Il y a un ours dans le jardin
- Chéri, viens voir !
- Quoi, encore ?
- Il y a un ours dans le jardin !
Jean-Philippe-Albert, alias Gégé, referme soigneusement son journal, le pose sur le petit tabouret de bois placé à droite de son fauteuil, puis s'extirpe comme il peut dudit fauteuil dont chaque ressort semble vouloir le garder prisonnier. Mais il réussit à se lever, puis se dirige d'un pas alourdi par sa bedaine vers la fenêtre près de laquelle l'attend sa femme, Jeannette. Elle est très raide, encore plus que d'habitude, il pourrait même dire qu'elle tremble un peu, mais il n'en est pas sûr, il a oublié ses lunettes pour voir de près à côté du journal, sur le tabouret.
- Regarde ! dit-elle d'un air affolé. Là !
Elle appuie son doigt sur la vitre qu'elle venait de laver. Là, Gégé se doute que quelque chose ne va pas. Jeannette ne pose jamais ses doigts sur les vitres. Il commence à se demander s'il y a vraiment un ours dans le jardin. Alors, pour vérifier, il tourne la tête et regarde dans la direction indiquée par sa femme. Un ours, en effet, est assis en plein milieu de la pelouse, entre les deux nains de jardins de céramique. Ces derniers ne sont pas cassés. Gégé est un peu déçu. Cet ours aurait pu au moins en écraser un. Il déteste les nains de jardin. Mais comme sa femme adore ça, lui, il se tait. C'est Jeannette qui commande, à la maison. L'ours est d'un brun ordinaire, un joli brun, certes, brillant sous le soleil, mais banal pour un ours de forêt. Gégé est, une nouvelle fois, un peu déçu. Cet ours aurait pu au moins être d'une couleur originale. Il s'était levé de son fauteuil, tout de même. A ce moment l'animal tourne la tête vers eux. Jeannette n'ose rien dire, elle n'ose même pas bouger. Gégé se risque à un petit geste amical de la main. L'ours lève une patte à son tour et le salue de loin. Le vieil homme sourit. Cet ours est plus civilisé que ses voisins. Eux, ils ne disent jamais bonjour, même quand on les salue en premier. Ils se contentent de vous fixer de leurs yeux perçants et de pincer la bouche. Gégé n'aime pas ses voisins. Il préfère cet ours.
Il s'écarte de la fenêtre et se dirige vers la porte. Jeannette réalise alors qu'elle a fait une trace de doigt sur la vitre. Elle s'empresse de la nettoyer, puis observe l'ours. Gégé sort dans le jardin et va à sa rencontre. Il sait que c'est dangereux, bien sûr, cet ours lui a dit bonjour, mais ce n'est pas cela qui l'empêchera de l'envoyer valser d'un coup de patte. Gégé songe que ses voisins sont dans l'impossibilité de l'envoyer valser ainsi. C'est toujours ça de pris. Ses voisins ne sont peut-être pas des gens civilisés, mais ce ne sont pas des grosses bêtes poilues. Il est maintenant à un mètre de l'ours. L'animal reste assis, mais il se redresse tout de même et le fixe d'un œil curieux.
- Bonjour, dit Gégé.
- Grou, fait l'ours.
- Que fais-tu là ?
- Grou, répète l'ours.
Gégé se dit que c'est bien dommage qu'il ne sache pas parler l'ours. Mais il persévère.
- Tu as surpris ma femme, tu sais.
- Grou ?
- D'habitude, elle est blasée. Tu es plutôt fort.
- Groo.
- Je suis désolé de te demander ça, mais tu pourrais partir de notre jardin ? Tu écrases les pétunias.
- Grou !
L'animal se décale un peu et découvre sous son énorme derrière des choses colorées qui avaient dû être des fleurs. Il penche la tête d'un air contrit. Mais il ne semble pas vouloir partir.
- Il y a les jardins des voisins, si tu veux.
- Grou...
- Allez, mon bonhomme, il ne faut pas rester là ! Tu as bien des choses à faire, non ?
- Grou grou.
L'animal secoue la tête puis se lève. Sous lui, l'herbe est plate. Il a beau rester à quatre pattes, il est énorme.
- Merci mon vieux.
- Grou.
- Ah, et, en passant... ajoute-il sur le ton de la confidence. Tu pourrais me casser ces deux trucs-là ?
L'ours observe les deux nains. Il donne un léger coup de patte dans celui qui tient une brouette. Ce dernier tombe à la renverse, mais ne se casse pas.
- Plus fort, exige Gégé.
L'ours, docile, envoie valser la céramique contre lemuret près de la rue. Plus de nain, cette fois. Gégé approuve d'un coup detête. L'ours se tourne vers le second, mais hésite. Finalement, il se met surses deux pattes arrières, prend le nain sous son bras puissant puis s'éloigneen se dandinant vers la forêt. Gégé n'est plus déçu.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro