Mutation
Contexte : octobre 844
Levi est maintenant bien intégré au Bataillon, mais a encore beaucoup de rancœur envers Erwin. Mais Erwin est très décidé à se rapprocher de Levi.
***
Hello !
Après une longue pause (je devais travailler sur mes romans), me revoilà avec un nouvel OS pour ce recueil. Il se passe peu de temps après l'OS 6 "Décision".
Merci à Ellyane pour la bêta.
Bonne lecture !
***
Don't be afraid
The shadows know me
Let's leave the world behind
Take me through the night
Fall into the dark side
We don't need the light
We'll live on the dark side
I see it
Let's feel it
While we're still young and fearless
Let go of the light
Fall into the dark side
Darkside – Alan Walker
Fin septembre 844
La nuit est tombée sur la caserne du Bataillon d'Exploration. C'est l'anniversaire de Shadis aujourd'hui, aussi les soldats se sont tous retrouvés au réfectoire pour boire en l'honneur du commandant et se partager un énorme gâteau offert par un financeur du Bataillon dont Levi a déjà oublié le nom.
Après avoir fait acte de présence pendant une bonne heure, Levi s'est éclipsé en silence sans rien dire à personne. Il n'avait aucune envie d'être suivi par qui que ce soit. Il pourrait presque entendre Hange le traiter de rabat-joie et Finn de « coincé du cul ». Sans doute est-il les deux.
Il n'a jamais aimé les fêtes, encore moins les anniversaires. Les anniversaires, c'est pour les riches. Il ne sait même pas quand est le sien. En hiver. Il faisait toujours très froid. Vraiment très froid. Mais il se rappelle avoir fêté ses sept ans, juste avant que sa mère tombe malade. Elle lui avait offert une pomme et chanté des chansons. Ils avaient passé la journée au lit. C'était une belle journée. Froide, humide, sombre. Mais sans client. Rien que tous les deux. Il n'a plus beaucoup de souvenirs de cette époque. Son esprit les a effacés. Mais ce jour-là... il s'en souvient parfaitement
Levi est parti sans toucher au gâteau, mais a quand même pris une bouteille de bière. Il ne boit pas souvent. Presque jamais. À vrai dire, c'est la première fois qu'il boit autre chose que de l'eau ou du thé depuis son entrée dans le Bataillon. Il sait qu'il ne tient pas l'alcool, sans doute à cause de sa taille, à moins que ce soit le manque d'habitude. Résultat, il évite de boire. Trop peur de se ridiculiser et de donner l'occasion aux autres de se payer sa tête.
Mais ce soir, il en a besoin. Parce que cet anniversaire à la con lui rappelle qu'il n'en a pas, qu'il a oublié les rares auxquels il a eu droit, et que celui d'Isabel est demain. Elle aurait eu dix-huit ans. C'est rien, dix-huit ans. Ce n'est pas assez. On est trop jeune pour mourir à dix-sept ans. Pourtant Isabel est morte. Sans jamais avoir eu droit à un seul vrai gâteau d'anniversaire. Une fois, il avait réussi à voler du miel à un marchand. Ils avaient pu l'étaler sur du pain. Furlan avait allumé seize bougies. Pas des petites bougies d'anniversaire comme les gosses de riche, juste des bougies. Ça avait fait l'affaire. Isabel s'était fait le devoir de les souffler une par une.
Assis sur le muret de la cour intérieure, Levi ferme les yeux. Le sourire d'Isabel s'impose à lui et pour une fois, il n'essaye pas de le chasser. Il ne devrait pas essayer d'oublier. Il ne veut pas oublier son visage comme il a oublié celui de sa mère. Alors il laisse remonter les souvenirs. Même si ça fait mal. Même ça lui donne envie de hurler.
— Levi ?
Il reconnaît immédiatement la voix de Smith. Qui d'autre aurait bien pu le suivre de toute manière ? Décidé à lui dire de DEGAGER ET DE LUI FOUTRE LA PAIX, Levi fait volte-face. Tout ça, c'est à cause de lui. Isabel est morte à cause de Smith. Furlan aussi. C'est sa faute. Tout est de sa faute !
Mais malgré toute la colère et l'envie soudaine de faire mal à Smith en lui jetant la bouteille de bière à la figure, ou mieux de le défigurer avec ses poings, Levi se fige. Incapable de bouger. Incapable de se jeter sur cet homme qui se présente devant lui avec un regard inquiet et les épaules courbées.
Ce n'est pas qu'il ne veut pas, c'est qu'il ne peut pas. Comme si son corps avait décidé d'agir de façon indépendante. Il connaît bien cette sensation. Kenny appelait ça « l'Instinct », mais Levi a toujours su que c'était plus que ça. Cependant, il n'a pas d'autre mot pour décrire ce truc. Il ne se manifeste pas souvent, uniquement en cas de danger. Il le pousse à agir, frapper, blesser, se déchaîner. Dans ces moments-là, il est plus fort, plus rapide, plus agile. Il peut venir à bout de n'importe quel ennemi. Levi déteste ça. Il exècre perdre le contrôle et devenir cet animal enragé que rien ne peut arrêter.
Cet Instinct a toujours été synonyme de violence. Il pensait que c'était sa caractéristique principale. Alors pourquoi, pourquoi aujourd'hui l'empêche-t-il de s'en prendre à Smith ? Ce n'est même pas la première fois. Ça lui revient maintenant. Ce jour-là, après l'orage. Les mots de Smith avaient réussi à le faire douter et il était prêt à baisser son sabre. Peut-être même aurait-il fini par le faire de lui-même. Mais c'est son Instinct qui l'y a contraint. Et ce jour-là, il était plus fort qu'il ne l'avait jamais été. Il en est tombé à genoux dans la boue.
Tu ne dois pas lui faire du mal. C'est sans doute ce qu'il doit comprendre. Pourquoi ? Qu'est-ce que cet homme a de plus que les autres ? Levi reconnaît qu'il est différent. Clairvoyant. Et que s'il y a bien un homme susceptible de libérer l'Humanité de cette prison que constituent les murs, c'est Smith. Mais quel est le rapport avec lui ? Est-il destiné à lui venir en aide ?
Kenny disait toujours qu'il fallait se fier à son Instinct. Comme si Levi avait le choix. Il ne l'a pas. Il ne l'a jamais eu. Ou peut-être que si ? Difficile de savoir. Il n'a jamais eu envie de s'y opposer. Pas même aujourd'hui.
— Tout va bien ? s'inquiète le chef d'escouade.
— Fous-moi la paix, Blondie.
Soit. Il ne s'en prendra pas à Smith. Il le laissera vivre et l'aidera à sauver l'Humanité. Mais ça ne veut pas dire qu'il doit subir sa compagnie plus que nécessaire. Aussi Levi se détourne de lui, décidé à l'ignorer. Derrière lui, il entend l'homme laisser échapper un petit rire.
— Blondie ?
Et merde. Il est tellement habitué à l'appeler ainsi dans sa tête qu'il ne s'est pas rendu compte qu'il avait utilisé ce surnom ridicule à voix haute. Levi hausse les épaules avec indifférence, sentant néanmoins ses joues chauffer.
— On me l'avait jamais sortie celle-là, marmonne le capitaine sans doute davantage pour lui-même que pour Levi.
Il entend les pas de Smith se rapprocher. Puis, un bruit de vaisselle sur la pierre. Levi daigne baisser les yeux, Smith vient de déposer une assiette sur le muret à sa droite.
— Tu es parti avant même qu'on ne le coupe, explique l'homme.
C'est ridicule. Smith lui apporte du gâteau ? Et puis quoi encore ?
— J'ai dit que je resterai dans le bataillon, pas besoin de me soudoyer avec de la bouffe, réplique Levi en retournant à sa contemplation du ciel étoilé.
— C'est pas pour... bon sang, tu es vraiment impossible.
Levi n'aime pas ça. Cette manière dont Smith essaye de faire ami-ami avec lui. C'est étrange et déstabilisant. Il ne comprend pas ce que le capitaine cherche à accomplir. Il voulait un allié, Levi l'est devenu. Il voulait faire de lui le meilleur soldat de l'Humanité, c'est en bonne voie. Que peut-il vouloir de plus ? Devenir son ami ? Pourquoi ? Quel est l'intérêt ? C'est ridicule. Ils ne peuvent pas être amis. Pas après Isabel, pas après Furlan.
— Je sais que demain c'est... enfin, ça aurait dû être... son anniversaire, bégaye le capitaine.
Levi se fige instantanément. Il sait ? Comment ? Les formulaires sans doute. Il se souvient que Furlan avait rempli celui d'Isabel. Sans prévenir, la colère en lui se mue en un sentiment bien plus sombre. Peur et désespoir. Non, Levi n'a jamais peur. Et certainement pas de Smith. Alors pourquoi est-il aussi tendu qu'un arc, appréhendant le moment où l'homme va reprendre la parole ?
— C'est... j'ai conscience d'avoir une part de responsabilité, et je comprendrais si tu trouves ça déplacé, mais... je sais que... enfin, je me suis dit que tu apprécierais avoir...
Du coin de l'œil, Levi remarque que Smith lui tend à présent quelque chose. Rectangulaire, plat. Il relève les yeux sur l'homme qui semble avoir perdu toute son assurance. Dans la pénombre, il a l'air plus jeune que d'habitude. On dirait un adolescent timide et maladroit.
Suspicieux, Levi tend la main. En sentant le verre sous ses doigts, il pense d'abord à un miroir. Mais non, c'est un cadre. Non, c'est un dessin encadré.
Le portrait d'Isabel et Furlan.
— Claudia a toujours été douée en dessin alors je lui ai demandé de... explique Smith avec un léger tremblement dans la voix.
Le dessin est réalisé au crayon gris, sur un papier clair et n'est pas très grand. Sans doute dix centimètres sur quinze. Quelque chose comme ça. Difficile de voir distinctement les détails à la lumière des étoiles, mais Levi est capable de reconnaître que ces portraits sont très ressemblants. Pas totalement parfaits, Furlan avait de plus grandes oreilles et le menton d'Isabel était plus rond, mais c'est bien eux. Et s'il y a bien une chose que Claudia a réussi à capturer sur le papier, c'est bien le sourire d'Isabel. Avec sa fossette à la joue droite, et ses dents pas parfaitement alignées.
Levi déteste Smith. Non, il le hait. Pourquoi est-il si... prévenant ? Pourquoi arrive-t-il toujours à taper aussi juste ? Comment peut-il lui faire ressentir autant d'émotions contradictoires ? Il n'a pas le droit de lui faire ça ! Smith n'a pas le droit de le sortir des Bas-Fonds, de donner un sens à sa vie, de l'aider à surmonter ses crises, de lui offrir sa liberté, de lui faire de grandes déclarations comme quoi il croit en lui et a besoin de lui, de le défendre face aux ragots – parce que oui, il a entendu Smith recadrer des soldats qui parlaient dans son dos – et maintenant de... de lui offrir le plus beau cadeau qu'on aurait pu lui faire. Un moyen de ne jamais oublier leurs visages.
Il a une boule dans la gorge et un nœud dans le ventre. Des larmes ont embrumé ses yeux et il doit serrer les dents pour retenir ses sanglots. Caché derrière sa frange, il espère que Smith ne remarque rien. Il refuse de craquer devant lui. Surtout devant lui. Il aimerait qu'il parte, mais le capitaine semble décidé à rester. Peut-être attend-il une réaction. Des remerciements ? Ou des insultes ? Sauf que s'il ouvre la bouche, Levi sait qu'il ne pourra plus contenir ses larmes. Alors il reste silencieux et continue de fixer l'image de ses deux amis souriants. Des sourires qu'il ne reverra plus jamais.
— Je suis vraiment désolé, Levi. J'aurais aimé que les choses se passent différemment, crois-moi.
Et maintenant les excuses. C'est trop. Levi ne sait plus comment gérer. Ne pas craquer. Ne pas le regarder. Serrer les dents. Ça va passer.
— Tu sais, j'ai... je sais ce que c'est de perdre des personnes chères pendant une expédition. Enfin, je dis « je », mais en vérité, c'est valable pour tout le monde ici.
Va-t-en, pense Levi sans parvenir à le formuler à haute voix. Il ne veut pas que Smith lui confie des choses. Il ne veut pas savoir. Il ne veut pas se rendre compte qu'ils ne sont pas si différents. Que Smith garde sa pitié, sa compassion et sa culpabilité.
— J'avais dix-sept ans quand j'ai rejoint le Bataillon. On m'a intégré à l'escouade de Shadis, il n'était pas encore commandant à l'époque. J'avais... ma cheffe d'équipe s'appelait Octavia. Elle était à peine plus âgée que moi et tout de suite... je ne sais pas, il y a des gens comme ça avec qui on a des atomes crochus et avec qui c'est tout de suite très intense. Elle était tout ce que je rêvais d'être : forte, intelligente, respectée par ses pairs. Quand elle ouvrait la bouche, le commandant l'écoutait. Tout le monde l'écoutait.
Tais-toi.
Mais Smith poursuit comme si de rien n'était. Et Levi serre le petit cadre contre son cœur en fermant les yeux. Il ne veut pas entendre l'histoire de Smith, mais il ne peut pas s'empêcher de l'écouter.
— Elle aurait pu devenir commandante, elle était faite pour ça. Pour diriger. Et elle était douée pour transmettre ses connaissances à ses cadets, pour les épauler et les aider à survivre. Sans elle, je serai mort dès ma première sortie.
C'est bon, il a compris. Cette femme était quelqu'un d'exceptionnel et Smith était sans doute un peu amoureux d'elle. Et elle est morte. Pas besoin d'être un devin pour le savoir. Il n'y a pas d'Octavia au sein du Bataillon.
— C'est arrivé lors de la première expédition menée par Keith. Elle était montée en grade et devenue cheffe d'escouade entre temps. Notre escouade était chargée de transporter du matériel jusqu'à la base Extra-Muros que nous avions réussi à établir au prix de nombreux sacrifices. Je ne sais pas pourquoi ce jour-là... les titans étaient plus agités que d'habitude. Et nous n'avions pas la formation de détection à l'époque. Après la première attaque, nous aurions dû battre en retraite. Mais Keith... tenait absolument à continuer, et ce malgré l'avis des chefs d'escouade. Alors on a poursuivi la mission et... ça a été un carnage.
Pas besoin de plus de détails. Les images de corps déchiquetés et de membres arrachés s'imposent à l'esprit de Levi.
— Quarante-deux. C'est le nombre de survivants qu'il y a eu ce jour-là. Sur deux cent neuf soldats. Et je pense que tu as compris qu'Octavia n'en faisait pas partie.
Levi est-il censé compatir ? Il a compris, Smith aussi a vécu l'horreur. Comme tous ses camarades. Son cas n'est pas unique, son deuil n'a rien d'exceptionnel et il ne devrait pas se plaindre parce que lui a encore la chance d'être vivant. Si on peut appeler ça une chance.
— Je lui en ai tellement voulu. À Keith. Et aujourd'hui encore, je continue à croire que son orgueil a joué un rôle dans sa décision. C'était sa première mission en tant que commandant, il ne voulait pas rentrer bredouille. Il voulait montrer qu'il était le chef. Et en même temps... je ne sais pas. Est-ce qu'il aurait réellement fallu abandonner la mission si tôt ? La base Extra-Muros était plus avancée que jamais et aurait pu constituer un avantage de taille. Tant d'hommes et de femmes avaient donné leur vie pour elle. Et nous aurions dû baisser les bras à la première attaque ? Si j'avais été à sa place, je... je ne sais même pas quel aurait été mon choix. Et Keith n'était pas responsable des attaques des titans.
Alors c'est donc ça, la morale de l'histoire ? C'est facile de critiquer les choix de ses supérieurs, mais en réalité ils font de leur mieux ? Conclusion : Smith n'est pas totalement responsable de la mort de ses amis. Ça lui fait une belle jambe. Peu importe qui est responsable : Smith, les titans, Levi, le résultat est le même. Isabel et Furlan sont morts. Et tout ce qu'il reste d'eux, c'est ce mauvais croquis réalisé de mémoire par quelqu'un qui ne leur avait sans doute jamais adressé la parole et qui les méprisait.
— C'est quoi ton problème, Smith ? parvient-il à grincer.
— Je... Excuse-moi, je pensais que...
— Arrête de t'excuser putain ! J'avais compris la première fois : les titans les ont tué, pas toi, pas Rovoff, pas moi ! Mais ça n'empêche que c'est toi qui nous as enrôlés ! Personne voulait de nous, pas Shadis, pas Zackley, personne. Personne sauf toi ! Et le pire dans tout ça, c'est que tu les voulais même pas. Le seul que tu voulais, c'était moi !
Sans Levi, Isabel et Furlan n'auraient jamais intégré le Bataillon d'Exploration. Sans Levi, ils seraient encore en vie. Dans les Bas-Fonds, peut-être, mais vivants.
Ou peut-être pas. Après tout, c'est lui qui a recueilli Isabel, lui qui s'est occupé des hommes qui voulaient sa peau. Et si Furlan était le cerveau de la bande, c'était Levi l'homme de main. Sans lui, sans doute n'auraient-ils pas survécu bien longtemps dans la Ville Souterraine. Ou peut-être que si.
— Qu'est-ce que tu cherches exactement ? insiste Levi en plongeant son regard dans celui de l'autre homme. Je t'ai offert mon cœur, qu'est-ce que tu veux de plus ?
Emporté par sa colère, Levi ne réfléchit pas au sein de ses paroles. Offre ton cœur, offre ta vie, c'est la devise du Bataillon d'Exploration. Les officiers passent leur temps à le rappeler, Smith le premier. Et c'est en voyant ce dernier éclater de rire que Levi réalise brusquement le double sens de cette déclaration.
Smith rit aux éclats, comme Levi ne l'a jamais vu rire. Un rire franc, sincère et chaleureux qui résonne dans les coursives. Et Levi ne met pas longtemps à le rejoindre, consterné par sa propre bêtise. À moins que ce soit la faute de l'alcool, il n'a pas l'habitude de boire.
Depuis combien de temps n'a-t-il pas ri ainsi ? Des mois. Isabel était l'une des rares personnes à réussir à le faire rire avec ses âneries. Ça fait du bien. C'est libérateur. Pour la première fois depuis ce tragique jour de pluie, Levi se sent bien. Même si Smith est insupportable, même si Isabel et Furlan sont morts, même si l'avenir est plus incertain que jamais. Pour la première fois depuis qu'il a perdu ses deux meilleurs amis – sa seule famille –, Levi n'est pas seul. Parce que Smith est là et que son rire est un phare dans l'obscurité. Un soleil dans la nuit.
Mais ce moment suspendu est de courte durée. Parce que les larmes de rire se muent progressivement en sanglots et avant qu'il n'ait pu comprendre ce qu'il se passait, Levi se retrouve à pleurer à chaudes larmes. C'est incontrôlable, ça le prend dans le ventre et se propage dans sa poitrine, allant jusqu'à lui serrer la gorge. Les larmes coulent sur ses joues et l'aveuglent complètement. Il a du mal à respirer. Ça le brûle de l'intérieur. Il a envie de hurler, mais est incapable de produire autre chose que des gémissements pathétiques.
Parce qu'Isabel et Furlan sont morts. Sa mère aussi. Et Kenny l'a abandonné. Parce qu'il est seul et qu'il ne sait pas comment il arrive à tenir debout. Parce qu'il se demande si rester dans le Bataillon est réellement une bonne idée, mais que dans le fond, il n'a nulle part d'autre où aller. Parce qu'il commence à s'attacher à ses camarades et que ces derniers vont sans doute mourir les uns après les autres. Julian, Hange, Kyle... Et même Smith. Un jour, ils seront tous morts et il se retrouvera encore plus seul qu'aujourd'hui. À moins qu'il ne meure le premier. Mais il a toujours ce foutu Instinct qui le force à survivre. Et il ne sait pas comment y résister.
Lorsque Smith passe son bras autour de ses épaules, plaquant son torse contre le dos de Levi, ce dernier n'a pas la force de le repousser. Au contraire, il s'agrippe à ce bras avec sa main droite, ses doigts tels des griffes, tandis que l'autre refuse de lâcher le cadre. Il s'accroche à ce bras comme s'il avait peur qu'il disparaisse. Parce qu'il a trop besoin de ce contact. De cette ancre. Et tant pis si c'est Smith. Ça aurait pu être n'importe qui. Ou peut-être pas. Peut-être qu'il fallait que ce soit Smith. Peut-être que dans le fond, il ne le déteste plus depuis longtemps. Mais il s'en sent obligé. Parce Isabel, parce que Furlan. Parce que la douleur est encore trop aiguë et leurs souvenirs vivaces.
Le capitaine est robuste, ses bras puissants et il sent l'eau de Cologne et la gomina. Sa respiration régulière et profonde aide Levi à retrouver son propre souffle alors que la pression de son étreinte l'arrime solidement sur terre et lui rappelle qu'il est toujours vivant. Levi voudrait que Smith le lâche, le laisse seul avec son désespoir, ne lui adresse plus jamais la parole. Levi voudrait que ce moment dure éternellement.
Quelle est la dernière fois où quelqu'un l'a tenu dans ses bras ? Juste comme ça, sans arrière-pensée. À moins que Smith veuille le sauter, lui aussi. C'est peut-être ça qu'il cherche après tout. Peut-être est-il comme tous les autres. Mais là, tout de suite, l'homme se contente de le serrer fort, jusqu'à ce qu'il retrouve son souffle. Jusqu'à ce que les larmes se tarissent.
Lorsque Levi revient enfin à lui, Smith a la clairvoyance de ne faire aucun commentaire. Il se contente de lui tendre un mouchoir, que Levi espère propre. Et à la lumière des étoiles, Levi devine les initiales brodées dans l'un des coins. Le mouchoir sent l'eau de Cologne. Il sent Smith. Et Levi se déteste de trouver cette odeur plaisante.
Ils restent un moment là, Levi toujours assis sur le muret, les pieds dans le vide et Smith debout à sa droite, dans une posture guindée et militaire. À regarder les étoiles. En silence. Et cette fois, lorsque Smith lui tend l'assiette de gâteau, Levi l'accepte sans hésiter. Il pose avec précaution le cadre sur le muret, les visages d'Isabel et Furlan tournés vers l'horizon, comme s'ils pouvaient profiter du paysage. Et il mange ce gâteau trop sucré pour lui, un peu écœurant alors que Smith se retire sans un mot.
Oui, peut-être ne déteste-t-il plus le capitaine. Peut-être pourraient-ils être amis. Et peut-être est-il temps d'arrêter d'être en colère. Isabel et Furlan sont morts, néanmoins lui est toujours vivant. Il ne tient qu'à lui d'honorer leur mémoire en continuant à vivre. En faisant tout pour que de là où ils sont, ses amis puissent être fiers de lui.
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