Chapitre 5
La porte claqua.
Essoufflée, sa respiration l'abandonna, son souffle la lâcha, elle s'effondra sur une chaise, tremblante d'excitation, et dans ses veines, c'était brûlant, c'était de l'acide. Dans son esprit s'était écroulé comme un château de carte tout ce qui la retenait encore, tout, une idiote peur des brûlures, l'image d'une tombe près d'un if. Toutes ces constructions se tenaient là comme une censure, oh, c'était léger, si léger que ça avait volé en éclats à la vue d'une bougie, d'un masque et d'une bougie, et maintenant, il n'en restait plus rien, plus rien. Plus rien ne l'empêchait de flamber à nouveau. Elle était omme la flamme d'une bougie mal éteinte qui se ravive après avoir été soufflée. C'était ça, elle vivait de nouveau, elle sentait au fond d'elle se lever le vent en bourrasques brutales, ranimer l'incendie qui déchirait son être, en un jouissif et perpétuel mouvement de destruction et régénération, toujours plus vif, mortel, et elle le sentait, il allait falloir plus, toujours plus de combustible pour un brasier si haut, si haut qu'il en enflammerait les nuages.
Elle était rentrée chez elle sans trop savoir comment, elle ne se rappelait plus, elle reprenait conscience peu à peu, à mesure que l'excitation passait, que la fièvre se calmait. Dans sa tête, tournait,
« Calme toi, Lola. »
Pour ses braillements de bébé.
Calme toi, Lola.
Pour ses pleurs et ses caprices.
Calme toi, Lola.
Pour ses disputes et ses colères.
Calme toi, Lola.
Pour la peur qu'elle lisait sur leur visage.
Calme toi, Lola.
Alors il y avait les bougies, douces et jolies, un petit jeu qu'elle aimait, passer son doigt vite au dessus de la flamme, qui était comme traversée, mais ce n'était pas chaud, le feu ne la brûlait pas, comme si elle était invincible. Avec la bougie, elle avait enflammé un morceau de papier. Il s'était tordu et recroquevillé et c'était magique les couleurs qui dansaient le noir qui mangeait la feuille le cri de peur de sa mère aussi c'était joli presque mélodieux. Elle avait promis de ne pas recommencer et plus jamais ses parents n'allumèrent de bougie mais une promesse ce n'est que des mots n'est ce pas que des mots rien d'autre que des mots qui s'estompèrent si vite. C'est dommage...
Parce qu'un jour elle comprit comment utiliser une allumette.
Elle en gratta une, pas assez fort.
Une deuxième se cassa.
La troisième lui brûla les doigts.
Avec la quatrième elle ralluma la bougie.
Et ses parents ne comprenaient pas pourquoi les papiers disparaissaient pourquoi dans sa chambre ça sentait la fumée pourquoi l'herbe parfois était noircie dehors et puis ils avaient trouvés les allumettes et c'était si drôle leurs visages horrifiés si drôle.
Alors elle gardait toujours ce sourire insolent, tu te moques de nous, j'en peux plus de cette gosse, mais qu'est ce qu'on a fait pour qu'elle soit comme ça, elle a des problèmes, non elle le fait exprès, moi je te le dis je vais pas supporter ça plus longtemps, y'a qu'une seule chose qui marche avec elle, elle connaît que ça, la violence, se prendre une claque ça va la calmer.
Bien sur, ça ne l'avait jamais vraiment calmée.
Voler les briquets les allumettes lancer des cailloux escalader les murs triturer les fourmilières s'enfuir par la fenêtre renverser les poubelles en riant en riant toujours.
« Calme toi, Lola ! »
Elle ne se calmait pas. Elle lisait la honte, la peur et la déception dans leur regard, j'ai échoué ils pensaient. Mais ils ne comprenaient pas où ils avaient échoués, ils étaient si stupides, ils ne comprenaient pas qu'elle ne se calmerait jamais.
Et comment aurait-elle pu comprendre, elle, pourquoi ses parents essayaient de la calmer ? Et comment aurait-elle pu comprendre, elle, pourquoi ils pleuraient lorsqu'elle explosait de colère ? Et comment aurait-elle pu comprendre, elle, pourquoi ils souriaient lorsqu'ils la voyaient sourire ? Elle ne l'avait jamais compris, et elle ne le comprendrait jamais.
Elle se rappelait ce qu'ils lui avaient dit, une fois.
« On t'aime, Lola. »
Elle avait cinq ans. Elle les avait regardés, à tour de rôle, penchés sur elle, ils lui souriaient. Et elle leur avait répondu, du même ton que lorsqu'elle le disait à Nash, doux, un peu grave aussi,
— Je vous aime.
***
Nash n'osait pas la toucher, elle semblait, évanescente, évaporée, comme dans la forêt de métal, il sentait la peur sourdre de ses intestins qui se tordaient, sans savoir pourquoi, c'était étrange, étrange, c'était ce regard là. C'était elle qui était étrange, étrange, étrangère, mais il ne pouvait pas lui dire, elle lui rirait au nez, il le savait.
Il prononça, inquiet, eh, tout va bien, qu'est ce qu'il s'est passé ?
— Rien, souffla-t-elle, j'ai couru, c'est tout.
Et elle ne pouvait pas s'arrêter de sourire. Il lui demanda, tu es allé où, tu es sûre qu'il n'y a rien, oui, oui, laisse moi. Elle l'observait et quand il mit son manteau pour sortit elle eut l'impression qu'il la fuyait et cela lui déplut. Avec ces yeux qui faisaient monter des frissons dans la colonne vertébrale de Nash, mais plus une seule trace de joie sur le visage :
Je veux que tu restes avec moi ce soir je sais qu'on est vendredi que tu devais sortir avec des amis mais je veux que tu restes il n'y a pas de raison je veux que tu sois là c'est tout j'en ai besoin ne dis pas n'importe quoi pourquoi je voudrais t'empêcher de sortir c'est toi qui veux absolument me laisser seule c'est faux c'est comme ça que tu me vois alors une sale gamine capricieuse laisse tomber ce n'est pas grave je comprends tu as d'autres... priorités que moi tes « amis » essaient de te convaincre de me laisser je le sais mieux que toi tu ne te rend même pas compte que tu te fais manipuler je vois très bien leurs paroles qui essaient de t'éloigner de moi et ça marche en plus ça marche!
Elle lui tourna le dos et laissa délibérément ses cheveux pendre devant son visage. Arrête ça, il dit d'une voix qui commençait à trembler, arrête tout de suite. Lola se retourna brusquement, et leva le menton vers lui, il sentit un coup dans sa poitrine quand il remarqua les larmes qui perlaient au coin de ses yeux, il eut un instant l'envie de pleurer, lui aussi, ce n'est plus la peine que tu restes, Nash, son cœur battait si violemment, il prononça, non, attends, je veux rester ici, avec toi, il ne voulait pas la perdre, ah, vraiment ? elle murmura, un soupçon de triomphe dans la voix.
Nash était une comète. Une comète, un éclair dans le vide de l'espace, parce que c'est comme ça que tu voyais les sentiments passer sur son visage, par flash, et ça disparaissait, et il avait ce léger mouvement de lèvre, léger comme une bulle de savon. Nash était une comète. Il brillait d'un éclat discret et tu ne pouvais le distinguer des étoiles que grâce au mouvement, à la traversée, fugitive, un passage dans une foule immobile, un reflet vif dans un regard fixe. Nash était une comète. Une brillance infinie et unique mais une trajectoire calculée, un cercle, un retour, programmé presque, un attachement trop fort peut être à quelque chose de défini, vouloir repasser, revivre, retrouver. Nash était une comète. Immobile comme peut l'être le trajet d'une étoile filante.
Alors Nash se répétait, elle a tort, elle a tort, ce n'est pas possible, non, il n'aurait pas du rester, il aurait du lui dire, elle n'aurait jamais du dire, il lui dirait, oui, il lui dirait, demain. Flottait dans sa tête ses paroles, toute la soirée devant la télé la tête crevée la main douloureuse de contact et les lèvres trop faibles pour sourire, et toute la nuit les yeux au plafond le visage collant de sueur et la respiration trop bruyante pour dormir, il lui semblait qu'à ses cotés Lola indéfiniment insolemment souriait.
Peut être qu'il commençait à comprendre, qu'il n'avait pas besoin des autres, qu'il n'avait besoin que d'elle. All you need is Lola, murmurait-elle, chantant ce refrain en boucle comme une berceuse jusqu'à ce qu'elle s'endorme, paisible, rêvant de l'incendie.
Au matin, sur son téléphone, un message d'un numéro qui n'avait pas de nom, un numéro qui attendait depuis près de trois ans, un message qui disait : Bonjour, Lola, la forêt est en cendres, je sais que c'est toi. J'ai des projets, à dimanche soir. -A.
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