Je n'ai pas d'inspiration.

C'est un comble, pour un auteur. 

Je devrais en avoir, pourtant ! Ma tête est censée fourmiller d'idées, ma main est censée n'avoir aucun repos, bien trop occupée à écrire un chef d'œuvre !

Mais je n'ai pas d'inspiration. 

Mais, j'ai ce besoin d'écrire, de me donner un minimum de contenance. Je suis un auteur après tout.

Mon dernier livre remonte à deux ans. Il a assez bien marché. Il a trop bien marché.

Les gens me reconnaissent dans les salons littéraires, maintenant.

Ils me reconnaissent aussi dans le métro.

Ils me reconnaissent aussi quelques fois dans la rue. 

Des fois, ils ne me reconnaissent pas. Mais il suffit que je parle un peu de moi, de dire mon métier. Et ils finissent toujours par faire la même tête, quand ils savent le titre de mon livre.

Leurs bouches s'arrondissent dans un "o" presque parfait, leurs sourcils se haussent, et leurs yeux se mettent à briller.

"Ah, mais c'est vous ! J'ai adoré votre livre, vous êtes un prodige ! "

 Puis ils enchaînent.

"Il fallait le dire, que vous étiez célèbre !"

Ils se ressaisissent ensuite, les yeux dans le vague, et la conversation dérive sur un autre sujet. Je crois alors m'en être tiré, et un soulagement fou me parcourt. 

Mais inlassablement, quelques minutes plus tard,  ils finissent par me poser la question que j'ai essayé d'éviter pendant tout l'échange.

"Vous travaillez sur un autre projet, en ce moment ?"

Et même si je m'y attendais, même si on me l'a posée une dizaine de fois, mon sang se glace à chaque fois. 

Je bégaye un petit " Secret professionnel", et ils lâchent l'affaire.

Je ne sais pas pourquoi j'ai une réaction si disproportionnée.

Il faudra que j'en parle à mon psychologue.