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CHAPITRE 2 - Misanthrope

Tu ne connais pas la douleur,

Tu ne sais pas de quoi tu parles.

Moi, je vis sans cesse dans la peur

De ce sentiment qui fait mal.



POINT DE VUE DE JUNGKOOK :

Je ne me rappelle plus de la dernière fois que j'ai vu un visage. Les traits doux et cruels d'un masque humain. Ça me fait tout drôle.

Voilà qu'aujourd'hui, plusieurs années plus tard, j'en revois un. Je ne saurais identifier ses intentions, bonnes ou mauvaises, mais je sais que l'humanité est la chose la plus facile à perdre. C'est ce qui fait de nous des êtres humains, mais peu de personnes savent ce que cela représente vraiment.

Quand j'étais petit, j'avais l'habitude d'emprunter en douce des romans et ils m'expliquaient avec une franchise à toutes épreuves que l'humanité était perdue depuis déjà bien longtemps.

— Tu vis ici ?

Cette langue me paraît lointaine et j'imagine que c'est normal lorsque ça fait une éternité que je ne la pratique plus vraiment. Les mots ont du mal à rouler sur ma langue et glisser sur mes lèvres, pourtant je les connais. Je le sais, je le sens.

C'est parler à un être humain qui me dérange plus que tout, entendre sa voix m'hérisse les poils.

Je hoche la tête.

C'est automatique, mécanique. Je n'ai pas besoin de parler, mon corps peut le faire pour moi. C'est une chose que j'ai appris ici, dans la forêt. Je n'ai pas besoin d'être comme les autres.

— Ça fait longtemps que tu te caches ici ?

Pourquoi me parle-t-il ? Pourquoi ne me laisse-t-il pas ? Je lui ai déjà donné mon nom, ça ne lui suffit pas ? Et pourquoi n'ai-je pas résisté à l'approcher ? Tout est ma faute.

Je le regarde à nouveau.

Sa peau qui paraît douce et ses yeux d'un marron très intense me heurtent, notamment parce que ces deux prunelles ne se ressemblent pas. Elles sont toutes les deux d'un chocolat profond tirant vers le noisette, mais l'une d'entre elle possède un grain de beauté qui semble observer de loin l'intensité de ce gouffre. Cela me fait penser à un garde-fou qui aurait les yeux rivés sur des recoins plus sombres, se retrouvant isolé et délaissé par ses propres ombres. Ses cheveux, bien moins longs que les miens, sont épais et coiffés en arrière, et leur couleur rouge brille au soleil. Il est certain qu'il n'a rien à voir avec moi.

Il est différent.

Ou peut-être est-ce moi qui suis différent ? Je ne sais pas, je ne sais plus.

Ses mains se montrent intactes à la vie, elles sont même d'une clarté et d'une lisseur trop douteuse. Elles n'ont pas souffert, elles n'ont pas connu la torture des jours qui passent, qui se ressemblent affreusement, et la douleur des autres qui nous amènent à espérer contrôler le temps pour le faire passer plus vite.

Il est pur.

— Je te parle, mec.

J'aimerais bien lui dire que je ne m'appelle pas « mec » et que je n'ai pas envie de lui parler. Ni à lui, ni à aucune autre personne de son espèce. C'est fini ça !

Mais, au lieu de ça, je lui tourne le dos avant de m'enfoncer un peu plus dans la forêt.

— Attends ! Tu pourrais me répondre !

Il continue de jacasser, mais je m'en contre fiche, j'en ai fini de perdre mon temps. Il incarne tout ce que je ne suis pas et que je ne serais jamais. J'en mourrais si c'était le cas.

— Hé ! recommence-t-il en activant le pas derrière moi.

Je ne veux pas qu'il me suive, pourquoi s'obstine-t-il ?

Je marche, m'éloignant de cette créature que je fuis depuis aussi loin que je m'en souvienne. Mais il ne comprend pas la distance que j'essaie d'instaurer entre nous, il va même jusqu'à m'attraper le bras.

Je me défends : je ne veux plus qu'on me touche. Ça me dégoûte, sans compter la brûlure que cela laisse sur moi, indélébile, s'infiltrant dans chacune de mes cellules.

J'arrache mon bras à sa prise et le pousse brusquement en arrière.

Ne s'y attendant pas, il tombe au sol, puis me regarde d'en bas, un éclair lui traversant les yeux. Je m'efforce de ne pas le violenter, mais c'est plus fort que moi, je ressens le besoin viscéral de me protéger de sa présence, de m'éloigner, de l'écarter de moi. Je ne supporte plus la sensation de la chair humaine sur ma peau, elle fait partir le peu d'humanité qu'il me reste. Si j'en ai déjà eu un jour.

Je déteste ces vermines.

— Toi, veux quoi ? dis-je avec colère, mais sans cri.

C'est la première fois que je tente de formuler une phrase depuis un long moment. Je suis même surpris d'entendre le son de ma propre voix, qui a changée avec les années qui se sont écoulées. Elle semble plus rocailleuse, plus homme, et ça me fait royalement chier. Elle devient comme les autres membres de cette espèce que j'exècre, mais qui reste tout de même la mienne.

— Je veux simplement comprendre ce qui t'arrive. Je ne suis pas du genre à sauver les autres, mais je ne peux pas te laisser tout seul dans la forêt. Nu, qui plus est.

Sa tête se penche sur le côté alors qu'il attend une réponse.

— Ta bouche..., commencé-je en marquant un temps d'arrêt pour chercher mes mots. Elle s'ouvre tout le temps.

Il se stoppe quelques secondes avant de plisser les yeux. Apparemment, ce que je viens de lui dire ne lui plaît pas du tout.

— Écoute, Tarzan, je ne vais pas te laisser m'insulter parce que t'es dans une position vulnérable ! s'énerve-t-il en se remettant debout pour me menacer de son index. Si tu cherches à ce que cette conversation se termine mal, soit, sache simplement que je suis ceinture noire de judo !

Mais d'où il sort celui-là ? Je dois probablement rêver, être enfermé dans un cauchemar dont je n'arrive pas à me réveiller.

— Toi, va chez toi, lui dis-je avant d'à nouveau lui tourner le dos.

— Je ne suis pas d'accord, Tarzan.

Je ferme les yeux et expire lourdement. Les humains sont encore plus horripilants que dans mes souvenirs.

— Moi, pas être Tarzan. Moi, être Jungkook. Moi, pas vouloir de toi.

— Et moi, pas vouloir de toi non plus ! continue-t-il alors qu'il s'avance pour se planter devant moi, le buste droit et les épaules en arrière, se montrant fier. Ici, ça va devenir mon terrain de jeu et je ne veux en aucun cas de toi pendant mes parties. Alors, soit tu te trouves une maison ailleurs, soit je vais devoir te virer d'ici par la force.

Il plaisante ?

— Ici, ma maison.

Je m'avance, le pas lent, dans une tentative de l'impressionner, bien plus par provocation que par réelle envie de m'approcher. Sans tergiverser davantage, j'encercle son cou de ma main, resserrant mes doigts autour de son cou gracile sans y exercer une trop grande pression.

Pour le moment.

— Ici, ma maison, répété-je avec autorité.

Ses yeux s'accrochent aux miens et ce n'est pas de la peur que je lis dans ses iris, seulement de la détermination. Je n'avais jamais vu un regard pareil, aussi dur, d'un froid presque glacial, tel un flacon égaré.

Je fronce les sourcils.

Il n'a pas peur de moi, le courage a pris possession de ses pupilles, ou bien est-il un incroyable menteur, capable de dissimuler ses émotions ? Les humains sont prêts à tout pour obtenir ce qu'ils veulent.

— On peut négocier un prix, annonce-t-il alors que ses doigts recouvrent les miens.

Sa peau contre la mienne me déstabilise un instant.

Personne ne m'a jamais touché comme cette sorte de caresse, un simple point de contact qui n'est pas destiné à faire mal.

Sa paume est lisse et tendre, et cela attire mon attention suffisamment longtemps pour que je relâche l'emprise que j'ai sur lui.

Il m'en remercie d'un souffle plus prononcé. Ses doigts tentent alors de décrocher les miens de sa gorge et c'est à ce moment-là que je reviens à la réalité. Mes iris se dirigent à nouveau vers les siens.

— Pas vouloir d'argent.

— Dis-moi ce que tu veux et je te le donnerai, Jungkook.

Je plisse les yeux parce que c'est la première fois depuis bien longtemps que j'entends mon nom quitter les lèvres de quelqu'un d'autre que moi. Ça sonne bien à travers sa bouche, ça ne ressemble pas à une insulte.

— Je veux que tu disparaisses, affirmé-je sèchement.

C'est la première phrase que je prononce sans bégayer.

— Ça, je ne peux pas te le donner, mais je te promets que tu ne me reverras plus jamais si tu acceptes de t'en aller.

Il commence sérieusement à m'énerver et ma patience a des limites qu'il ne va pas tarder à franchir.

— Pas avoir d'autre maison, m'agacé-je.

— Okay, dit-il en essayant d'échapper à ma main qui est toujours autour de son cou. Je peux te trouver un hébergement pour quelques mois, le temps que tu te trouves un nouveau chez toi, propose-t-il tout de même.

Je lâche brusquement sa gorge et recule de quelques pas. Pourquoi veut-il tant que je parte ? Je suis chez moi ici, j'étais là avant lui. Pourquoi ça devrait être à moi de quitter les lieux ?

— Pas vouloir partir !

Il avance dans ma direction avec sérénité et calme. Rien n'indique que je le répugne, alors que moi, je ressens toutes sortes de haine envers son espèce.

— Je peux t'offrir bien plus que ce que tu as là. Un lit, de la bonne nourriture, un toit... Qu'est-ce que tu en penses, Jungkook ?

Il a recommencé. Il a dit mon nom. Encore.

Maintenant, ça provoque un goût amer dans ma bouche, qui se répand le long de mes veines et fait battre mon cœur à tout rompre.

— Tu mens. Pas confiance.

Je le dépasse et tente de le fuir, à nouveau.

— Je te le promets.

Je m'arrête net, parce que ces mots démontrent toute la cruauté de l'espèce humaine. Cela représente tout ce que l'Homme ne sera jamais : fiable et loyale.

Je me retourne avec dégoût et fureur. Je n'aime pas le regarder ; je n'aime pas voir son visage soigné, ses vêtements chics et sa langue trop pendue.

— Je ne t'aime pas, craché-je avec conviction.

Voilà encore une phrase que je n'écorche pas, que je connais par cœur et qui ne me demande aucune réflexion sur les mots que je dois employer.

Un de ses sourcils se lève. Il ne comprend pas ce que ma phrase fait là, je le sais, mais pour moi, elle a du sens.

— Il n'est pas question de sentiment, il s'agit là de négociation.

— Je ne t'aime pas, pas confiance ! répété-je encore avec hargne.

— Si ça peut te rassurer, je ne t'aime pas non plus. Je veux seulement pouvoir vendre ma came tranquille, d'accord ?

Il s'énerve à son tour.

— « Came » ? demandé-je, ne comprenant plus le fil de la conversation.

Mais de quoi parle-t-il ? Qu'est-ce que c'est ?

— M'en fiche, dis-je finalement, secouant la tête.

Il ne me laisse pas le temps d'effectuer un pas de plus qu'il surenchérit :

— Je suis prêt à t'offrir un chèque de 10 000 euros pour que tu t'en ailles.

Est-il en train de m'acheter ?

C'est ça qu'il est en train de faire ? Il me traite comme une vulgaire marchandise dont on doit se débarrasser au plus vite parce qu'elle est trop encombrante.

Le pire, c'est que ça me fait réfléchir parce que je n'ai jamais été en possession d'une telle somme et que ça pourrait complètement changer ma vie.

Je pourrais encore être un marginal en étant seul, sans humain, même avec cet argent.

— Pourquoi ça ?

— Parce que je suis riche, que je m'ennuie et que j'ai un tout nouveau business à faire tourner, rajoute-t-il en haussant les épaules.

— Comment savoir que toi pas mentir ?

— Je suis peut-être un drogué, un incapable et un fils ingrat, mais je suis tout sauf un menteur. Je tiens toujours parole.

Il se dénigre en souhaitant mettre en avant l'une de ses qualités, une honnêteté qui me paraît être un mensonge elle aussi, une illusion qui ne peut exister dans ce monde. Je me demande quelle est son histoire pour qu'il se présente ainsi, avec des mots aussi durs et polaires que son regard.

Il a pourtant ce quelque chose dans les pupilles, dans ce fameux gouffre entouré par l'obscurité de la forêt, qui m'empêche de détourner les yeux. Et je ne sais pas pourquoi, ni comment il parvient à ce tour de magie, mais j'ai étrangement envie de le croire.

_______

NOTE DE L'AUTEURE :

Ce n'est pas gagné, pas vrai ?

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?

On y voit toute la haine que Jungkook éprouve envers l'être humain... Avez-vous des idées d'où elle peut provenir ?

Et la suite de la relation entre Jungkook et Taehyung ? Pensez-vous que JK va accepter cette offre ou ça va être plus compliqué que ça ?

Et Tae, pourquoi se présente-t-il ainsi ?

Etes-vous curieux d'en savoir plus sur nos personnages ? ;)

La suite dimanche, mes Dumiz !!

Era xx

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