— Comment on fait des bébés, maman ?

Il était 19h environ. J'étais à la cuisine avec les enfants. Albert n'était pas encore rentré du travail.

Kilian dessinait une girafe sur une grande feuille blanche et Kiara manipulait son iPad.

— Qu'est ce que tu as dit, mon chéri ? ai-je demandé alors que je rinçais une assiette.

— Comment on fait des bébés ? a répété Kilian en appuyant sur chaque mot.

La plupart des parents vous le diront : de toutes les questions embarrassantes posées par les enfants, celle-ci figure sûrement en tête de liste.

Alors que je m'interrogeais sur la réponse que j'allais donner à mon fils de sept ans, une voix s'est soudain élevée dans la cuisine, m'épargnant ce fardeau :

— On baise.

Je me suis figée. Pendant un instant, je pensais avoir mal entendu.

— On quoi ? a fait Kilian. Qu'est ce que t'as dit Kiara ?

Voyant que cette dernière demeurait muette, mon fils s'est tourné vers moi :

— Maman, ça veut dire quoi on b—

— Ne répète pas ce mot !

Je me suis retournée, le regard courroucé. Kilian semblait se demander ce qu'il avait dit de mal. Ma fille, quant à elle, continuait de pianoter sur son iPad comme si de rien n'était.

— Kiara, ai-je dit doucement, essayant de maîtriser ma colère. Où as-tu entendu ça ? Qui t'a appris ce mot ?

— Pourquoi ? a-t-elle répondu sans s'émouvoir. C'est vrai, non ?

Dirigeant son regard vers son petit frère, elle a ajouté :

— Écoute Kilian, maman s'est fait baiser par papa et ensuite—

Clac !

Avant qu'elle n'ait pu terminer sa phrase, je lui ai administré une gifle qui l'a presque fait tomber de son siège.

Un sentiment de regret m'a tout de suite envahie. C'était la première fois que je portais la main sur elle.

— Dans ta chambre. Tout de suite.

Pendant un instant, alors qu'elle me fixait de ses grands yeux verts remplis de colère, j'ai cru qu'elle n'allait pas obéir. J'ai eu l'impression que la petite fille qui se trouvait devant moi était une imposture, qu'on avait pris ma Kiara et qu'on l'avait remplacée par un démon qui avait pris son apparence.

Pourtant, l'instant d'après, elle a perdu de sa superbe et s'est ruée dans sa chambre en pleurant à chaudes larmes.

Durant les dix minutes qui ont suivi, j'ai expliqué à Kilian ce qu'il venait de se passer et lui ai fait promettre de ne jamais répéter les mots employés par sa grande sœur. Il semblait un peu déboussolé, mais il a acquiescé de la tête.

Plus tard, quand je me suis rendue dans la chambre de Kiara, je l'ai trouvée recroquevillée sur son lit, le dos tourné à la porte. Je me suis assise à ses côtés.

C'était un sujet que je ne pensais pas devoir aborder avec elle avant quelques temps encore. Tout à coup, je me suis senti lasse. J'ai réalisé qu'il n'y avait rien dans la vie que nous pouvions obtenir sans contrepartie. Y compris le fait d'avoir des enfants. Finalement, rien ne nous était donné gratuitement.

— Kiara..., ma chérie, je suis vraiment désolée de t'avoir frappée, mais il faut que tu comprennes que ce que tu as dit est très grave. Où as-tu donc appris de telles choses ?

Silence.

— Kiara, s'il te plaît, parle moi...

Est-ce la douceur dans ma voix qui a fini par la convaincre ? Je ne saurais le dire. Tout ce que je sais c'est que la seconde d'après, elle s'est mise sur son séant et a entouré ses jambes de ses bras. Puis, elle a ouvert la bouche et s'est mise à parler.

Mais ce qu'elle m'a raconté ce soir-là, dépassait de loin, de très loin, tout ce que j'aurais pu imaginer...