Chapitre 2
Le trajet en train était d’un ennui mortel. Elle somnolait avec son casque sur la tête, bercée par les mouvements vagues du véhicule. Elle se remémorait son enfance, pour passer le temps. Sa mémoire lui faisait souvent défaut, mais des bribes de souvenirs suffisants s’imprimaient sous ses paupières closes.
*
Cette rentrée scolaire, Néhémie avait désespérément cherché une place de libre dans cette salle beaucoup trop grande pour elle. La fillette était entourée d’enfants de dix ans qui papotaient et chahutaient en attendant leur nouvelle maîtresse.
Le ciel était terne ce matin-là. Les nuages cendrés semblaient avoir été gonflés à l’hélium, menaçant d’exploser au moindre surplus d’eau. Néhémie avait l’allure d’une artiste avec ces taches de peinture sur ses bras, ses mains et son nez. Elle n’avait pas pris la peine de reprendre une douche la veille au soir, après avoir passé des heures à peindre sur papier ses vacances d’été, en oubliant complétement qu’elle venait de prendre un bain.
Timidement, elle examinait chaque banc avec suspicion, se demandant pourquoi personne ne lui souriait ou même l’invitait à prendre place.
Pour le moment, que des têtes qu’elle ne connaissait pas, à l’exception de deux garçons qui partageaient la même maîtresse qu’elle en première année. Mais elle n’était pas amie avec eux, alors elle préféra s’isoler tout derrière, côté mur. Finalement, sa rentrée s’annonçait plus éploré qu’attendu. Pourquoi ses amies n’étaient pas dans la même classe qu’elle ? Le directeur était vraiment méchant. Elle, toujours si gentille et polie avec les maîtresses, pourquoi l’avoir séparée de ses copines ?
Lorsque la sonnerie retentit, une vieille dame au sourire sympathique se présenta placidement comme étant leur capitaine de navire tout au long de cette année scolaire. La jeune fille n’écoutait pas vraiment la prise de parole de ses camarades qui se présentait un à un, sachant d’avance que sa mauvaise mémoire ne jouera pas en sa faveur pour tout retenir. Elle redescendit malgré tout sur Terre lorsqu’elle comprit que c’était au tour de sa voisine de banc.
« Je m’appelle Roxanne Bonnot. J’ai dix ans et j’aime beaucoup regarder des films et lire des B.D. »
Bien, parfait exemple. Prénom, nom de famille, âge et un hobby. Présentation classique. Elle se dévoila à son tour, en bégayant, croisa le regard de sa voisine de banc et lui offrit un sourire timide mais à l'intention amicale. La petite Roxanne détourna rapidement les yeux sans réagir. Les traits de Néhémie se durcirent alors, et elle essaya de se reconcentrer sur l’activité de la classe, tâchant de ne pas penser au vent qu’elle venait de se prendre. Le reste de l’heure, elle fit tout pour éviter de la regarder.
Quand la dernière sonnerie s’éveilla, tout le monde se leva pour partir en criant ou en courant. Vue l’heure qu’affichait l’horloge murale, c’est-à-dire seize heures trente, son bus n’allait pas tarder à passer. Elle quitta son banc et se dirigea vers la sortie, une idée bien définie en tête, mais une voix dans son dos l’en empêcha.
« Tu as oublié ta trousse. »
Néhémie pivota légèrement et remarqua sa voisine de banc qui lui tendait ladite trousse, l’air peu intimidé.
« Merci… Roxana ?
- Roxane, grimaça-t-elle en enfonçant les mains dans les poches de son sweatshirt.
- Excuse-moi, il y avait trop de noms à retenir.
- Ouais… J’suis pas douée pour ça non plus. »
Elles gardèrent le silence un court instant qui aurait pu durer des heures et des jours si l’horloge ne rappela pas à la fillette de rejoindre l’arrêt de bus pour rentrer chez elle.
« Je dois y aller.
- OK. À demain.
- À-à demain... »
L’échange froid et sec fit tordre l’estomac de Néhémie qui se dépêcha de partir sans même prendre la peine de ranger sa trousse, la gardant sous le bras comme une peluche de réconfort.
Les premiers mois se firent un peu plus calmes, contrairement à ce premier jour qui faillit bouillir les entrailles de notre chère protagoniste. Rapidement, des groupes d’élèves se formèrent. Néhémie traînait avec deux autres filles qui préféraient rester à l’écart des populaires, plus d’avis à parler soirée pyjamas et animaux de compagnie. Des thèmes de leur âge, disait-on. Roxane, quant à elle, était avec une fille et un garçon de leur classe également. Elle souriait et riait comme à son habitude, de son rire si éblouissant, mais lorsqu’elle croisait le regard impressionné de cette fille bizarre qui portait des couettes et ce drôle d’appareil dentaire, un certain malaise lui prenait à la gorge et Roxane passait rapidement à autre chose. Pourquoi est-ce que cette fille la regardait comme ça ? Elle se moquait d’elle, c'est ça ?
*
Le train arriva à bon port et Néhémie quitta le wagon, non sans un long étirement sur le quai de la gare. Sa valise tout contre elle, elle observa les alentours. Les passants, trop nombreux, ne faisaient même pas attention à elle, à cette jeune étrangère au regard miroitant d’excitation. Suite à une inspiration difficile, elle chassa toute trace d’inquiétude et d’intimidation, et avança d’un pas ferme jusqu’à la route. Là, tout près de la gare, se tenait un arrêt de bus. Elle s’approcha de la machine et acheta un billet, peu après avoir trouvé sa destination.
Si elle eut de la peine à faire entrer sa valise, une fois assise, elle put enfin souffler. T’y es presque, tout va bien se passer.
Elle remonta son casque et sortit son téléphone. Elle pianota habilement sur l’écran et envoya un SMS en Suisse, ne se souciant que très peu de son crédit.
[Vous]
Je viens d’arriver à Paris, tu me manques déjà… :c
Roxanne ne tarda pas pour répondre, comme si elle avait attendu que Néhémie la rassure.
[Roxanne]
Tu me manques depuis que tu es entrée dans le taxi T-T Mais on se verra à Noël, n’est-ce pas ??
[Vous]
Compte sur moi !
*
Lorsque son bus la déposa, Néhémie se sentit soudainement plus mal à l’aise. Cet appartement qui se dressait devant elle, était à présent le sien. Ça lui faisait bizarre de venir en France pour ses études. Surtout que dix-huit ans, c’était relativement jeune pour quitter son foyer initiale !
Sa tante n’était pas venue la chercher parce qu’elle travaillait dans une clinique dentaire ; impossible de se débarrasser des patients pour la journée. Mais elle sera là le soir venu. Et à ce moment-là, Néhémie pourra lui sauter dans les bras. Oui, voilà. Il ne reste plus qu’à demander le double de clef à la voisine, qui semblait super gentille d’après ses parents, et déposer ses affaires.
Ce n’est pas la première fois qu’elle vient ici. Le troisième étage sur cinq était la bonne. L’ascenseur était rouillé et d’une lenteur alarmante, mais Néhémie ne voulait pas monter sa valise le tier du parcours restant.
Le paillasson était le même ; un Welcome sur un tapis en forme de chien. Suspendue à la porte voisine, un tournesol en tissus. Elle toqua contre celle-ci.
« Oui bonjour ? C’est pour quoi ? »
Néhémie observa, chercha un court instant le contact visuel de la vieille dame, visiblement quelque peu égarée par cette présence nouvelle dans cet appartement.
« Bonjour Sylviane, je… Je suis Néhémie, la nièce de Clara Thys…
- Oh, Néhémie ! Bien sûr, tu viens pour la clef ? Oui, j’arrive tout de suite. Tu as besoin de quelque chose d’autre ?
- Non merci c’est gentil, la clef suffira. »
Elle attendit une dizaine de secondes, pourtant, la vieille dame n’avait pas quitté son halle. Elle fouillait le tiroir rempli de bric-à-brac jusqu’à ce qu’elle en sorte un porte-clef ourson délavé avec, au bout, le petit objet métallique. Elle se retourna lentement vers la jeune fille, et la lui tendit avec un sourire craquelé de rides.
« Merci à vous. »
Elle la remercia une dernière fois et se tourna vers la porte d’en face. Après avoir entendu le verrou derrière elle, Néhémie se décida enfin à incérer la clef dans sa serrure.
L’intérieur était petit mais propre. La cuisine étroite qui donnait à sa droite directement après le halle attira son intention, parfaitement bien rangée mais en s’approchant pour ouvrir la fenêtre dans l’optique d’aérer l’appartement, elle remarqua que la vue n’était pas au combles de sa satisfaction. Une route banale avec un immeuble juste en face, si bien que peu de lumière naturelle ne devrait éclairer la pièce. Elle revint sur ses pas, abandonna ses baskets à l’entrée, et parcourut les lieux. La chambre au bout du minuscule couloir appartenait sans aucun doute à sa tante. Voisinant la sienne, une pièce, propre, avait été aménagée rien que pour elle. Néhémie s’inquiétera de la décoration plus tard et poursuivit la visite, juste de quoi se remémorer les lieux.
La dernière fois qu’elle était venue, c’était trois ans auparavant. Elle passait son temps dans le salon à jouer avec la vieille Gameboy de Clara. Mais lorsqu’elle jeta un œil à la salle de séjour, la jeune dessinatrice constata que le canapé n’était pas le même et qu’une bonne partie de l’ornement avait évolué. Le balcon donnait sur la ville, au-dessus d’un parking.
C’était petit, mais opérationnel.
*
Le réveille-matin de la chambre d’à côté la réveilla. Mais Néhémie n’avait pas la motivation de se lever. Elle roula sur le côté et referma les yeux. D’une oreille, elle écoutait les pas de sa tante. Les portes qui grinçaient. La porte du microonde claquer. Les couverts qui tombaient sur la table.
Au bout d’une trentaine de minutes, happée par une délicieuse odeur de crêpes, Néhémie décida de se lever et rejoignit, encore en pyjama, Clara.
« Salut… bâilla-t-elle en venant l’embrasser.
- Salut, bien dormi ? »
Elle hocha simplement la tête et se laissa tomber sur une chaise. Elle avait passé une journée entière à postuler un peu au hasard, jusqu’à ce que la veille elle ne reçoive une réponse par mail. Lorsque Clara lui demanda à ce propos, sa nièce répondit du tac-au-tac.
« C’est juste un entretient, rien de concluant, expliqua Néhémie en tartinant sa première crêpe de confiture au citron.
- Tu dois prendre quelque chose avec toi ?
- Des dossiers, carte d’identité, euh… ce papier-truc pour le logement, et je prends mon bulletin de notes au cas où.
- Je t’ai tout rendu, même donné ton « papier-truc pour le logement », se moqua Clara en buvant son thé.
- Gnagnagna… répondit-elle simplement en retour. Ça va, je ne me souviens plus du terme exacte. »
*
« Néhémie Thys, née le 21 mars 2001… C’est bien votre adresse ?
- C’est exact…
- Cela fait longtemps que vous aviez emménagée en France ?
- C-cinq jours. Mais je ne vis pas toute seule.
- Où étiez-vous avant et pourquoi être venue ici ?
- J’habitais en Suisse. Je suis partie pour poursuivre mes études en France, dans une école d’art qui m’avait davantage séduite que ceux près de chez moi.
- Pensez-vous avoir le temps de travailler dans mon café en plus de vos études ?
- Je n’ai pas pu commencer tout de suite à vrai dire… Il me faut régler quelques dossiers pour finaliser mon déménagement, et la rentrée était il y a deux mois. J’ai une année entière pour me concentrer sur le travail qui permettra de financer une partie de mes études. »
Elle ne savait pas si c’était ce qu’il fallait dire, mais elle devait bien sortir quelque chose. Un peu anxieuse, Néhémie se força de maintenir un contact visuel stable avec Monsieur Silas, un homme sans barbe aux cheveux poivre-sel qui pourtant, malgré son sourire bienveillant, possédait un regard très examinateur.
« Pourquoi devrais-je vous prendre et pas un autre ? »
Elle déglutina difficilement mais ne craqua pas. La réponse avait été préalablement méditée, s’attendant à ce qu’on le lui demande.
« Je suis quelqu’un qui a déjà expérimentée le monde du commerce. Je me débrouille aussi bien pour préparer les boissons que servir les clients. J’ai d’ailleurs noté le numéro et le mail de mon dernier responsable en temps que référant sous son consentement… »
Elle tapotait nerveusement ses genoux sous la table, attendant le verdict.
Finalement, Monsieur Silas referma le dossier en soufflant du nez, puis lui tendit une main ferme.
« Je vous propose une semaine d’essai en tant que serveuse dans mon établissement, comprenant le lundi, le mardi, le jeudi et le vendredi de sept heures à seize heures pour commencer. »
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