
𝐥𝐞 𝐝𝐮𝐨 {chp19}
┍━━━━━━━━━━━━━━━┑
𝐋𝐄 𝐃𝐔𝐎
où j'ai les yeux en cœur, clairement
┕━━━━━━━━━━━━━━━┙
LYZA SE POSTA À LA lisière des bois, son arc tendu vers Ritori – et moi, bien malheureusement.
― Relâche-le, ordonna-t-elle, impérieuse.
Le bras de l'ex-Voleur se resserra, comme un serpent piège sa proie dans ses anneaux (ce serait bien d'arrêter cette assimilation à un serpent, non ? n'empêche qu'elle est vraie).
Je plissai les yeux, détaillai Lyza, dont les yeux violets étincelaient de fureur. Avec panique, je remarquai son visage tuméfié et qu'elle boitait mais comme elle était dans la pénombre du bois, je ne percevais pas bien. Ce qui restait quand même de très mauvais augure.
― Lyza, pars, s'il-te-plaît, je m'en charge, lui dis-je, essayant de transmettre une bonne dose de confiance dans ma voix.
Allez, enfuis-toi et trouve-toi de quoi te guérir, bon sang ! hurlai-je en mon for intérieur.
Elle haussa un sourcil, une commissure remontée, ironique.
― Oui, on dirait pas, mais par pitié, débarrasse le plancher !
Ritori ne semblait pas intervenir, même si sa frustration de ne pas pouvoir agir en paix se répercutait sur mon bras – qui semblait avoir disparu de la circulation, tant je le sentais plus.
― Hors de question, Liam a disparu par leur faute.
Elle fit un pas de plus, s'exposant au soleil. Et je vis l'ampleur de ses blessures.
Nom d'une feuille à pâquerette.
Elle tenait son arc tendu, mais de son bras tombait au goutte-à-goutte un fluide carmin, qui me fit frémir. Elle boitait, effectivement, son mollet présentait une méchante et vicieuse coupure ; ses lèvres étaient enflées et je voyais son œil gauche bleuir à vue d'œil. Une estafilade courait sur sa joue, soulignant sa pommette marquée. Et même si elle avait enroulé autour de sa taille un bandage, celui-ci n'épongeait pas tout le sang.
― La chose est simple, Ritori : tu le tues, je te tue, posa-t-elle d'une voix qui ne souffrait aucune réplique.
J'veux pas !
Je retins le bruit de souris qui voulait s'échapper de ma gorge. Et je vous annonce le décès officiel de mon bras, au passage.
L'ex-Voleur éloigna mon poignard de ma pomme d'Adam ; ouf, enfin une bonne nouvelle sur la planète Wend...
― Que souhaites-tu alors ? répondit-il, opposant un ton désinvolte au sérieux de Lyza.
― Relâche-le.
Ritori soupira, l'air las ; je tentai de me dégager, sans succès. Il récidiva en me coinçant l'autre bras dans mon dos. Oh mais... ! Franchement, Wend, tu me déçois, là.
Lyza avança d'un nouveau pas et je pus lire dans ses yeux une telle colère que j'en frissonnai.
― Je ne crois pas, non.
L'entrée triomphale de l'Imbécile de Première Classe, on applaudit ! Beaucoup trop de retournements de situation, mon cœur ne suit plus.
Il se tenait droit et fier comme paon derrière Lyza, qui fit volte-face. Avant qu'elle n'ait le temps de décocher sa flèche, il sectionna en deux son arc d'un large coup de sabre avant d'enchaîner avec une botte destinée à ouvrir sa deuxième jambe ; coup que Lyza contra grâce à un bout de son arc.
Alors qu'elle réprimait une imprécation ou une quelconque injure j'imagine, Nathanaël lança, audible et terriblement confiant :
― Le vieux est dans le sac. Quant à toi, juna, tu vas mourir.
Juna. Un terme ancien, venu du Nord, aujourd'hui transformé en insulte pour toutes les femmes qui se battent. Arthemys recevait souvent ce surnom ; bien que péjoratif, elle préférait s'en amuser et se dire qu'elle pourrait en changer la connotation.
Ritori, fauchant net mes pensées, m'entraîna en arrière alors que je criais, terrifié pour Lyza.
― Ça n'en vaut pas la peine, Wendyalen, me souffla-t-il devant mon oreille.
Et son souffle attisa le feu de ma haine.
À cause de lui, j'avais perdu Erwan, j'avais perdu ma confiance et toutes mes certitudes s'ébranlaient ; même revoir Eliros ne m'avait pas fait autant de bien que ce que j'imaginais. Lyza se battait à mort, ennemie devenue amie par le coup du sort, Liam avait disparu, et sa disparition ne faisait si mal que parce qu'elle faisait écho à celle d'Arthemys – et de tous ces Voleurs effacés du jour au lendemain. Et tout ce qu'il trouvait à me dire, c'était que je pouvais fléchir ? Que je pouvais rejoindre ceux qui avaient causé... ça ?
Deas m'avait demandé de répandre son message.
Je pense que c'était le moment.
― N'as-tu jamais compris ce qu'était être Voleur, Chercheur ?
Je pinçai les lèvres, me remontai les manches dans ma tête : il fallait se secouer, personne n'agirait à ma place.
N'aie pas peur de ce que tu ressens, Wendyalen : ce sont tes émotions qui te rendent fort.
J'invoquai le visage d'Erwan – ses yeux bleus si pétillants de malice et ses cheveux blonds qui lui faisaient une couronne d'or, son sourire et ses fossettes qui me donnèrent les larmes aux yeux – et m'accroupis d'un coup. Me dégageai de la poigne de l'ex-Chercheur. Esquivai son pied qui fouettait l'air. Clignai des yeux une seconde – une éternité. Plongeai au sol pour éviter mon poignard, me relevai d'un bond, raflai mon arme et la pointai vers Ritori, peu en reste.
― Qu'as-tu jamais espéré, Chercheur ?
J'envoyai le poignard en arrière, sans chercher à réfléchir ; mauvais pour la santé, la réflexion. Le cri de douleur mêlé de surprise de l'Imbécile me ravit au plus haut point.
― Qu'as-tu jamais prié pour, Chercheur ? Peux-tu seulement comprendre qu'on ne renonce pas à qui on est ?
Ritori poussa un cri de rage et bondit en avant. Je reculai précipitamment : désarmé, je n'avais aucune chance. Dans ce cas, il aurait fallu éviter de le provoquer avec autant d'arrogance, chéri.
Tu es l'unique maître de ton destin, Wendyalen, ne laisse personne décider à ta place.
― Peux-tu seulement imaginer que Voleur n'est qu'un nom, un style que les gens t'attribuent, juste pour pouvoir te mettre dans une case ? On ne devient pas Voleur, Ritori, désolé de te l'apprendre. On le naît. Et jamais je n'abandonnerai ce que je suis, ce qui fait de moi ce que je suis.
Avec un calme qui me sidéra, je sentis le dos de Lyza se coller au mien. Entourés de Nathanaël et de Ritori, au bord d'une falaise abrupte, j'ai cru que tout se finirait ici.
Les derniers rayons de soleil nimbaient d'une aura rougeâtre la silhouette gainée de l'ancien Voleur, soulignaient ses traits durs et racés, éclairaient ses yeux verts d'une étincelle dorée, repassaient sur les muscles qui saillaient sous sa tenue de Chercheur. Il esquissa un sourire victorieux.
― Je ne te demande pas d'abandonner qui tu es, Wend, je te demande de t'améliorer, de devenir une version 2.0, bien plus belle, robuste, puissante ! Être un Voleur est une expérience, quelque chose de fabuleux que seuls toi et moi pouvons comprendre ici. Mais comment peux-tu juger sans connaître ? Je vais te dire pourquoi être Chercheur est bien plus que ce que tu crois.
Il savait qu'on était à leur merci et nom d'un champignon, il le faisait bien sentir !
― Je suis le meneur de l'attaque royale, suivi par des centaines de Qwa-Jis. Qu'indirectement, tu as formé. Tu les as entraîné dans leur haine des Voleurs, et de tout ce qu'ils représentent. Ta façon de te jouer des gardes, ça les a révoltés. Ils se sont mis à chercher. Vraiment, Chercher.
― Si tous les Chercheurs l'auraient fait avant, les Voleurs ne seraient qu'un souvenir, plaça Nathanaël.
Ritori acquiesça, doucement, aussi impassible d'une fleur sous le vent de la tempête.
― Chercher les Voleurs pour savoir Wendyalen.
Je cherchai la main de Lyza dans mon dos. Elle la saisit, glaciale et tremblante, mais présente. Brave.
― Pour tout savoir sur toi, ta famille, tes amis, ton passé, reprit Ritori. Nous savons maintenant exactement par quels orphelinats tu es passé, par quelles villes tu es passé. Tout, je te dis. Je peux même te donner ta date de naissance et le nom de tes parents.
Les alertes s'enclenchèrent toutes au même moment, je comprimai la main de Lyza dans mon dos. Mes parents – que dis-je, mes géniteurs – m'avaient abandonné enfant, aucune envie qu'ils me pourrissent la vie maintenant !
― Mais je m'en fiche ! Quand quelqu'un t'abandonne une fois, ne lui redonne pas ta confiance alors tu vois, mes parents comme tu dis, je m'en fiche. Totalement.
Il se contenta de me fixer le regard dans mes yeux, sûr de lui.
― Tu as beau fanfaronner, si je te disais que tes parents étaient des Chercheurs, qu'est-ce que tu ferais ? railla Ritori.
Temps mort ! Ça veut dire qu'il sait vraiment qui ils sont ?
Je haussai un sourcil, en essayant de reprendre un souffle normal.
― Je ne sais pas. Peut-être essayer de rester en vie.
― Alors tu veux mourir, vraiment ? Ici et comme ça ? Devenir Chercheur te permettrait de rester en vie.
Je convoquai le visage gracieux – grandiose – de Deas, cette fillette des rues devenue femme resplendissante à Ohasi, cette déesse qui représentait tout à la fois. Si j'écoutais, je savais que je me laisserai tenter ; être protégé, pouvoir me reposer me manquait. Ne plus avoir à se soucier du lendemain me manquait, bien sûr. Mais avais-je un autre choix ? Je suivrais toujours Arthemys, unique modèle, je suivrais toujours les pas d'Erwan, Voleur qui méritait de vivre. Eux deux n'auraient jamais renoncé à la part d'eux-mêmes qu'ils aimaient le plus.
Lyza me serra la main, en soutien. Quoi que je choisisse, elle me suivrait. Je relevai le regard pour faire face à Ritori. Et secouai la tête.
― Laisse tomber, vraiment.
Il fit un pas en avant. Je fléchis les genoux.
― À terre ! hurla Lyza.
Je plongeai au sol, libérant de l'espace pour lui laisser de la marge.
Elle tira ses deux bouts d'arc – je reconnus une pointe en acier à l'extrémité avec une joie sordide – et tint à distance les deux Chercheurs alors que je suffoquais à trois mètres, éreinté.
Avec des yeux émerveillés, je la vis affronter les deux hommes avec une virtuosité qui me sidéra.
Le combat est un souffle de vie, pas un relâchement, que des tourbillons de feintes, d'attaques et d'esquives.
Elle bondissait, frappait, feintait, reculait de deux pas pour mieux s'élancer et déchirer. Panthère noire à l'attaque, elle crachait, feulait, sortait les griffes. Ses cheveux nattés rebondissaient sur ses épaules alors qu'elle tourbillonnait comme un feu follet.
Si tu t'arrêtes pour reprendre ton souffle, tu perds le rythme et tu perdras tout court, alors ne t'arrête pas, continue sur ta lancée. Si tu as choisi quelque chose, va jusqu'au bout, Wendyalen !
Elle contra le sabre de Nathanaël d'un revers du bout de son arc, se contorsionna et envoya son pied en arrière pour repousser Ritori qui cracha du sang. J'écarquillai les yeux. Pouvait-elle vraiment les vaincre à elle seule ? Aussi démunie et affaiblie ? Elle boitait des deux jambes, maintenant, une plaie qui béait sur l'abdomen et son bras gauche inefficace ; c'était impossible, même moi je le concevais.
― Tu te caches, Wend ? ricana l'Imbécile de Première Classe, en tranchant l'air de son sabre.
― Reste où t'es dans ce cas, répliqua Lyza, concentrée.
Et même pas essoufflée !
― Comme tes parents, de toute façon... C'est rien qu'une histoire de famille, tout ça ! railla Ritori.
Il esquiva le bout de l'arc de Lyza en se baissant, se rapprocha d'un bond vers elle, attrapa son bras d'une poigne ferme, la toisa comme si elle n'était que de la crasse sur sa botte et lui tordit le poignet. Elle ne poussa pas un cri, ne baissant pas les yeux. Moi si.
Je croisai le regard de Nathanaël.
Ne te bats pas si tu sens que tu vas perdre, Wendyalen. Si tu as commencé sans savoir la valeur de ton ennemi, tu as deux solutions. Je préfère la première, même si la seconde garantit ta vie.
OK, va falloir se secouer, tu l'as toi-même dit. Je me relevai en tirant sur des muscles dont je n'avais jamais eu conscience. Nathanaël s'approcha de moi, son sabre à la main, ses intentions étaient franchement claires.
Fuir ou gagner, Wendyalen. Gagne et meurs ou enfuis-toi et vis avec la honte.
Mais je n'ai pas eu à me secouer : Lyza l'a fait pour moi. Avec un cri de fureur, elle balança son genou dans l'entrejambe de l'ex-Voleur, se dégagea de sa poigne et asséna son arc, tourbillonnant pour s'éloigner dans le même geste. Sans reprendre son souffle, elle lança la pointe de son arc, comme une lance, qui se ficha au pied de l'Imbécile de Première Classe. Il pila net, fit volte-face, pila une seconde fois. Ritori, le visage en sang, se tenait prostré à terre. Un relent de peur suinta de l'homme blond, qui se précipita vers l'ex-Voleur. J'échangeai un regard avec Lyza. Et elle aussi, avait peur. Ni elle ni moi avions la force de nous mesurer à Nathanaël. Il ne nous restait qu'une option ; et quoiqu'en dise Eliros, il ne voulait pas que je meure.
Nathanaël se redressa, son sabre bien en main et le pointa dans ma direction. Son visage s'était fermé et ses yeux avaient pris l'éclat acier d'une promesse mortelle. Lyza se plaça à ma droite, me rendit mon poignard qu'elle avait récupéré quand je l'avais lancé sur l'Imbécile de Première Classe.
Le blond plongea vers moi, Lyza tenta de parer l'arme en vain et se retrouva à terre, assommée par le pommeau du sabre, et je me jetai au sol pour éviter l'arc meurtrier que Nathanaël traçait dans l'air.
Sans succès.
Je sentis ma chemise se déchirer sous la lame affûtée du maître. S'approcher de ma peau. La couper un peu.
Beaucoup.
Trop.
Un liquide chaud me coula sur la hanche. Je passai la main dessus et la retirai poisseuse de sang. Je la dévisageai, incrédule, ne sachant comment réagir.
Alerte générale, Wend.
― Écarte-toi de lui, asséna une voix de femme, venant de mon dos.
La douleur se diffusa dans tout mon corps ; je ne tentais même pas de me retourner.
Je sentais la respiration de Nathanaël toute proche de moi, et celle de la voix derrière moi.
J'avais mal.
La voix m'apaisait, comme si elle seule pourrait me sauver, unique salut.
J'avais tellement mal.
La dernière image que j'ai eu fut celle du Chercheur ahuri, envoyé au sol d'un coup de pied en plein figure.
J'avais trop mal.
Ses cheveux auburn volaient autour de sa tête, et ses yeux bleu berbère ressortaient.
Le seul être au monde capable de battre un maître.
Arthemys.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro