Le règne du légume
Paris, jeudi 21 mars 2013,
Je fermais les yeux, laissant reposer ma tête contre la vitre froide. Le prof ne cessait pas de parler sans attirer un instant mon intérêt. Seul le premier de la classe, assit devant le prof, suivait le moindre mouvement de l'instituteur. Plus que cela même, il buvait ses paroles. Le reste des élèves était plutôt dispersé. Cependant, certains tentaient par moment de suivre le cours afin d'avoir une chance de réussir les éventuels contrôles. Moi, je m'en fichais royalement, le bac à la fin de l'année ne réclamait pas une moyenne correcte mais de savoir recracher ses connaissances. Un bon livre remplaçait parfaitement un prof ennuyeux à mourir. Pour ajouter à ma déprime environnementale - je parle du lycée -, l'histoire-géographie est bien l'une des pires matières à supporter en terminale. Ne vous y trompez pas, j'étais une véritable passionnée d'histoire jusqu'à... ce prof.
Après ces longues minutes d'introspection, je soufflais d'exaspération. C'était quand même terrible d'en arriver là. Ce matin je n'étais pas réveillée et je m'étais presque cassé un ongle - il ne faut pas se moquer en disant que je suis superficielle, cela fait vraiment très mal - en dérapant dans ma salle de bain. Je croyais m'en être sortie indemne mais je venais d'apercevoir l'énorme, l'affreuse, l'horrible rayure sur mon verni à ongle. Je soufflais à nouveau en levant les yeux au ciel. La vie était vilaine avec moi. D'autant plus que le prof se rappela de mon existence :
- Alix, quels sont les territoires les plus sujets à la mondialisation ?
Typiquement une question qui m'ennuyait profondément. De un, je n'avais pas la réponse, deuxièmement c'était fatigant de parler. Imaginez, il faut ouvrir la bouche et la refermer simultanément avec un mouvement de la lange. Tout cela en activant les cordes vocales, les zygomatiques, sans oublier l'orbiculaire des lèvres. Il est fou ce prof.
- Monsieur, je crois que le gars au premier rang à la réponse. Il faut vraiment que vous l'interrogiez, il va se défaire l'épaule à force de tendre le bras aussi haut.
- Je sais qu'Antoine a la réponse, je ne me fais pas de soucis pour son bac. Ce qui est loin d'être votre cas.
Le premier de la classe se retourna et me fixa sans afficher d'émotion. Un rictus naquit sur mes lèvres et je m'amusais de son air de chien battu. La sonnerie retentit me sauvant de l'instituteur. Les élèves fuirent rapidement de la classe. Je pris le temps d'observer Antoine et son air dépenaillé. Il portait toujours des vêtements quatre fois trop grands pour lui -à croire qu'il aimait afficher aux yeux de tous sa morphologie d'allumette-. Ses bras longs et maigrichons pendouillaient au rythme de sa marche. Le bas de son pantalon traînait au sol, l'usant. Ce qu'il pouvait m'agacer Sa simple présence m'exaspérait, ses manières et sa façon de ne rien dire quand on le provoquait mais de seulement vous regarder sans aucune émotion, un véritable légume mort. Le pire est qu'il n'avait vraiment aucun ami. Il ne semblait pas vouloir s'en faire puisque depuis que je le connaissais il n'avait pas essayé de parler à qui que ce soit.
Je me levais finalement pour rejoindre mes amies dans la cour. Je secouais mes cheveux au moment où je passais devant Antoine, le bousculant en même temps. Je pris l'air le plus peste que je pouvais et me tournais vers lui, une main devant la bouche pour sembler inquiète :
- Oh, pardon, je suis infiniment désolée.
Cette asperge me dévisagea, puis continua à avancer sans m'adresser un seul mot.
- C'est dommage tu sais, avec un sourire tu serais passé de chimpanzé à humain, lui lançais-je avant de ricaner.
Il se retourna vers moi, j'exultais, il allait enfin réagir !
Mais non. Il continua sa route. Ce qu'il était agaçant ! Je sentis mes narines se soulever, signe que la situation m'énervait. J'avançait un peu plus vite pour le rejoindre.
- Tu te crois si supérieur aux autres que tu ne peux répondre à personne ? Crois-moi, tu es loin de pouvoir te le permettre. Ce n'est pas avec ta dégaine que tu iras loin dans la vie.
- Ecoute Alix, les chimpanzé ne parlent pas, ils crient, hurlent ou piaillent mais en aucun cas ils peuvent te répondre.
- Doucement toi ! s'écria Laura mon amie qui venait de me rejoindre.
Celle-ci était grande et toute fine. Ses cheveux châtain et raides entouraient un visage ovale souvent agrémenté d'un immense sourire. Elle aimait beaucoup la mode et cela se voyait - tant qu'on ne lui rendait pas visite chez elle car dans ce cas certains de ses vêtements étaient plutôt étranges-. Ses longues jambes étaient mises en valeur par un slim noir et un joli corsage blanc illuminait son teint.
- Tu ne parles pas à mon amie de cette manière, ajouta-t-elle à l'intention d'Antoine. Ne crois pas que tu puisses te le permettre.
Je me tus, observant le garçon se détourner. Il avait de très beaux yeux et un potentiel de charme mais il était beaucoup trop niais pour l'exploiter. Il m'agaçait. Je ne comprenais pas cette lourdeur, cette transparence qu'il semblait affectionner. Je détestais les gens amorphes et sans aucune réaction ! Le but de mon année n'était pas d'avoir mon bac mais de le faire réagir par tous les moyens.
PDV Antoine
Quand la deuxième fille intervint, je regrettait immédiatement d'avoir ouvert la bouche. Malgré le fait que ce que disait Alix était souvent désagréable, au vu de ce que ça devenait quand je répondais il fallait mieux que je continue à me taire. J'avais déjà bien compris que toute l'école me trouvait bizarre et que personne n'avait envie de me parler. Mais je ne comprenais pas l'insistance d'Alix à vouloir me faire réagir à tout prix.
J'avais pourtant dit à ma grand-mère que je ne voulais surtout pas aller dans cette école de riches. Ils étaient les moins accueillants que je connaisse lorsque quelqu'un n'avait pas les codes vestimentaires de la mode. Mais mon père et mon grand-père étaient passés par ce lycée alors je devais suivre.
Sans plus écouter ce que les deux folles disaient, je leur tournais le dos et descendis rapidement les marches pour aller prendre l'air avant la reprise des cours. J'allais droit vers mon endroit favori. Je savais que personne ne se dirigeais par-là, je me trouvais donc tranquille pour un petit moment. Je n'arrivais pas à parler aux élèves de l'établissement, c'était trop compliqué pour moi de vaincre ma timidité et d'aller au-delà de ce que je savais qu'ils pensaient de moi. On m'avait toujours dit que j'avais un très beau visage et de très beaux yeux et qu'avec cela je charmais tout le monde. Mais il faut croire que le monde des adultes et le monde des ado sont loin de se ressembler. J'observais mon pull trois fois trop grand et mon pantalon où j'aurais pu faire rentrer quelqu'un d'autre avec moi et je soupirais. Ils me manquaient... pourquoi avait-ils fallu qu'ils partent ? Je ne serais pas ici à me renfermer sur moi-même sans avoir la force de me faire des amis. A la maison ils étaient désemparés devant mon changement et mon mutisme. Ils ne savaient plus quoi faire et je ne savais pas non plus. Comment leur expliquer que j'avais toujours une immense douleur dans la poitrine ?
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