24- Dispute
Javier
Je rentre d'une semaine de tournée en Europe avec un dernier stop de deux jours en Suisse, je suis crevé.
Je franchis le seuil de la maison, les fenêtres sont ouvertes et il fait bon ce samedi soir. Léonard est resté pour m'accueillir c'est sympa. J'ai de la chance d'avoir un petit copain si sympa.
Nous sommes toujours ensemble, depuis cet étrange jour de septembre où nous nous sommes retrouvés au bureau, soit huit mois. Notre liaison reste secrète pour ses amis, ça nous amuse.
Par contre mes parents qui ont débarqué le mois dernier sont désormais au courant. Ils sont repartis enchantés et ils adorent Léonard.
Faire mon coming-out me paraissait de la science-fiction et ça y est : c'est fait, ils savent et ils acceptent. Le moment que je redoutais tellement est passé comme une lettre à la poste. Je me sens tout groggy rien que d'y penser. Il faut dire que Léonard leur à sortie le grand jeu, résultat mon père ne jure que par lui.
Ils me tannent pour qu'il m'accompagne pour le pont du huit mai, ils veulent fêter leur vingt-cinq ans de mariage.
Il n'en est pas question !
Nous nous sommes disputés à ce sujet avec mon chéri, car lui aussi veut y aller, puisqu'il a été invité et moi je refuse. Il n'a pas l'air de réaliser que ce serait un début d'officialisation de notre couple.
Mes parents l'appellent directement désormais. Je voulais qu'il bloque leurs numéros, mais il ne m'a pas écouté. Désormais quand ils essayent de me joindre et que je ne réponds pas ils appellent Léonard qui lui répond.
Mes copains aussi sont au courant. Zoé et Romain viennent de s'installer ensemble. La grosse nouveauté c'est Martial qui a rencontré un mec adorable. Nino est trans et il hésite à franchir le pas. Quant à Ira, il vient de découvrir que l'homme de sa vie, est marié avec une femme et à des enfants.
La vie n'est facile pour personne.
Je rentre à pas de loup à la maison pour lui faire une surprise. Je lui ai ramené des chocolats et un caleçon amusant de Suisse. Je dépose ma valise dans l'entrée, quand je réalise que je n'ai pas besoin d'être discret.
Léonard, hurle au téléphone, il engueule quelqu'un pour le travail.
Je manque de lâcher le paquet que j'ai prévu lui offrir. Il se retourne et me fait un bref salut tout en continuant d'engueuler son interlocuteur, qui n'arrive pas à en placer une.
Je savais qu'il est autoritaire, je réalise qu'il est méga-autoritaire. C'est épouvantable, j'ai cru entendre mon père et d'un coup, j'ai l'impression de m'être pris un poignard dans le cœur. J'ai du mal à respirer et vais dans notre chambre poser mon sac, secoué.
Qu'est-ce que j'ai fait de ma vie ?
Mes copains ne l'apprécient pas, ils le trouvent trop imbu de lui-même. Je me couche anéanti, Léonard a raccroché et me rejoint, sans se rendre compte de mon état d'esprit.
Il me retourne un peu brusquement et m'embrasse.
─ Désolé un vrai connard au téléphone, ça a été ton voyage ?
Quand j'étais adolescent et que je pleurais dans ma chambre, je m'étais pourtant juré de ne jamais vivre avec quelqu'un d'autoritaire. Je m'étais juré que personne ne crierait près de moi, ni après moi, si je pouvais choisir ! Il n'y aurait pas moyen !
Mais qu'ai-je fait de cette promesse, moi ?
Il me caresse les cheveux, souriant, je me sens glacé, il m'évoque soudain mon père menaçant. J'ai choisi le même genre d'homme !
Je me retiens de le repousser.
Je retrouve des vieux réflexes que je croyais enfoui et me dépêche de répondre comme du temps où je devais affronter mon père.
─ Oui très bien, l'équipe en Suisse est super sympa et je vais aller en Allemagne dans deux semaines, pour rencontrer nos fournisseurs.
Mon ton enjoué dissimule mon désespoir. J'ai l'impression d'être en danger et à nouveau coupé en deux comme quand j'étais enfant.
─ Tant mieux. Ah au fait j'ai appelé Paul, ils nous attendent avec impatience.
─ Quoi ?
Mon ton est consterné, la mention à mon père, c'est beaucoup trop pour moi ! C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase ! J'ai pris le même que mon père et son complice.
Léonard sourit tout fier de lui, il ne se rend pas compte de mon désespoir.
─ Je m'entends bien avec ton père. Il se plaint que tu ne passes pas assez souvent et je lui ai promis de t'emmener.
─ Léonard, je veux te quitter !
C'est sorti tout seul.
─ Quoi ? rugit-il.
─ Je ne t'aime plus !
─ Mais ça te prend comme ça ! Dis-moi qu'est-ce qu'il se passe ?
Je me réfugie dans le lit perdu et me glisse sous la couette. Un vieux reflexe quand j'étais gamin.
─ Javier ?
Je ferme les yeux et mets mes mains sur les oreilles, pour ne plus le voir et l'entendre.
Je lui ai déjà dit ce que je voulais : il n'a plus qu'à partir.
─ Je t'ai largué, va-t'en !
Il ne bouge pas et reste debout, le long du chambranle de la porte, sans rien dire. Son silence est impressionnant et me prend de court. Je guette inconsciemment sa colère, redoutant qu'il s'énerve et me frappe. Je ne veux pas me battre, mais je suis déterminé à me défendre. Au moins les cours de karaté que m'a imposé mon père serviront à quelque chose. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, douloureux. J'essaye de ne pas penser au vide que sera ma vie, sans lui. Je crois que je comprends enfin, pourquoi ma mère a été complice du bourreau, elle l'aimait. Je DOIS être plus courageux qu'elle !
─ S'il te plait Javier, tu m'expliques ? Tu as rencontré quelqu'un d'autre ? Je suis perdu là ?
Léonard n'est pas parti, il n'a pas changé de place, ne s'est pas énervé, alors qu'il gueulait il y a encore quelques minutes. Il attend que je m'explique.
Mes larmes perlent à mes yeux, parce que je suis incapable de répondre. Le temps passe et il s'est assis sur le bord du lit sans rien dire. Nous restons ainsi quelques minutes, son calme m'aide à me ressaisir, je sais bien qu'à sa place, mon père, aurait déjà piqué une crise.
Je lui dois au moins ça, alors je me rassois dans le lit, repoussant la couette.
─ Je me suis juré de ne jamais épouser quelqu'un d'autoritaire ! J'ai souffert toute mon enfance de la dureté de mon père ! Tu oses me dire que tu l'aimes bien ! Tu veux me rendre malheureux, aussi ? J'aurai des enfants un jour et je ne veux pas qu'ils aient peur de leur père ! C'est décidé, nous allons nous séparer !
J'ai sorti tout ce que j'avais sur le cœur, d'un coup et au passage je lui parle de projets, que j'ai en tête et dont nous n'avons jamais parlé tous les deux. Jamais il n'a été question d'enfants ou de mariage, mais mes convictions sont trop fortes. Je ne ferai pas subir à un enfant ce que j'ai subi.
Je m'en fous qu'il me juge mal, car je suis romantique, je m'en fous, parce que nous deux : c'est terminé !
Léonard plisse les yeux, étonné visiblement.
─ Quoi ? Tu me largues comme ça, sans autre forme de procès, car tu réalises aujourd'hui que je suis autoritaire ?
─ Oui je n'avais pas réalisé, mais tu as le caractère de mon père. Tu l'as dit ! Tu t'entends bien avec lui. Tu m'as fait penser à lui tout à l'heure ! C'est horrible. Va-t'en ! Et je t'ai défendu de l'appeler Paul ! Ce n'est pas Paul ! C'est le monstre ! Et tu n'es pas invité chez nous à leur anniversaire de mariage, je ne veux pas de toi ! J'irai tout seul en TRAIN !
─ Javier si un jour on a des enfants et si je suis méchant avec eux, à ce moment-là, largue-moi ! Mais nous n'avons pas d'enfants et je n'ai jamais été méchant. La personne que j'engueule au téléphone n'arrête pas de faire des coups en douce et c'est un vrai connard. Je l'ai surpris une fois de trop.
Léonard parle calmement, il n'est pas fâché et sa voix est limite amusée. J'ai trop honte de moi pour répondre, préférant me remettre sous les couvertures pour réfléchir. Dire que je revenais du boulot, si heureux, il y a quelques minutes.
En y réfléchissant, je dois reconnaitre qu'en huit mois, il ne m'a jamais engueulé une seule fois. Mes copains peuvent le charrier, l'appelant le Warrior, il les laisse faire et il subit leur critique sans broncher. Il sort avec nous de temps à autre.
Mon père l'aime bien et ma mère aussi, mais qui ne l'aimerait pas en même temps : il est parfait !
Houlà, mais qu'est-ce qu'il m'a pris moi ?
Sans doute la fatigue du voyage et puis tout à l'heure, l'évocation de mon père, j'ai fait une crise de panique. Mais quel imbécile !
Ce sont nos retrouvailles et j'ai tout gâché. Dire qu'il n'est pas allé en Sologne pour m'attendre.
Je savoure le calme sous la couette, je ne l'entends plus, il est peut-être parti ?
Je lève un coin de couette pour constater qu'il est toujours assis là sans bouger, méditatif.
─ Pardon, et je maintiens tu n'iras pas chez mes parents !
─ Javier, il faudra qu'on parle de ton enfance.
─ Pas aujourd'hui ! Je suis fatigué, mais je préfère te prévenir tout de suite, je voudrais forcément des enfants un jour et je veux qu'ils soient heureux. C'est sûr qu'à ce moment-là, je te larguerai !
─ Ils auront peut-être un caractère autoritaire comme ton père, tes enfants ?
─ Bon de toute façon, ce n'est pas le sujet.
Je me décide à émerger complètement du lit, il est toujours là, les mains croisées devant lui. Je ne sais pas trop comment poursuivre cette conversation. Est-ce que je demande à ce qu'on efface tout ? Je suis un peu perdu quand Léonard m'attrape pas la nuque et m'embrasse.
─ Javier ?
─ Quoi ?
Il m'embrasse sauvagement, me mordillant et me coupant le souffle.
─ Je vais te donner matière à crier, tu m'as fait peur quand même tu étais tellement sérieux !
─ Mais je le suis. Je détestais ma mère de ne pas m'aider et je me suis juré de ne pas laisser faire. Je te préviens, si c'est avec toi que j'ai des enfants, je ne te laisserai pas faire ! Ils ne seront pas obligés d'avoir des bonnes notes et d'être sportifs.
─ Nous en reparlerons, mais je ne suis pas prêt à être père.
Nous nous sommes réconciliés sur l'oreiller, une première pour nous deux. C'est moi qui lui ai dit des horreurs, le menaçant à plusieurs reprises de le quitter.
Je suis penaud après ma crise, redoutant que Léonard me largue en me trouvant caractériel. Nous reprenons notre vie comme avant, avec ce souvenir supplémentaire d'une nuit d'amour intense.
Le week-end férié du premier mai nous sommes allés visiter les plages du débarquement et le Mont Saint Michel. Nous avons logé dans des grands hôtels. Dans le lit, enlacés tous les deux, il me demande de lui raconter mon enfance.
─ Non !
Mon ton est sans appel, je n'ai vraiment pas envie de parler de mes mauvais souvenirs. J'ai besoin de me cacher sous les couvertures, mais il vient me rejoindre dans ma cachette.
─ Je suis avec toi. Peut-être que si tu m'expliquais ? Je comprendrais mieux et j'arrêterais les gaffes ?
Il me serre dans ses bras.
─ Mon père est brigadier, nous vivions dans la caserne et il m'obligeait à m'entrainer avec ses hommes. J'avais l'obligation d'avoir des bonnes notes et je devais être sportif, je crois que ça résume mon enfance. Une fois et j'ai dû rentrer à la nage depuis le large, car j'ai eu une mauvaise note, j'ai cru qu'il essayait de me tuer...Et peux-tu m'expliquer pourquoi... j'aime les hommes, alors qu'il est si méchant ?
Léonard ne dit rien, puis m'embrasse.
─ Je suis sûr qu'il se doutait que j'étais gay, c'est pour cela qu'il était méchant.
Il m'a laissé vider mon sac, de nombreuses anecdotes qui m'ont marqué, j'avais presque oublié qu'il était là. Il va me prendre pour un cinglé, je ne voulais pas lui parler de mon traumatisme.
─ Au fait et toi ton homosexualité ?
─ Mon oncle s'en moquait. J'étais plutôt solitaire jusqu'au ce qu'a l'école, je rencontre un garçon qui m'a chamboulé.
─ Il s'est passé quoi ?
─ Il m'a quitté !
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