32 : La camisole de force
Jordan s"était levé avec cérémonie. D"un mouvement du poignet, il avait indiqué à Adrian de faire asseoir Samir tout au bout de la longue table des conseils. Ainsi, les deux hommes se faisaient face. Les accoudoirs de la chaise dans laquelle Samir se tenait avait été munis de menottes dont le contact glacé fit une fois de plus frissonner le jeune homme. Cependant, le fantôme de son sourire flottait toujours sur les lèvres amarantes du sang qui s"en écoulait.
Jordan était toujours debout, les paumes posées à plat sur la table métallique ; sans doute avait-il l"impression de dominer la situation de cette façon. Il avait plongé son regard brun et dur dans celui de Samir, et semblait vouloir le mater par ce seul moyen. Le jeune homme, lui, n"avait que faire des jeux de son ancien commandant. Il battait les cils avec une régularité indolente qui faisait comprendre sans mal l"ennui dont il était victime. Son visage marqué par son internement ne trahissait pas le moindre sentiment.
Pris au piège dans un combat qu"il semblait être le seul à vouloir mener, Jordan finit par détourner brièvement le regard. Sa voix était assurée, néanmoins, lorsqu"il apostropha l"amant de Thalia.
« Prisonnier 751. En vertu du pouvoir que m"accorde le peuple de la Résistance, et après délibération du conseil, vous êtes déclaré condamné à la peine capitale pour cause de haute trahison. »
Samir retint son souffle, amusé de voir que Jordan ne lui proposait pas charitablement de quelconques dernières paroles. Le dirigeant de la Résistance fit un nouveau signe de la main, Adrian lui retira les menottes, et deux autres soldats vinrent le relever. Samir ricana à gorge déployée, cette fois ; les adolescents étaient gringalets à ses côtés. Malgré son passage en prison et sa perte importante de poids, il était plus large qu"ils étaient hauts. La situation était ridicule. Une envie d"écraser son poing sur leurs deux visages enfantins l"emplit soudainement, et il dût user de tout son self-control pour se retenir. Après tout, ces gosses n"y étaient pour rien. Ils s"étaient sans doute engagés dans la Résistance pour la même raison que lui, et il n"allait pas leur faire payer pour Jordan.
C"était Jordan qu"il devait frapper au sang, c"était lui qu"il devait détruire. C"était Jordan qu"il aurait dû tuer en se rendant compte de sa trahison. La justice sur la base n"était pas meilleure que celle d"en bas, au final ; Jordan était un traître, et il exécutait Samir pour cette même raison. Il y avait de quoi rire. Et plus rien ne le retenait de rire ; la fille qui l"avait giflé le regardait d"un air mauvais depuis son poste, mais elle ne pouvait strictement rien faire. Les deux moustiques qui l"entouraient aurait bien pu essayer, mais ils ne semblaient pas emballés à l"idée de se prendre une menotte dans le crâne.
Son escorte, fortement réduite, n"était plus composée que par les deux gamins et Adrian qui les supervisait. Derrière le petit groupe, Jordan avançait à petits pas. Les autres membres du conseil étaient restés dans la salle, et cette condamnation à mort commençait à sentir la vengeance personnelle. Ils avaient marché pendant quelques minutes et Samir s"était rapidement senti faiblir. Il y avait longtemps qu"il avait marché pour la dernière fois. Son étroite cellule n"y en était pas propice.
Par ailleurs, il se faisait maintenant mener vers une aile de la base qui ne lui était que trop familière. L"air avait de plus en plus de mal à se faire une place au creux de ses poumons alors qu"ils approchaient de son pire cauchemar ; les prisons. Mais cette fois, on ne le mena pas vers sa cellule, à son plus grand soulagement. Qu"on le mène à la mort, soit ; mais il n"était plus capable d"endurer cette torture.
Adrian les précédait, désormais. Il ouvrit la porte vitrée d"une pièce aux murs repeints de taches d"une couleur indéterminée, qui n"était pas sans rappeler du vomi aux yeux de Samir. La pièce était spacieuse ; un seul meuble l"occupait. C'était un grand siège de bois à l"allure tout à fait inconfortable. De grands anneaux de métal étaient accrochés sur les accoudoirs, autour de là où se placerait la tête, et enfin au niveau des chevilles. Adrian attrapa la camisole de force, qui était posée sur le dossier de la chaise, et la tendit à Samir.
Ce dernier retira son tee-shirt, le jetant volontairement au visage de Jordan qui se tenait face à lui, le visage grave et le teint maladif. Une dernière bravade qui valait plus que tous les mots du monde. Jordan n"avait pas bronché, mais une lueur colérique brillait dans son regard. Samir se débarrassa aussi promptement de son pantalon. Il ne garda que son caleçon, puis il se glissa sans un mot dans la camisole. Les deux adolescents vinrent de concert l"attraper par les épaules, et le dirigèrent vers le siège. L"assise était dure mais Samir s"y tenait droit comme un roi sur son trône, un petit sourire de fierté sur le visage. Les voix dans sa tête venaient de le retrouver. Il n"était plus seul. Il s"accrochait tout particulièrement à celle de son père et de sa mère, qui lui chantaient la mélodie de son enfance.
Il allait quitter son existence avec la mélodie qui l"avait accueilli sur Terre. Il ne se sentait pas triste, pas coléreux ; il était heureux de partir. Thalia était trop loin pour lui, il ne pouvait plus la sauver ; par ailleurs, il n"était même pas sûr que ce soit elle qui ait eu besoin de lui pour la sauver. Samir se sentit égoïste, tout à coup. Tout ce qu"il avait fait, c"était pour lui. Il aurait été chercher Thalia parce que sans elle son existence n"avait plus la moindre valeur ; il aurait fait ça pour lui plus pour que pour elle, en définitive. Il aurait été égoïste d"aller la chercher au milieu de sa mission alors qu"il savait qu"elle voulait mourir pour la cause. Elle l"avait toujours dit. Seulement, lui, il aurait aimé qu"ils meurent l"un dans les bras de l"autre.
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