CHAPITRE 16 - Angoisse
Ne laisse pas la vie te détruire, te prendre tout ce que tu possèdes.
Bat-toi pour la vie que tu mérites.
(NOTE DE L'AUTEURE : J'ai remarqué que vous appréciez beaucoup les petites citations en début de chapitre alors, étant en train d'écrire LE TROMPEUR, je me demandais si vous aimeriez que je fasse la même chose avec cette histoire aussi ? Comme c'est un texte très psychologique, je me dis que ça s'y prêterait bien. Qu'en pensez-vous ?)
POINT DE VUE DE JUNGKOOK :
Ils crient.
Je les entends jusqu'à la lisière de la forêt tellement ils hurlent à s'en égosiller la voix. Je me demande ce qui leur demande autant d'implication vocale, et si ça ne va pas finir par dégénérer. Un sentiment de peur, une vieille émotion avec laquelle je ne comptais pas renouer, me prend à la gorge quand je pense à son père. L'horreur dont j'ai été témoin va-t-elle se reproduire ?
Ça fait plusieurs jours que je n'ai pas vu Taehyung, et je suis toujours aussi chamboulé par le flot d'émotions qui m'a traversé lorsqu'il s'est approché et a déposé ses lèvres contre les miennes. C'était à la fois doux et brutal, plus naturel que je ne l'aurais pensé. Cela devait l'être pour lui, je l'ai déjà vu faire ainsi avec Aaron. Je me demande ce que cela veut dire, ce que ça signifie vraiment. Était-ce pour me remercier de l'avoir laissé rester cette nuit-là ?
Taehyung s'est absenté plusieurs jours après. Je le sais parce que je l'observe de temps à autre, pour m'assurer que tout va bien. Je ne sais pas vraiment pourquoi je fais cela, mais ça me semble important, nécessaire. J'ai également aperçu un autre garçon chez lui hier. Il semblait le faire rire et prendre soin de lui, et je suis content que flocon ne soit pas seul pour traverser cette épreuve. Ce garçon semble mieux placé que moi pour jouer ce rôle de soutien et de réconfort, alors j'accepte plus facilement l'idée de m'effacer. En réalité, je n'ai pas trop le choix ; il ne m'appartient pas. Taehyung n'a aucune place dans ma vie, et moi, je n'en ai pas dans la sienne.
Pourtant, je me demande si je dois intervenir. Est-ce que Taehyung le prendrait mal si je sonnais à sa porte ?
Probablement.
Mais je ne peux pas simplement rester là, à attendre patiemment que tout dérape, surtout après que la dernière image que j'ai de lui le montre couvert de sang et d'ecchymoses.
Je m'approche alors lentement, restant attentif au moindre bruit. Lorsque je dépasse le plan d'eau devant sa maison et que je me place sous son balcon, les cris me semblent soufflés jusqu'au creux de mes oreilles tellement ils sont sonores. Taehyung a arrêté de crier, mais sa mère ne peut s'empêcher de poursuivre la dispute. Je ne comprends pas ce qu'elle dit, mais j'imagine qu'elle n'est pas satisfaite de sa progéniture.
Je décide de grimper sur le balcon, aussi discrètement que possible. Chaque mouvement doit être mesuré, car les prises sont rares et incertaines. Mes doigts glissent parfois sur la surface lisse, mais je finis par trouver suffisamment de points d'appui pour atteindre mon objectif. Les rideaux sont tirés, toujours aussi opaques que lors de ma dernière visite. L'obscurité à l'intérieur me dissimule, mais elle me frustre aussi.
Je m'avance lentement vers la porte vitrée, le cœur battant à tout rompre. J'y colle mon oreille, tentant de capter le moindre son à l'intérieur. Soudain, j'entends quelqu'un entrer brusquement dans la chambre, suivi d'une porte qui claque violemment et le bruit métallique d'un verrou qui se ferme. Des pas précipités martèlent le sol et j'y reconnais la démarche de Taehyung : arrogante et agressive.
Ce qui me perturbe est la rapidité avec laquelle il reprend sa respiration, comme s'il était en train de s'étouffer, de lutter pour faire passer de l'air dans ses poumons. Mon cœur réagit instantanément et se met à battre sur le même tempo que ses inspirations frénétiques.
Merde, ça ne va pas. Que lui a fait sa mère ?
Je n'ai pas le temps de réfléchir à cette pensée que Taehyung arrive en trombe sur le balcon. Il se précipite avec une telle urgence qu'il semble ne pas voir le monde autour de lui. Ses mains se posent brusquement sur la rambarde, comme s'il cherchait à se stabiliser, et il se penche en avant, le visage marqué par une expression de panique.
Dans ce moment de chaos, il ne remarque même pas ma présence. Il est tellement absorbé par ses propres pensées qu'il ne perçoit pas ma silhouette que je fais à peine apparaître dans l'ombre.
J'observe sa cage thoracique s'activer, ses bras trembler, sa tête se baissant alors qu'il cherche invraisemblablement à reprendre son souffle.
Il est en train de faire une crise d'angoisse.
Je ferme les yeux un instant, me convainquant de ne pas avancer. Ça ne me regarde pas, c'est un moment privé. Il ignore ma présence, il est encore temps pour moi de m'échapper.
Mais ce n'est pas ce que je fais : je l'enlace par derrière.
Il a un fort mouvement de recul et tente de se débattre, de se dégager de ma prise.
— Chut, Taehyung, chuchoté-je doucement à son oreille. Ça va aller, je ne te laisse pas.
L'étau de mes bras se resserre davantage sur lui. Je veux qu'il sente que je suis là, que son corps sache qu'il n'est plus seul.
— Respire lentement. Une inspiration après l'autre, flocon.
Ses sanglots l'étouffent, sa mâchoire est crispée et des larmes d'impuissance lui glissent sur les joues. Il n'arrive pas à se détendre, pourtant il a arrêté de se débattre. Je décide alors de nous asseoir sur le balcon et de le maintenir fermement entre mes jambes. Il suit le mouvement, n'étant plus maître de son corps.
Une fois au sol, je me mets à lui frotter délicatement les bras, qui se recouvrent instantanément de frissons. Il ne fait pas très chaud dehors, d'autant plus à cette heure tardive, et il n'est qu'en t-shirt.
— Concentre-toi sur moi, Taehyung. Juste sur moi, continué-je en lui prenant les mains.
Je les lui caresse doucement du bout des doigts, en jouant avec la bague qu'il porte à l'index droit. Celle-ci est ornée d'un petit diamant rouge qui me rappelle la couleur de ses cheveux. Finalement, Taehyung rouvre les yeux et les pose automatiquement sur notre point de contact. Je le vois froncer les sourcils, tandis que sa respiration commence lentement à retrouver un rythme régulier.
Je le couvre presque entièrement de mon étreinte, ce qui semble le faire paraître minuscule et fragile. Son masque ne fait pas que se craqueler, il tombe à nos pieds en des milliers de morceaux. Cette part de vulnérabilité qu'il s'évertue à cacher aux autres vient de s'éveiller sous mes yeux, et ça me fait mal. J'ai l'impression de souffrir aussi, avec lui.
Une fine couche de sueur brille sur son front et son cou, témoignage évident de la crise qu'il vient de traverser. Je porte doucement ma main à ses cheveux, glissant mes doigts pour dégager les mèches humides qui collent à sa nuque.
Une tâche d'encre perturbe la douceur de sa peau, juste derrière son oreille. Je la trace du bout du doigt et remarque, à la lumière de la lune, qu'il s'agit d'un oiseau dont les ailes sont déployées, immenses, prenant toute la place dans cette cage étroite. La porte est pourtant ouverte, mais l'animal reste derrière les barreaux, comme coincé, reclus, ne pouvant qu'observer le monde s'animer sans lui. Il paraît abandonné là, attendant qu'on lui tende une main pour l'aider à s'extirper de ce cauchemar.
Je ne peux m'empêcher de me voir à travers l'histoire que raconte ce dessin.
— Je... je n'y arrive pas, bégaie-t-il, ayant des difficultés à prononcer ces mots.
— Tu vas y arriver, flocon.
Il ferme subitement les yeux, comme si je lui avais fait mal. Instinctivement, je resserre mon étreinte autour de lui, puis je pose délicatement ma tête sur son épaule. Je suis obligé de me contorsionner afin de maintenir cette position, mais ce n'est pas grave. Je n'y prête pas grande attention.
— Ma mère était là. Elle se fiche de savoir comment je vais, Jungkook. Elle ne m'aime pas, elle me déteste, finit-il par dire.
Un long soupire s'extirpe de ma bouche, me donnant le courage de lui répondre :
— Certaines personnes ne savent pas aimer. Elles essaient parfois de toute leur force, mais elles n'arrivent pas à aimer avec le cœur.
— Pourquoi ne peut-elle pas simplement me regarder sans me juger, m'embrasser au lieu de m'ignorer ou me câliner pour s'excuser de m'avoir blessé ?
— Je ne sais pas. C'est comme ça, parfois. Courir après l'amour de tes parents ne le rendra pas plus sincère pour autant.
Il s'affaisse légèrement contre moi et appuie sa tête contre ma clavicule. Je pense qu'il est épuisé après l'état dans lequel il se trouvait une minute plus tôt.
— Mes parents ont toujours été distants et froids avec moi, comme s'il y avait un mur invisible entre nous. Ils m'ont élevé pour que je devienne quelqu'un à leur image, quelqu'un de calculateur et d'égoïste, ne pensant qu'à ses propres intérêts. Parfois, je me surprends à l'être, à agir de cette manière, parce que je ne sais pas comment faire autrement. C'est tout ce que j'ai connu, soupire-t-il, les larmes continuant de rouler sur ses joues. Ils veulent que je devienne avocat, comme mon père, et que je suive une voie toute tracée qui n'a jamais été la mienne. Parce que je ne peux pas. Ce métier ne me correspond pas, il ne me fait pas vibrer, il ne me ressemble pas. Je ne peux pas être l'homme parfait qu'ils attendent, celui qui coche toutes les cases de leur idéal, et ça les déçoit. Ils me détestent de ne pas être la marionnette dont ils rêvent.
Je n'ose pas l'interrompre, sentant qu'il est en train de partager quelque chose qu'il n'a probablement jamais confié à personne. Peut-être que le fait de ne pas voir mon visage lui donne le courage de s'ouvrir ainsi, de laisser tomber les barrières qu'il a si soigneusement construites. C'est comme si l'absence de contact visuel créait un espace sûr, où il se sent libre de dire ce qu'il a toujours gardé en lui, sans craindre d'être jugé.
— Mon père est devenu violent depuis quelques mois, depuis qu'il s'est mis à boire. Il n'a jamais été très chaleureux, mais il ne levait pas la main sur moi avant.
Alors qu'il poursuit, il se met à gratter la peau entourant l'ongle de son pouce, comme une distraction bienvenue.
— Le pire est que ma mère ne dit rien, elle ne s'interpose jamais. Elle me regarde souffrir, saigner, crier, en silence. Ce silence est assourdissant, il me brise bien davantage que les blessures visibles. C'est comme si ma douleur ne la touchait pas, comme si elle était spectatrice d'une scène qui ne la concernait pas, qu'elle se fichait de mon état.
Des larmes continuent de dégringoler sur ses joues, et j'aimerais les essuyer pour rendre sa douleur plus supportable, mais je crains qu'un seul mouvement de ma part ne le fasse s'arrêter.
— Je n'aime pas la personne que je suis, je me trouve tellement laid, c'est horrible. J'ai constamment l'impression d'être jugé, observé sous un microscope par un monde qui ne voit que mes défauts. Pourtant, je ne fais rien pour passer inaperçu, bien au contraire. Mes cheveux rouges attirent les regards, je fume, je parle mal... Je me cache derrière cette façade rebelle, mais personne ne se demande qui je suis vraiment, au-delà de ces artifices, au-delà de cette image superficielle. Personne ne cherche à savoir ce qui se cache lorsque le rideau tombe, lorsque je suis seul face à moi-même.
— Qui es-tu alors ? ne puis-je m'empêcher de le questionner.
Un sanglot lui noue la gorge.
— J'en ai aucune idée, Jungkook.
— Il faut que tu le découvres.
Il hoche la tête en reniflant. Je me détache doucement de lui afin de me relever, mais à peine ai-je commencé à me redresser qu'il se tourne brutalement vers moi, toujours assis par terre, et me fixe avec un regard paniqué, comme si l'idée de me voir partir l'effrayait soudainement. Ses yeux, encore brillants de larmes, expriment une détresse profonde, une peur irrationnelle de se retrouver à nouveau seul face à ses démons.
— Qu'est-ce que tu fais ? Où tu vas ?
J'incline la tête sur le côté, me demande-t-il de rester ?
— Je vais rentrer chez moi.
Il se lève tout à coup et se plante devant moi. Il a les joues encore humides et les membres tremblants, mais une petite étincelle se lit dans son regard. Sa flamme glaciale, ce flocon translucide, n'est pas complètement éteint.
— Tu veux bien rester cette nuit ? chuchote-t-il comme s'il n'était pas sûr de ses mots. S'il te plaît ?
Je ne veux pas. Je ne peux pas. Pourtant, je cède, et cela me fait me sentir faible, comme si accepter était une forme de capitulation. J'essaie de me convaincre que c'est parce que je ne peux pas le laisser dans cet état, que je ne peux pas l'abandonner alors qu'il a besoin de moi. Mais au fond, je sais aussi que j'en ai envie, que je désire être là, près de lui.
Je hoche la tête en silence, et un petit sourire apparaît sur son visage. Contre ma volonté, je le lui rends, comme si nos émotions étaient liées, impossibles à dissocier. Il prend doucement ma main, ses doigts tremblants légèrement, et m'entraîne à l'intérieur de sa chambre, refermant soigneusement la porte du balcon derrière nous.
Une légère nervosité monte en moi lorsque je remarque enfin que Taehyung ne porte qu'un petit short et un simple t-shirt. Jusqu'à présent, je n'avais pas vraiment fait attention à son apparence, trop absorbé par l'intensité du moment. Mais maintenant, cela me frappe, et il est trop tard pour ignorer ce détail. Sa blessure à la jambe semble se résorber doucement, mais sûrement, malgré la cicatrice encore fraîche qu'il arbore.
Taehyung se dirige vers le lit, défait la couverture, puis me lance un regard invitant, presque timide. Ne voulant pas paraître idiot en restant debout, je m'avance et m'allonge sur le matelas. Dès que mon corps touche la surface moelleuse, une sensation presque enivrante m'envahit. Je n'ai jamais dormi dans un vrai lit, et le confort inattendu de ce simple geste me surprend, me désoriente.
Taehyung s'installe à mes côtés, et nous nous retrouvons tous les deux sur le dos, fixant le plafond en silence. Le poids de ce silence semble flotter au-dessus de nous, lourd et pourtant apaisant à la fois. Nous restons là, côte à côte, pris dans un moment suspendu, entre la peur et le réconfort, entre le désir de se rapprocher et la crainte de briser ce fragile équilibre.
— Oh, attend, regarde ! lâche-t-il précipitamment en se relevant légèrement pour trafiquer quelque chose dans son coin.
Tout à coup, une petite lumière commence à s'infiltrer dans la pièce, ajoutant une douce lueur à celle de la lune, puisque nous n'avons pas tiré le rideau. Au plafond, des milliers de petits points lumineux apparaissent, scintillant comme des flocons de neige flottant dans une nuit étoilée. Je suis complètement ébahi par ce spectacle inattendu. La lumière, tamisée et douce, semble transformer la chambre en un espace magique, presque féerique. Chaque point lumineux brille doucement, créant une constellation éphémère au-dessus de nous.
— Tu aimes ? me questionne-t-il en se recouchant.
— C'est magnifique, lui réponds-je avec sincérité.
— Merci pour tout, sauvage, susurre-t-il si bas que je ne suis pas sûr de ce que j'ai entendu. Bonne nuit.
— Bonne nuit, flocon, réponds-je sans relever ses précédentes paroles.
Je décide de lui tourner le dos et de m'envelopper dans la couette, cherchant à me perdre dans sa chaleur. C'est un sentiment très agréable.
Je sens Taehyung s'agiter derrière moi, il peine à trouver le sommeil. Soudainement, dans le silence pesant qui règne, il se décide à le rompre :
— Comment as-tu fait pour t'en sortir, Jungkook ?
Je prends une grande inspiration, ne me sentant pas forcément prêt à me confier, mais il a su se montrer si vulnérable avec moi que je ne peux pas lui refuser la vérité.
— Joe était là, soupiré-je.
— Qui est Joe ?
— Un vieillard qui a croisé ma route.
— Comment ça ?
— Il avait fait le choix de vivre en marge de la société, lui aussi. Il m'a tout appris : à pécher, à chasser, à survivre. Il m'a offert sa cabane, ses outils, son savoir. Sans lui, je serais probablement mort, lui avoué-je dans un souffle tremblant.
— Où est-il ? ose-t-il me demander.
— Il est mort il y a un long moment.
— Je suis sincèrement désolé.
— Tu n'as pas à l'être. Surtout qu'il ne disait pas vraiment du bien de ta famille, ris-je nerveusement.
— Il connaissait ma famille ? me questionne-t-il, surpris.
— Pas vraiment. Il disait seulement que c'était le genre de personnes qu'il fuyait. Il avait perdu sa femme et son fils, alors plus rien ne le retenait, plus rien ne le rendait heureux. Vous observer le rendait aigri.
— C'est pour ça que tu te méfiais de moi au début ?
— Non, j'ai mon propre avis sur la question.
— Ah oui ?
— Ouais, dors, maintenant.
Taehyung bouge un peu le temps de s'installer, mais je ne fais aucun commentaire, même lorsqu'il me cogne le pied sans le faire exprès. Je ne vais pas me plaindre alors qu'il m'offre l'hospitalité et qu'il me laisse dormir dans un lit.
Je ferme les yeux sur les étoiles, une reproduction de ce que je peux apercevoir depuis la forêt ; un moyen efficace de me mettre à l'aise.
Sans le savoir, Taehyung a tapé dans le mille.
J'ouvre doucement les yeux, la tête encore embrumée par les rêves. J'ai passé une nuit merveilleuse, profondément reposante, sans la sensation de devoir constamment rester sur le qui-vive.
En essayant de m'étirer, je remarque qu'un poids me restreint. Taehyung est blotti contre moi, une jambe entre les miennes, un bras posé sur mon ventre, et sa tête reposant contre mon omoplate. Sa respiration légère et son souffle chaud sur mon cou me font frissonner.
C'est étrange comme situation, j'ai l'impression de ne plus autant détester les Hommes. Peut-être que ce n'est le cas qu'avec Taehyung, mais cela me libère d'un poids que je ne savais même pas que je portais.
Mais je sais que je ne suis pas chez moi, et il me faut me lever. En essayant de me mettre sur le dos, le bras de Taehyung glisse sur mon abdomen, me picotant légèrement la peau. Il émet un petit grognement et fronce les sourcils, contrarié dans son sommeil. Ce détail me fait sourire. Ses cheveux, éparpillés en désordre sur sa tête, ajoutent à son apparence vulnérable. Mon sourire s'estompe lorsque je remarque que des larmes ont séché sur ses joues, preuve qu'il a continué à pleurer même en dormant.
Ses yeux finissent par s'ouvrir sous le poids de mon regard. Le noisette profond de ses pupilles me frappe et, pour la première fois, je réalise à quel point je les trouve captivants. J'apprécie l'intensité de leur couleur et ce petit grain de beauté qui les rend uniques. Lorsque sa main quitte mon ventre pour se frotter contre son visage, je ressens une étrange sensation de manque, un vide inattendu.
— Tu as bien dormi ? me demande-t-il, la voix grave, étant encore endormi.
— Oui, et toi ?
J'ai également la voix extrêmement rauque.
— Ouais, dit-il après quelques secondes, se mettant à son tour sur le dos.
Tout à coup, ses yeux s'ouvrent en grand, brillants d'excitation. Un énorme sourire fend son visage lorsqu'il se tourne enfin vers moi.
— Aujourd'hui va être un grand jour pour toi, sauvage.
— Ah oui ?
Je fronce les sourcils, intrigué par ses paroles. De quoi parle-t-il exactement ?
— Je vais t'apprendre à vivre dans mon monde, dit-il finalement, sans cesser de sourire.
Je sens déjà que la journée risque d'être intense pour moi. Taehyung se lève, et je le regarde enfiler un long manteau de soie blanche qui recouvre élégamment ses jambes, puis éteindre la machine à flocons.
— Allez, debout !
Je râle comme un enfant, mais finis par me lever.
— On va d'abord déjeuner, mais après, tu vas me faire le plaisir de quitter ce pantalon, parce que, putain, je crois que t'as tâché mon lit tellement tu es sale !
Je jette un coup d'œil au vêtement que je porte et constate qu'il a raison ; je fais une grimace de dégoût.
— Bon, tant pis, dit-il en défaisant les draps pour les rouler en boule dans ses bras. Je vais mettre ça à laver et vérifier que ma mère est bien partie. Elle ne reste jamais, même le week-end, mais on ne sait jamais. Attends-moi là.
Il n'a même pas le temps de finir sa phrase qu'il est déjà parti. Il est incroyablement énergique le matin, je n'ai jamais vu quelqu'un bouger aussi vite !
Je pense un instant à m'éclipser par le balcon, à fuir cette journée qui me ramène à un passé que je préférerais oublier. Mais cette réflexion ne dure pas longtemps, car il est déjà de retour.
— La voie est libre ! Je vais te faire découvrir des saveurs incroyables, Jungkook, rit-il.
Il semble complètement euphorique. Qu'est-ce qui le rend si joyeux aujourd'hui ? Hier, il pleurait dans mes bras, et maintenant, il est tout sourire, prêt à conquérir le monde. Peut-être que c'est vraiment ce qu'il est, un Taehyung sans sa cage, laissant apparaître un aspect de lui que je n'avais encore jamais vu ?
Il me prend par la main, et je n'ai d'autre choix que de le suivre. Son château est encore plus vaste que je ne l'avais imaginé de l'extérieur. Moderne et chic, il est si immaculé que je vois presque mon reflet dans les carrelages blancs. Cependant, il est dépourvu de photos de famille, de dessins ou d'objets personnels ; tout semble si aseptisé qu'on pourrait se demander si des gens y vivent vraiment.
Je me rappelle que c'était aussi le cas chez moi quand j'étais captif. Mais je sais que ce n'est pas le cas dans toutes les maisons ; les livres que je lisais parlaient de foyers chaleureux où il faisait bon vivre.
Nous descendons un escalier, traversons plusieurs couloirs et finissons par arriver dans ce qui semble être une cuisine.
— Assieds-toi là, je vais te préparer quelque chose, dit-il en désignant un siège haut, face à une grande table.
Je m'exécute et il se met à s'affairer aux fourneaux. Il prend du pain, le fait chauffer dans un outil plutôt développé, sort plusieurs ingrédients du réfrigérateur et continue à se mouvoir dans tous les sens. Je me laisse distraire par ses mouvements ; il est plutôt menu, je le savais déjà, mais au milieu de cet espace gigantesque, cela semble encore plus flagrant. Mon regard s'attarde sur sa nuque où repose cette tâche d'encre qui m'hypnotise durant quelques secondes.
— Arrête de me fixer comme ça, me lance-t-il en s'apercevant que je l'observe avec la tête posée sur ma paume et mon coude sur la table.
— Pardon, réponds-je, gêné.
Il me lance un regard rapide, s'interrompt un instant, puis décide de me sourire brièvement avant de reprendre son activité. Des machines bourdonnent et bippent, donnant enfin vie à la maison.
Finalement, il se tourne vers moi avec un plateau en mains. Il s'approche, dépose son travail sur la table et s'assoit en face de moi.
— Alors, voici des tartines de confiture, à la fraise, bien sûr, et un bon lait chaud ! Je prends généralement deux tartines, mais je t'en ai préparé quatre, parce que j'ai remarqué que tu avais bon appétit. En même temps, tu es gigantesque, me charrie-t-il. Je serais curieux de savoir combien tu pèses, d'ailleurs, ajoute-t-il.
Je suis pris de court par cette avalanche d'informations.
— D'accord, finis-je par répondre simplement.
Il glousse en pointant la nourriture du doigt.
— Allez, mange et dis-moi ce que tu en penses.
Je commence à m'approcher des tartines lorsque Taehyung ajoute :
— Je n'ai pas mis de beurre sous la confiture, je n'aime pas ça. J'espère que ça ne te dérange pas.
Un nœud se forme dans ma gorge. On ne m'a jamais demandé mon avis sur ce que je mangeais. Je suis profondément touché.
— Ça ira. Merci, flocon. Vraiment.
Il me sourit en retour.
— Il faut que tu prennes la tartine et que tu la trempes dans le lait avant d'y goûter, c'est une tradition ! dit-il avec un air extrêmement sérieux.
Je ris intérieurement ; il semble si passionné par la nourriture. Je n'ai jamais autant souri de ma vie, et c'est étrangement agréable, tout comme la nuit passée dans un vrai lit à ses côtés.
Je suis ses instructions avec soin, et il m'observe attentivement pour vérifier si je respecte bien son protocole. Lorsque je croque dans la tartine, une sensation paradisiaque envahit mes papilles. C'est tellement bon !
— Alors, tu aimes ?
Je gémis en réponse, et il semble heureux alors qu'il se met lui-même à manger.
— Par contre, commence-t-il, la bouche pleine. T'es pas obligé de mettre autant de tartine dans ta bouche d'un coup, je ne vais pas te les voler, s'esclaffe-t-il.
S'il savait combien de fois la nourriture m'a été retirée juste sous le nez...
Mais pour le remercier, je ralentis mon rythme et prends davantage mon temps. Là, ainsi, je savoure le moment, parce que, pour la première fois, j'ai l'impression d'être quelqu'un de normal.
_________
NOTE DE L'AUTEURE :
Ce chapitre me rend toute chose, j'espère que c'est aussi le cas pour vous !
Il y a aussi beaucoup de références à EODUM, vous ne trouvez pas ? ;)
Jungkook se retrouve entraîné par Taehyung, de toutes les manières possibles. Leurs émotions semblent liées, comme s'ils pouvaient se servir de l'autre pour se soigner. Je suis le genre de personne à penser que l'autre ne doit pas être un pansement, qu'on doit apprendre à guérir nos blessures par nous-mêmes. Mais, dans cette histoire, je pense qu'il était nécessaire pour les protagonistes de prendre conscience qu'ils ne sont pas seuls, qu'ils ne trouveront pas la réponse en l'autre, mais que cet autre peut lui montrer une nouvelle option, une nouvelle possibilité. Quand on se décale un peu, qu'on accepte de prendre un angle de vue un peu différent, on se rend compte de beaucoup de choses. JK et Tae sont cet autre point de vue sur la vie ;)
Donnez-moi vos impressions, j'ai hâte de les lire, mes Dumiz !
Dimanche, vous aurez un nouveau flash-back ET un chapitre, j'espère que ça vous fait plaisir ! ;)
Des bisous,
Era xx
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