Chapitre 17 : Lorsque se brise la glace
[Je vous propose directement la version achevée du dessin puisque la technique est un peu différente et que je n'ai pas encré]
Jyn ne dormait pas et, jusque là, il n'y avait rien d'inhabituel à ce constat. Assis en tailleur au milieu de son lit, il scrutait la noirceur de la chambre qu'il partageait avec quatre camarades. Seuls trois d'entre eux dormaient dans les draps défaits et l'absence de Déméter ne lui avait pas échappée. Il ruminait, étudiait le silence de la pièce ainsi que l'obscurité rassurante qui y régnait.
Ses mains s'agitèrent sur ses genoux, comme parcourues par un pouvoir incontrôlé. Il ferma les yeux et ses sens se concentrèrent sur l'invisible, l'indiscernable. Il s'enfonça dans les méandres de l'esprit, dans ce que l'Homme n'avait jamais exploré, mais qui était désormais à sa portée. Il modelait le présent puisque le passé était là, juste sous ses doigts, le futur s'étendait loin devant, manipulable à souhait.
Il y vit Déméter, sa silhouette frissonnante qui ne survivrait pas bien longtemps. Il vit également ce qui se présageait, ce qui devait advenir de son ami, un avenir instable et inacceptable. Il contempla le Mal avec une forme de répulsion et sans la moindre trace d'adoration. Comment pouvait-il ignorer ce désastre, l'organisme parasite qui dévorait le corps et la conscience de l'étudient, comment avait-il seulement pu fermer les yeux ? Une frustration étrange et méconnue terrassa Jyn, lui qui avait pour habitude de contrôler les événements venait de perdre ce recul précieux.
Il inspira profondément et ses paupières closes cédèrent à l'impulsion de ses yeux. Son don lui permettait de voir, de déceler, de deviner, mais seulement le futur proche et l'organisme maléfique qui détruisait les cellules de Déméter ne lui avait pas permis d'en faire autant. Une cruelle erreur qui pourrait bien coûter la vie à l'Américain et même compromettre le sort de toute l'école. Cette fois encore, Diolyde faisait face à une menace intérieure, à un mal qui la rongeait comme un cancer et contre lequel combattre serait des plus délicats. Sans l'aide de la Sixième zone, l'établissement pourrait bien courir à sa perte.
Jyn jeta un coup d'œil circulaire à l'ensemble de la pièce. Devait-il réveiller ses camarades, le directeur, l'ensemble des dirigeants ? Inutile ! Delkateï récupérait d'une épreuve tout aussi pénible et aucun d'entre eux n'était alors de taille à affronter la menace qui patientait dehors. Ou du moins, ils n'en avaient pas encore les capacités. Il sortit, ombre parmi les ombres, frôlant de la main les murs épais de son lieu de vie. Il s'arrêta finalement devant la porte de la chambre de son frère et se mordit les lèvres. Devait-il prévenir Andrew ? Il ne doutait pas de ses pouvoirs, mais refusait de s'introduire dans cette pièce. Il craignait d'y découvrir Ludo dans une situation qu'il ne pourrait accepter.
Il se déroba donc à cette vision et, le corps tendu, les sens alertes, il poursuivit seul son chemin. Il refusait de laisser ce que le destin réservait à Déméter. Le sort s'acharnait sur eux, sur ces exilés au bout du monde, exclus de cette planète qui semblait subsister en leur absence. L'espoir oublié de la Terre se faisait la victime des pires châtiments. Jyn, vaincu par une culpabilité qu'il ne connaissait que trop peu, s'en allait aux-devants de ce que le futur leur réservait.
Il sortit bien vite, goûtant comme Déméter avant lui, à la quiétude de la nuit. Il aurait presque pu en percevoir les sons, ceux de sa Finlande natale, pur produit de son imagination puisque le silence qui régnait sur le château était entier. Il inspira profondément et, au bout de la cour, il décela la fissure qui avait permis à son ami de s'échapper. Comment se faisait-il que personne n'en ait été averti ? La brèche se refermait lentement, comme une plaie qui cicatrise à vu d'œil. Jyn, sans compter sur sa clairvoyance et sur sa sagesse qui lui hurlaient de revenir sur sa décision, s'y glissa.
La vague de froid lui lécha les membres, lui fouetta le visage et lui coupa le souffle. Il avait l'impression de se prendre un coup de poing en plein estomac et sa grande taille ne palliait pas à sa maigreur, il ploya un court instant. Ses yeux pleuraient des larmes rageuses que la brise glaciale lui arrachait. Quelle terrible épreuve était-elle sienne ? Il murmura une prière dans le silence assourdissant du Grand Nord. Cet océan glacé que rien, pas même l'horizon, ne paraissait arrêter.
Une chaleur inédite se répandit dans son être et, dans la pénombre des neiges éternelles, il distingua autour de lui, des plumes immaculées.
— Olympe...
L'ange des Dieux, leur fidèle messager, se matérialisait afin de donner du courage à l'un des plus vertueux mortels de la création de ses pairs. Ses ailes glissaient contre le corps peu vêtu de Jyn et y instaurait une tiédeur bienfaitrice. Son visage doux souriait dans le dos du garçon et il n'eut pas le privilège de lire sur ses traits cette expression. Elle souffla dans l'air glacial de la nuit et, dès lors, il oublia les contraintes climatiques extrêmes. Dans un froissement d'ailes, elle disparut. Avant de s'évaporer complètement, elle murmura, comme une promesse d'ordre divin :
— Je crois en vous... Votre ami peut encore être sauvé et vous seul pouvez inverser l'ordre des choses. Je serais à vos côtés.
La présence d'Olympe réchauffait l'être de Jyn. Si elle avait disparu, il ressentait encore la trace de son passage. Il ne craignait plus les températures ni les violentes bourrasques. Il ne craignait plus rien au monde.
Le Finlandais s'enfonçait dans la neige, s'éloignant de l'école endormie sans un regard en arrière. Il guettait l'horizon, il cherchant la silhouette de son ami. Enfin, il la vit, se découpant dans l'obscurité comme le châtiment de toutes leurs âmes. Déméter, rien qu'une ombre sans visage, hurlait déjà sa souffrance. Jyn accéléra le pas, pressant l'allure, sachant que chaque instant était compté. Inopinément, il voyait la réalité se superposer à ses prédilections, donnant raison à un sort qu'il refusait d'admettre. Avait-il déjà trop tardé ? Etait-il vain de se lancer corps et âme dans ce sauvetage insensé ?
Le Mal s'agitait, refusait de mourir par le froid et tentait de prendre le contrôle du corps de son hôte. Le parasite se déployait à toute vitesse, anéantissant les résistances déjà affaiblies de Déméter. Les veines noires qui courraient jadis le long de son avant-bras avaient gagné le membre tout entier et désormais les contours de son visage. Jyn ne faiblissait pas et distinguait désormais, à la lueur de la lune encore pleine, les dégâts immondes du parasite.
— Jyn ! s'écria le malheureux, dans un accès de folie.
L'intéressé lui rendit son appel d'une voix presque rauque d'effort. La chaleur qu'Olympe avait expirée lui en donnait la force.
Ce fut trop tard, hélas, puisque le regard améthyste de Déméter s'immobilisa au creux de ses prunelles au même titre que les dernières bribes de sa conscience mutilée. Le feu qui ravageait son corps quelques brefs instants auparavant s'était éteint, et sa vie avec elle. L'enveloppe charnelle vide se redressa et Jyn s'immobilisa à une dizaine de mètres de celui qui représentait désormais son adversaire. Les lèvres hermétiquement closes, incapables de la moindre parole, seuls les actes étaient régis par la créature inhumaine qui avait dépossédé l'adolescent de son bien le plus précieux, la vie. La haine et la violence étaient ses uniques mots d'ordre et ses pensées les plus primaires ne contenaient qu'elles.
L'écume s'accumula à la commissure des lèvres du garçon et ses yeux fous, d'un noir d'encre et à la surface semblable à de l'or noir, miroitant dangereusement. La bête était prête à attaquer. La respiration haletante, espérant gagner de précieux instants, Jyn fit appel à sa magie. Il ne disposait pas d'une capacité d'offensive infinie et le regrettait désormais. Ces neiges éternelles pourraient tout aussi bien être leur tombeau.
Il envoya la décharge violette en direction du parasite, taisant les cris de sa conscience, agissant au nom d'une volonté plus grande que la sienne. Mais l'être stoppa la sphère et, entre ses doigts, elle disparut. Il venait d'arrêter à main nue ce qui aurait sans doute terrassé un humain normalement constitué. Jyn peina à ravaler sa surprise et à endormir sa crainte. Un regain d'énergie, œuvre d'Olympe, lui permit de reproduire cet exploit en une attaque plus puissante que la première. L'éclair déchira la nuit, bref flash coloré qui s'éteignit bien vite, causant cette fois des dommages à Déméter. Il ne l'esquiva pas à temps et son côté subit la brûlure de la magie du jeune génie.
— Je suis navré, le véritable Déméter aurait accepté la raison de mes agissements.
Il se maudissait. Il avait échoué à sauver un homme, l'un de ses amis ! Lui qui se savait tout puissant, l'affront était tel qu'il n'était pas certain de s'en relever. Déméter avait eu le courage de se livrer aux intempéries pour préserver Diolyde de la menace imminente qu'il représentait, désormais Jyn le comprenait.
Le parasite se redressait, la rage déformant monstrueusement ses traits. La puissance maléfique de son être, cadeau d'adieux de la Sixième zone, s'apprêtait à exploser. Un déchaînement qui n'aurait rien à voir avec les offensives minables de l'adolescent. Une aura noire se dessinait autour de la silhouette transfigurée de Déméter, ses cheveux se dressaient sur son crâne, le vert de ses mèches se ternissant de cette substance visqueuse.
La chose laissa s'échapper une part de l'attaque qu'il concoctait, un bref aperçu destiné à terrifier son adversaire. Celui qu'il désignait comme sa proie vit tout nettement ce qu'il se produit alors, comme un signe du destin. La glace céda sous la puissance de l'être et, dans un son déchirant, la terre s'ouvrit en deux pour dévorer celui qui avait osé l'offenser. Sous le regard de Jyn, Déméter disparut dans les entrailles glacées du néant qui se dessinait juste sous ses pieds.
Je plaide coupable, j'ai aimé écrire ce chapitre ! J'espère que ça s'est ressenti dans la lecture et que ce premier grand événement du tome vous aura plu (même s'il n'est pas achevé, pas encore !)
Passez une belle soirée ~
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