, mais je ne peux pas démentir le fait qu'il m'est déçue en me collant l'autre fois. Je le considérais comme le professeur le plus chouette de l'univers, moi ! Malgré cela, c'est tout en joie que je me dirige vers ma place habituelle : rangée du milieu et troisième table; bien au centre, là où les regards des professeurs se dirigent le moins. À cette place, vous n'êtes ni dans la catégorie des gens qui cherchent à éviter d'être interrogés ni dans celle de ceux qui cherchent à l'être. C'est le Je-m'en-tape's Land ou encore le Je-me-fais-juste-acte-de-présence's Land. Lorsque je prends place, je remarque que Riley bidule qui d'habitude occupait la table du fond est à présent assise à ma gauche. Wow, what happened ?
Je lève un sourcil inquisiteur dans cette direction, et cette dernière me répond :
— Figures-toi que ton "prétendant sédentaire", Jacques, a piqué ma place, marmonne-t-elle.
Putain, c'est le seul mot que j'ai envie de placarder sur mon front actuellement. Comment j'avais pu rater ses cheveux blonds visibles à des milliers de kilomètres ? J'étais si paumée que ça, ce matin ? Je pivote lentement la tête, et c'est à mon malheur que je tombe directement face to face sur les iris de Jacques qui m'électrocutent sur place.
Il me sourit, serein, et va même jusqu'à me faire un signe de main. Je me retourne en un éclair et manque de crier ce putain à haute voix mais je réussis à le retenir dans ma gorge, préférant plutôt l'articuler silencieusement. J. ne blaguait pas quand il disait être revenu définitivement.
Le cours de Mr.Carmidès a été un enfer. J'étais crispée toute l'heure, sans prononcer un mot. A un moment ma vessie a réclamé une évacuation mais il était hors de question que je décolle mon postérieur de ce bois par peur de perdre l'usage de mes jambes.
Il est vrai que J. n'avait pas l'air d'avoir changé. Toute sa vie, il avait toujours préféré s'exprimer par des actions, des gestes, son corps. Mais il aurait dû m'apporter les réponses à toutes mes questions, ce jour-là, sur le podium. Il l'aurait dû. J'avais cette foutue impression qu'il était en train de m'assassiner du regard durant toute cette heure... Et cette sorte d'aura étrangère à mes yeux qui émanait de lui...
Que voulais-tu désespérément me confier, Jacques ?
Cela devait faire une minute que le cours était fini. Jacques avait déjà déserté les lieux ainsi que la totalité des élèves, à l'exception de Riley qui me fixait.
— Il se passe quoi entre vous deux ? Même moi, j'ai eu la chair de poule pendant toute l'heure..., c'est un de tes ex, c'est ça ?
Les bras agrippant sauvagement les bords de ma table, je pivote ma tête vers elle avec la ferme intention de lui faire savoir que je n'étais pas prédisposée à subir un interrogatoire, et surtout pas venait d'elle.
— C'est là où je suis censée te confier tous mes secrets et papoter avec toi comme si nous étions les meilleures amies du monde ? balançé-je d'une traite.
Don't play with my motions. Je range mes affaires que je n'ai finalement pas utilisé, puis, quitte au plus vite la salle de cours en oubliant pas de faire mon plus beau sourire angélique au professeur. S'il y a bien une chose que j'étais en train de demander au bon Dieu, c'était de ne pas avoir à subir la foudre de J. dans tous mes cours. Entre autre, je priais pour qu'il n'ait pas pris les mêmes matières que moi. Seigneur, pitié.
Dès la seconde où je franchis le seuil de la porte, un visage que je ne connais que trop me prend de court. Un cri d'effroi s'échappe de mes lèvres en même temps que je plaque une main sur mon coeur.
— Brook..., murmure-t-il presque dans un chuchotement.
Son souffle s'abat de plein fouet sur ma face, ce qui me permet de relever un détail extraordinaire sur le nouveau Jacques que j'avais en face de moi. Il fumait, et son haleine en était le preuve vivante. Il redit mon nom dans un souffle rauque, sa voix éraillée chatouille mes sens et engendre des frissons dans tout mon corps. C'était quand la dernière fois que je l'avais entendu prononcer mon nom ? Ah oui, ce jour-là.
Je rassemble le peu d'entrain qu'il me reste pour me débarrasser de lui, même si c'était la dernière chose au monde que mon coeur désirait réellement. Et mon désir de l'avoir près de moi se reflétait atrocement sur mon corps.
— Fais-moi plaisir, Jacques, fiche-moi la paix. Juste... Ignore-moi.
Le rire cristallin qui résonne dans les airs la seconde d'après réussit à augmenter davantage mon rythme cardiaque qui faisait des siens depuis plus d'une heure. Le simple fait qu'il puisse autant déteindre sur mes émotions, après des années d'absence, m'énervait au plus haut point !
— T'as un comportement puéril, tu le sais, ça ? Tu comptes m'éviter durant tout ce dernier mois de cours ? C'est pas toi qui m'avais dit un jour que quand nous serions au lycée, on se lâcherait pas d'une semelle ?
J'ancre mon regard dans le sien, redécouvrant comme si c'était la première fois, ses yeux bleu très clairs aux allures d'une mer endormie. Sa chevelure blonde, presque blanche, est plaquée en arrière, et maintenant il devait au moins me dépasser d'une bonne trentaine de centimètres. Mes yeux descendent une fraction de seconde vers ses lèvres, ce qui me rappelle que si cet idiot n'avait pas disparu un beau matin, je les lui aurais — peut-être — déjà dévorées. J'avale difficilement ma salive, puis essaie de garder un peu de contenance.
— Si c'est ce qu'il faut faire pour ne pas respirer la même oxygène que toi, alors oui, Jacques, j'ai bien l'intention de t'éviter comme la peste, rétorqué-je sèchement. Eh oh, pour l'amour du ciel, on était encore en primaire quand je t'ai dit ça !
C'était ce qui me répulsait en lui; il semblait faire abstraction de la peine qu'il m'avait infligée. Il n'essayait même pas de me donner les circonstances de leur départ précipité, Jonathan et lui, ni celle de son retour brusque. Non. En fait, il devait d'abord chercher à s'excuser auprès de moi. Voilà, c'était ça.
Les larmes essaient encore une fois de se montrer mais je les refoule en faisant mine de fixer le plafond du couloir. Je pense que j'ai assez pleuré ce week-end; j'ai pleuré six ans de silence radio de sa part, et le fait d'avoir été et d'être toujours le clown du cirque Lutson .
— Ecoute, Brook, j'ai des raisons valables..., grommelle-t-il tout en passant furtivement une main dans sa crinière couleur divine.
— T'as peut-être des raisons solides, mais t'es tellement stupide..., entamé-je en refusant de croiser son regard. T'es juste un connard.
Il tente de saisir mon bras qui pend le long de mon corps, mais je l'en empêche aussitôt en serrant mes poings sur ma poitrine comme une fille en détresse. J'ai l'envie de dire quelque chose mais par peur que la tristesse dissimulée en moi ne se fasse ressentir dans ma voix, mes lèvres se referment aussitôt. Car ça serait lui montrer l'effet qu'il avait sur moi. Alors j'évite d'ancrer mes iris dans les siens une nouvelle fois avant de le contourner. Je l'entends encore une fois souffler mon nom mais je fais abstraction de cela et accélère le pas tandis que des picotements se font soudainement sentir au niveau de mes yeux.
Le couloir était désert en ce moment donc je ne me suis pas sentie gênée quant au fait de laisser couler des larmes de crocodile. Peut-être que c'était moins lâche de pleurer silencieusement ou qu'au contraire, c'était fortement synonyme de lâcheté car on refusait d'assumer le côté le plus humain qui nous caractérise, nous les Hommes... Mais j'avais horreur de montrer ma tristesse pour me donner des airs de fille insensible. Et pourtant j'étais une putain de fragile depuis ma naissance et ce, jusqu'aujourd'hui. Arrivée devant ma salle, j'essuie d'un revers de main mes larmes et prends une profonde inspiration. J'avais trois minutes de retard dont deux avaient été à cause de ce crétin.
Un crétin qui ne se rendait pas compte de la souffrance qu'il avait infligé à un si bel ange tel que moi. Et j'allais lui rendre la monnaie de sa pièce, croyez-moi.
On ne joue pas avec les émotions de Brook !
"Ciao, éternels pleurs causés par J."
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