11 | La grotte
Lorsque le takaar dans lequel Stéphane, son acolyte et moi-même avions été transportés afin de rejoindre Ilhan s'arrêta à l'entrée d'une grotte et que nous en descendîmes, une silhouette encapuchonnée sortie des ténèbres nous accueillit par ces mots :
« Je vais vous conduire au maître. Afin de préserver sa personne, je vais également vous bander les yeux. »
Il avait débité cela comme un automate, et quand il s'approcha de nous avec une démarche raide et mécanique, je me demandai s'il n'en était pas un.
Je n'eus pas le temps de souffler qu'il avait déjà noué une chute de tissu rêche autour de mon crâne, me rendant aveugle et fébrile. Le souffle de Stéphane sur ma nuque et le bruit que faisait notre hôte lorsqu'il avançait de sa démarche singulière me faisaient frissonner. Ce dernier annonça de la même voix monocorde que nous n'avions qu'à suivre le son de ses pas pour avancer sans nous cogner aux murs. Lassée de tituber, je parvins à trouver une paroi en tâtonnant, et suivis les irrégularités de sa pierre du bout des doigts. A partir de ce moment-là, je comptai le nombre de secondes qu'il nous fallut pour arriver jusqu'à destination.
J'en étais à trois cent quarante sept quand nous nous arretâmes. Après nous avoir fait tourner sur nous-mêmes pour nous étourdir, on nous arracha le bandeau du visage, et je clignai les yeux jusqu'à obtenir une vision plus nette. Nous étions toujours dans la grotte ; je m'en étais douté, même les yeux bandés, au vu de la fraicheur et de l'humidité ambiante.
La grotte, donc, était énorme, et sa seule source de lumière était les larges portes qui se trouvaient face à moi. Elles étaient d'un bleu turquoise envoûtant, propageant de puissantes vagues de luminosité. Je fis un lent tour sur moi-même, tentant de voir l'issue d'où nous sortions, mais la pièce était percée d'une dizaine de petits tunnels indissociables. J'étais totalement incapable de dire lequel était celui que nous venions d'emprunter.
L'encapuchonné m'attrappa par le bras avec ses mains gantées de cuir, et me tira vers les grandes portes. En m'approchant, je parvins à déchiffrer d'étranges inscriptions bleutées sur le linteau.
Gnasud tesemral sedxirp
Je n'avais aucune idée de ce que ce que cela signifiait, pourtant j'étais persuadée que c'était d'une importance capitale par rapport à la protection de la porte.
Un léger vibrement au sein de mon nombril me prévint d'un champ de force, confirmant mes doutes. C'était l'oeuvre d'un piercing, d'apparence tout à fait innocente, mais qui était en fait l'un des gadgets que la Résistance avait cru bon d'intégrer à mon corps.
Je tentai de distinguer un quelconque remous dans l'air derrière les quatre montagnes de muscles qui gardaient la porte, mais je ne parvins qu'à m'attirer les foudres de Stéphane, qui me chuchota furieusement à l'oreille que j'étais stupide de lorgner les gardes ainsi, parce que j'allais les rendre irascibles.
L'encapuchonné avait pendant ce temps été plaquer une sorte de puce sur la porte, les géants s'étant décalés sans un mot à son passage. Je soupirai, tentant de garder mon calme, et nous attendîmes dans une atmosphère lourde de colère à peine contenue que l'on nous ouvre les portes. Les veines du bois se colorèrent d'un violet sombre, et les portes qui faisaient bien quatre fois la hauteur de Samir s'ouvrirent dans un silence qui accentuait la solennité de ce moment.
Je ne pus m'empêcher de laisser échapper à voix basse des obscénités en découvrant la salle que les portes ouvertes nous invitaient à visiter, oubliant jusqu'à l'existence de Stéphane. La construction de la pièce me faisait penser à ces lieux de culte autrefois célébré sur une grande partie de la planète. Ses voûtes, fenêtres et pierres de taille me rappelaient de manière frappante ces bâtiments, les... les églises.
Avec la lumière coulant à flots au travers de grandes fenêtres placées très haut sur les murs, la pièce aux proportions extravagantes était éblouissante de beauté à l'état pur. Sans pour autant tomber dans l'excès, la décoration marquait clairement le goût du luxe de son propriétaire. Les colonnes et les encadrements des fenêtres étaient recouverts d'or, ce qui tranchait magnifiquement sur le blanc virginal du reste de la pièce.
Un claquement de porte me fit sursauter. Je me détournai de la statue style romaine que j'admirais, et je posai les yeux, à l'autre bout de la pièce, sur une personne de haute stature voilée de la tête aux pieds d'un tissu richement décoré. Ilhan. C'était Ilhan. Je ne voyais que cette explication. Les paroles de Dave me revinrent en tête : « Il ne s'est jamais montré, à ma connaissance, à qui que ce soit d'autre. »
C'était Ilhan. J'en étais pratiquement certaine. La silhouette me semblait fortement être masculine, et qui d'autre que lui aurait besoin de se cacher à la vue de factionnaires ? Il avait la même démarche, le même port altier que l'homme que j'avais vu. Sans même avoir le regard plongé dans le sien, sa présence avait quelque chose d'imposant.
Ses pas étaient lents, et les voiles de sa tenue flottaient derrière lui lorsqu'il commença l'ascension des marches d'une sorte d'autel, où il trouva une cathèdre dans laquelle il se laissa tomber avec grâce. Même assis, il nous surplombait, et de loin. À une distance importante de nous, il n'en n'était que plus impressionnant. Il savait soigner sa mise en scène. C'était quelque chose que je ne pouvais nier. Stéphane suffoquait de bonheur de voir — ou plutôt de se trouver enfin en la présence de son maître.
Il tomba à genoux, plia l'échine jusqu'à poser la tête au sol. Son camarade en fit de même. Moi, je ne savais que faire. Je me dis que le mimétisme était sans doute de mise. Alors je m'écartai de la statue romaine, m'avançai dans l'allée principale, jusqu'à atteindre le niveau de Stéphane, puis je m'agenouillai également, et baissai la tête en signe de respect.
Le silence régna pendant quatre vingt trois secondes. Puis, d'une voix étrange, mécanique, métallique, Ilhan prit la parole.
« Camarades... »
Sa voix était modifiée par des procédés technologiques, et pourtant, moi qui avais entendu sa véritable voix, si Ilhan était réellement l'homme que j'avais rencontré, il me semblait parvenir à la discerner au travers de ces modifications.
« Amenez-moi la fille. »
Stéphane se releva avec précipitation et m'attrapa le bras avec tant de violence que je sentis ma peau brûler. Son compagnon m'attrapa l'autre bras et ils me trainèrent avec violence sur trois mètres. Je ne me débattis pas, fermant les yeux et canalisant mon énergie à autre chose qu'à de vains mouvements. Mis à part mes bras, mon corps se trouvait derrière les deux hommes.
Je serrai les dents et balançai par derrière mon pied droit dans l'entrejambe du deuxième factionnaire. Cela eut le mérite de le faire me lâcher, plié en deux comme il l'était. Mais Stéphane n'était pas aussi stupide. Il passa son bras autour de ma gorge et y imprima une pression telle que je ne pouvais plus respirer. Il continua de me traîner, malgré mes coups. Parce que cette fois-ci, je me débattais. Mais nous étions arrivés au bout de l'allée. Il me jeta, suffoquante, aux pieds de l'autel. Aux pieds d'Ilhan.
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